Intervention de Isabelle Santiago

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 10h15
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Santiago, conseillère départementale du Val-de-Marne, députée :

Bonjour à tous. Je précise avoir été durant dix ans vice-présidente du conseil départemental en charge de la protection de l'enfance et de la jeunesse, jusqu'en septembre 2020, et suis membre du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE). Aujourd'hui, je suis députée, depuis fin septembre, et présidente de l'ODPE (Observatoire départemental de la protection de l'enfance) pour le Val de Marne.

Concernant la situation vécue durant le confinement, nos territoires ont par nature des approches différentes. Le Val de Marne, qui compte 1,3 million d'habitants, enregistre 6 000 informations préoccupantes, et totalise 5 000 enfants placés, dont 2 500 en AEMO. Je précise que le département dispose de deux pôles pour l'accueil des jeunes : un pôle Enfance et un pôle Adolescence. Ils s'appuient sur cinq foyers publics.

Au moment du confinement, j'ai observé une réelle dynamique des services départementaux, dans leur capacité à se mobiliser et à se croiser dans les dispositifs en place. Nous avions à gérer une problématique de personnel et d'absentéisme, et les ITEP et les IME, qui sont les structures accueillant les enfants porteurs de troubles et de handicaps, ont fermé. Or sur notre territoire du Val-de-Marne, 46 % des enfants placés sont des enfants avec des troubles, porteurs de handicap – souvent autistiques, parfois des situations extrêmement difficiles : j'avais invité Adrien Taquet au début de son mandat de secrétaire d'Etat pour lui montrer les difficultés que nous rencontrions sur ces questions. Avec la fermeture des ITEP et IME, nous avons connu un blocage de fonctionnement, puisque nous étions au complet : la protection de l'enfance n'est pas organisée pour accueillir des enfants en nombre en permanence, et il a fallu agir avec intelligence.

Les collèges étant fermés, nous avons pu employer les cuisiniers en arrêt d'activité, pour qu'ils viennent travailler et préparer des repas dans nos foyers. Nous avons essayé de faire en sorte que la prévention spécialisée intervienne de façon beaucoup plus réactive dans les quartiers, pour un rôle d'appui dans nos foyers. Cela a permis d'avoir un large panel de personnes venues nous apporter leurs ressources et leurs compétences ; de plus, les enfants y ont trouvé des regards nouveaux, avec des activités nouvelles avec les jeunes.

Au sein du pôle Enfants, la problématique majeure a concerné la continuité de la vie scolaire. En l'occurrence, et je m'en suis souvent plaint, nous travaillons sur un domaine qui est certes une compétence départementale, mais qui est à la croisée de nombreuses compétences de l'Etat. Or quand l'Etat est défaillant, ce qui a été le cas lors du confinement, cela devient un problème majeur. Selon moi, la défaillance est ici venue de l'éducation nationale, par le fait qu'aucun des enseignants n'a pris le soin de contacter les enfants pour essayer de mettre en place le suivi scolaire. La direction d'un des foyers, qui accueille des enfants de la maternelle au primaire, a dû appeler 110 enseignants avant de pouvoir obtenir des informations, et cela quinze jours après le début du confinement. Dans l'intervalle, le travail d'organisation pour préserver la sécurité des enfants et instaurer des règles d'accompagnement a mobilisé tous les services, pendant quinze ou vingt jours.

L'un de nos foyers héberge une petite structure scolaire, et nous avons pour elle sollicité la présence d'enseignants. La direction académique des services de l'Éducation nationale (DASEN) m'a indiqué par SMS qu'elle ne pouvait pas dégager de moyens pour nous aider. Face à de telles difficultés, nous avons agi autrement : par exemple, nous avons procédé à des extensions de dispositifs, pour que les assistants familiaux volontaires puissent accueillir des enfants supplémentaires, ceci afin de dégager plus d'espace dans nos foyers. En parallèle, nous avons bien sûr suspendu les visites. Soyons clairs, dans un certain nombre de cas, cette situation a apaisé les enfants. Certaines décisions de justice font que l'enfant se trouve en foyer en semaine, dans un cadre « protection de l'enfance », et se rend en week-end chez ses parents. Dans certains cas, il en découle des difficultés importantes, lorsque les parents sont toxiques. Même si le lien a été maintenu (en visio, par téléphone, etc.), le confinement a été pour certains enfants un moment de stabilité, avec des équipes les accompagnant dans la durée, avec des activités régulières, avec de la quiétude et du calme dans la relation affective.

Dans le cadre de l'AEMO, la CRIP – la cellule de recueil d'informations préoccupantes - est restée ouverte, et nous avons continué à nous rendre à domicile, quand cela était nécessaire, pour les urgences, particulièrement pour les signalements relatifs à des enfants de moins de trois ans. Nous avons aussi travaillé avec les associations habilitées AEMO, dont une qui a inventé un concept efficace, consistant à se rendre à proximité du lieu de domicile des enfants accompagnés, pour animer des consultations de terrain, en lien avec des pédopsychiatres. Il s'agissait aussi de vérifier que le confinement se passait aussi bien que possible pour les enfants maintenus à domicile.

En l'occurrence, nombre d'enfants avaient été placés dans le cadre d'une AEMO déjà connue, et nous avons eu recours à des placements d'urgence – parce que des familles ont dysfonctionné au moment du confinement, alors qu'il existait déjà une décision de mesure éducative. Dans cette période, les services nous ont dit que certains actes étaient graves, et nécessitaient un placement.

Nous avons en revanche assisté à une baisse drastique du nombre d'informations préoccupantes, avec jusqu'à -58 % d'IP durant le confinement, mais un rebond lors du déconfinement, avec aujourd'hui des chiffres très importants : en septembre 2020, nous sommes à 1 702 mesures ordonnées en AEMO, contre 1 305 dans la période précédente. Nombre de familles ont vécu le confinement avec des difficultés, et les conséquences apparaissent maintenant que la reprise scolaire a eu lieu. Le pic est intervenu en septembre, alors même que les enfants étaient à nouveau scolarisés ; c'est à ce moment que la remontée des Informations Préoccupantes a eu lieu.

La problématique est différente s'agissant des adolescents. Certains d'entre eux sont très abîmés, avec des problématiques lourdes, dont certaines enkystées depuis de longues années. Nous sommes face à des cas d'addiction, de prostitution dans certains cas, et bien souvent de difficultés scolaires, avec parfois des déscolarisations. Pour ces jeunes, des ateliers de proximité ont été mis en place, avec un panel de services : prévention spécialisée, cuisiniers de collège, activités sportives, etc. Dans le Val-de-Marne, nous travaillons en lien avec des pédopsychiatres, et nous avons pu organiser des séances en visio lorsque des ados se trouvaient en situation de crise particulièrement grave.

L'addiction a constitué un sujet de préoccupation majeure durant le confinement. En effet, les jeunes adolescents qui y sont confrontés ont besoin de moments de sortie. Leur imposer un confinement n'est pas chose aisée, et la protection de l'enfance, qui n'est pas un centre éducatif fermé, ne peut rien y faire. Sur le plan médico-social, cette difficulté est incontournable. De nombreux jeunes ont reçu des PV pour « non-autorisation de sortie », et nous avons cherché à les accompagner le mieux possible, en lien avec des pédopsychiatres, là encore. Avec le reconfinement actuel, nous serons à nouveau confrontés à cette situation, car il est très difficile de maintenir certains jeunes confinés. Le collectif peut aussi être quelque chose de difficile à vivre, même si nos foyers sont plutôt de belle facture.

Sur le plan du partenariat, nous avons pu travailler de manière satisfaisante avec la Santé, mais j'ai été en colère après les services de l'Education Nationale – ça n'a pas bien fonctionné. Avec la justice, nous avons un partenariat ancien qui fonctionne correctement, dont le principe a toujours été de lutter contre le fonctionnement en silos de l'administration d'Etat. Cela a créé de saines habitudes de travail, que le confinement a renforcées. Néanmoins, des structures ont fermé, et les silos ont perduré çà et là.

Au tout début du confinement, le secteur médico-social avait été complètement oublié : les crèches et les écoles étaient ouvertes pour les personnels des hôpitaux, mais ceux de la protection de l'enfance n'étaient pas couverts, alors même que les services avaient continué à fonctionner 24 heures sur 24. Nous avons insisté pour demander l'élargissement de la mesure des écoles ouvertes aux personnels de la protection de l'enfance. Nous avons obtenu le bénéfice de ce dispositif, mais dix-sept jours – je crois – après le début du confinement, et à l'issue d'une longue bataille. Certains, entretemps, s'étaient organisés différemment, ce qui a perduré, et au final, ce service n'a été que peu utilisé. Néanmoins, il faut être très attentif à ce type de sujets, pour ne pas oublier des secteurs dont le rôle est essentiel en période de crise, notamment le secteur du médico-social, qui se trouve à la croisée de beaucoup d'autres.

Au final, l'expérience aura été très belle, même si le champ social est aujourd'hui en grande souffrance – parce que nous avons du mal à recruter, entre autres problèmes. Les gens ont été admirables ! Nous avons par exemple instauré des cellules Covid au sein de nos foyers, avec un étage dédié, et la mobilisation des équipes de PMI. Sur les vingt-cinq centres de PMI que compte le département, seuls cinq étaient restés ouverts en fonctionnement par pôle, mais tout le personnel PMI (infirmiers, médecins, etc.) était présent au sein des foyers, pour que ceux-ci soient en capacité d'accompagner au mieux les enfants. Nous avons assisté à une dynamique de tous, orientée vers la protection de l'enfance, ce qui a permis une belle réussite. La prime qui a été versée aux personnels par le département me paraît donc plus que méritée, en dépit des inégalités créées entre départements – les collectivités n'ont pas toutes les mêmes moyens, en Ile-de-France, par exemple, l'écart reste fort entre les Hauts-de-Seine et d'autres départements. Pour le Val-de-Marne, cette prime a représenté 7 millions d'euros pour la protection de l'enfance et le secteur des personnes âgées, et nous n'avons pu la verser que ce mois-ci, contre un versement immédiat pour les Hauts-de-Seine. Compte tenu de l'imbrication qui existe entre les secteurs et les périmètres, il faut veiller à prendre des décisions montrant une égalité sur les territoires. Je pense que ça n'a pas été le cas sur ce point.

Je veux enfin préciser que sur les 700 mineurs non accompagnés (MNA) que nous comptons dans le Val-de-Marne, nous menons une bataille en faveur des 18-25 ans, car nous ne voulons pas que des jeunes de 18 ans puissent être mis à la rue. Je suis profondément contre cette vision, et dans le respect du protocole sanitaire, tous les enfants ont été accompagnés. Aujourd'hui, ceux qui atteignent l'âge de 21 ans n'ont pas droit aux aides, car celles ne démarrent pas avant 25 ans ; dans la période actuelle, très difficile sur le plan social, nous sommes face à un immense questionnement. Que faire ? Laisser des jeunes de 21 ans sur le bord du chemin, sans capacité de trouver un emploi ? Nous devons collectivement conduire une réflexion à ce sujet, car la protection de l'enfance est un partenariat commun. En pleine crise sociale, on ne peut laisser des jeunes de 21 ans au bord du chemin, sans relations familiales. Je défends vraiment cette vision de l'accompagnement des jeunes au-delà de 18 ans. Alors que bon nombre d'enfants restent désormais longtemps rattachés au foyer familial, je ne vois pas pourquoi ceux qui relèvent de la protection de l'enfance seraient, eux, lâchés avec quasiment rien, au risque de devoir s'en remettre au 115, pour pallier par exemple des difficultés d'hébergement. Ce sont là de vrais enjeux, et je vais veiller à ce qu'ils soient pris en compte, à mon niveau. Je ne suis plus la vice-présidente du Val-de-Marne en charge de la protection de l'enfance et de la jeunesse, mais je suis la présidente de l'ODPE, et je vais m'atteler à ce dossier dans ce cadre, en souhaitant qu'il puisse être porté de façon transversale avec l'Etat.

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