Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 10h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 29 octobre 2020

La séance est ouverte à dix heures quinze.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions sur l'impact de la crise sanitaire sur les enfants et la jeunesse, en abordant plus spécifiquement les enjeux de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et des enfants protégés. Je vous rappelle que nous avons déjà abordé ce thème une première fois, à l'occasion de la venue des Apprentis d'Auteuil, au début du mois d'octobre.

Comme vous le savez, l'aide sociale à l'enfance est une mission dévolue aux départements, que nous allons entendre sur ce sujet. Sont présents aujourd'hui Mme Sophie Pantel, présidente du conseil départemental de Lozère ; Mme Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental de Moselle, déléguée à l'insertion, à l'emploi et à la protection de l'enfance, et M. Laurent Zakrzewski, directeur général-adjoint du conseil départemental de la Moselle, chargé de la solidarité ; Mme Isabelle Santiago, conseillère départementale du Val-de-Marne, vice-présidente du conseil départemental chargée de la protection de l'enfance et de la jeunesse jusqu'en septembre 2020 ; Mme Jeanne Clavel, directrice de la protection de l'enfance et de la famille au sein du département de la Gironde.

Vous connaissez bien les questions que nous allons aborder ce matin : quel est l'impact de la crise sanitaire sur la protection de l'enfance ? Comment ont fonctionné – notamment pendant le premier confinement – les cellules de recueil d'informations préoccupantes ? Leur contenu a-t-il changé ? Comment ont fonctionné les établissements d'hébergement et les services d'action éducative pendant la crise ? Avez-vous poursuivi les accueils d'urgence ? Mobilisé les assistants familiaux ? Vous avez dû faire face à des diminutions d'effectifs, notamment du fait de difficultés de garde d'enfants pour les personnels, alors que les besoins d'accompagnement des enfants placés, eux, augmentaient, en raison de la fermeture des écoles. Selon quels critères le retour à domicile des enfants placés a-t-il été retenu ? Comment la justice a-t-elle fonctionné pendant la période de confinement et dans les semaines ayant suivi son terme ? Nous avons été alertés, lors de nos précédentes auditions, sur la question des droits de visite et d'hébergement pour la famille des enfants placés : nous voudrions avoir votre appréciation sur ce point. Quel impact, selon vous, a eu la fermeture des instituts médico-éducatifs (IME) et des instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (ITEP) pour les enfants en situation de handicap ? Surtout, à l'heure où nous basculons à nouveau dans un dispositif de confinement, quels enseignements ont été tirés de la première phase du printemps ? Comment envisagez-vous la période qui s'ouvre ? Quelles préconisations nous proposez-vous ?

Je vais vous passer la parole, pour une intervention d'environ cinq minutes chacun, ce qui précédera notre échange sous forme de questions-réponses. Avant cela, je vous précise que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous inviterai donc, avant d'intervenir, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

Je vous donne tout de suite la parole à Mme Sophie Pantel, présidente du conseil départemental de Lozère.

(Mme Sophie Pantel prête serment.)

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Sophie Pantel, présidente du conseil départemental de Lozère

Je souhaite, pour expliquer le contexte général qui prévaut en Lozère, indiquer que notre département ne compte que deux Maisons d'enfants à caractère social (MECS), huit lieux de vie, et une cinquantaine d'assistants familiaux. Nous n'avons pas de foyer départemental de l'enfance, et la mission d'accueil d'urgence est assurée par une des deux MECS. Par ailleurs, la Lozère ne compte qu'un seul juge pour enfants, ce qui est à la fois gage de cohérence dans les décisions, mais crée aussi une fragilité dans le fonctionnement.

Pour essayer de balayer vos différentes questions, je vais d'abord intervenir sur le recueil des informations préoccupantes. Je précise que nous avons continué à fonctionner durant le confinement, que ce soit les services de protection maternelle et infantile (PMI) ou les visites à domicile. Dans cette période, la Lozère n'a finalement connu qu'un très faible nombre de malades, et nous avons pu mettre en place les modalités requises pour les structures, sans être confrontés à des absences, par exemple – ce que d'autres départements, surtout dans l'Est et la région parisienne, ont eu à subir. Concrètement, nous avons continué à fonctionner, à accueillir des enfants, à organiser des placements, etc.

Concernant la remontée d'informations préoccupantes, la cellule a fonctionné tout au long du confinement, et les évaluations jugées prioritaires ont été réalisées par les équipes. Néanmoins, nous avons observé une augmentation de 20 % d'informations préoccupantes reçues, tout en restant sur de petits chiffres – en 2019, nous avons enregistré 215 informations préoccupantes, pour un total de 77 000 habitants. Pour l'heure, nous sommes sur une phase d'évaluation de l'information, et il importe de finaliser le travail d'analyse. Quoi qu'il en soit, nous avons noté que le surcroît d'informations remontées correspond à des situations inconnues, relatives à des familles qui n'étaient pas « dans nos radars », ni au département, ni dans les services afférents.

Sur le fonctionnement de l'ASE et l'impact de la crise sanitaire sur les enfants, nos retours, issus d'une évaluation réalisée en interne, y compris sur notre propre fonctionnement, montrent que dans les MECS et les lieux de vie, les jeunes ont été plutôt posés, et ont passé la période sans difficulté majeure. La décision de suspension des visites des parents, en accord avec la juge, n'a pas donné lieu à des incompréhensions, et nous n'avons pas subi de pressions de parents sur ce point.

Dans les MECS, les jeunes ont été confrontés à des difficultés de suivi de la scolarité : problèmes de connexion, suivi des devoirs, etc. La mesure qui est prise aujourd'hui de laisser les jeunes aller à l'école me paraît être bonne, de manière à éviter un certain nombre de décrochages, et ces problématiques que l'on a pu constater au cours du premier confinement.

Du côté des assistants familiaux, la situation a été beaucoup plus complexe. D'abord, les assistants familiaux ont bien souvent leurs propres enfants, et ont donc dû jongler avec le suivi scolaire de leurs propres enfants, des enfants leur étant confiés, en étant enfermés, avec en général un seul ordinateur pour la famille. Cette situation a engendré des frais supplémentaires, en termes de nourriture, d'achats de cartouches d'encre, etc. Nous avons instauré une procédure de suivi des assistants familiaux, pour chercher à savoir comment se passait la période. Nous avons organisé des livraisons de masques et de gel. Dans ces familles, le suivi scolaire a été compliqué, tant pour les enfants que pour les assistants familiaux.

Nous avons eu des points réguliers avec la justice, sans difficulté particulière, et l'accueil d'urgence a été maintenu. Sur le droit à la continuité pédagogique, nous avons constaté, globalement, une difficulté de la part des professeurs pour accompagner les enfants en difficulté. A un moment donné, j'ai appelé le DASEN afin de solliciter un soutien spécifique pour tel ou tel élève, pour telle ou telle famille. Cette façon de faire a permis de résoudre un certain nombre de situations.

Notre département a pu bénéficier du maintien des actions éducatives à domicile (AED) et de actions éducatives en milieu ouvert (AEMO) ; en revanche, les droits de visite ont été complètement suspendus. Dans le cadre d'une décision prise avec la juge pour enfants, leur reprise a été autorisée après avoir rencontré individuellement chacun des parents, ce qui a été l'occasion de leur rappeler les préconisations relatives aux gestes barrières et à un certain nombre d'éléments.

Aujourd'hui, nous avons deux cas de professionnels positifs au Covid au sein d'une MECS. Une assistante familiale est aussi concernée. Aucun enfant ayant eu des symptômes n'a été testé positif. Au final, nous avons donc un bilan de trois professionnels touchés par le Covid sur l'ensemble de nos équipes.

Pendant la crise, nous nous sommes interrogés sur la manière de suivre des enfants en cas d'apparition du virus du Covid dans leur entourage, soit un assistant familial, soit un personnel au sein d'une MECS. Pour s'y préparer, nous avions établi une liste de professionnels ou d'élus volontaires, pour éventuellement se substituer au rôle d'assistant familial. En effet, lorsqu'un assistant familial est malade, nous plaçons habituellement l'enfant dans une autre famille, ce qui était impossible à réaliser en période de confinement. Nous avons donc élaboré une solution alternative permettant de faire face ; heureusement, nous n'avons pas eu besoin de mobiliser ce dispositif.

J'ajoute que lorsque l'agence régionale de santé (ARS) a décidé de fermer des structures - nous avons deux ITEP et IME au sein du département -, nous n'avons pas été associés : il a fallu trouver des places à l'impromptu.

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Merci beaucoup. Pouvez-vous me redire ce que vous avez expliqué à propos des élus qui se sont mobilisés « au cas où », de manière à pouvoir faire face à l'éventualité d'une assistante familiale tombée malade ? Je n'ai pas entendu l'intégralité de ce passage…

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Sophie Pantel, présidente du conseil départemental de Lozère

Nous avions imaginé la situation de familles d'accueil ou de structures de lieux de vie impactées par des cas de Covid. La procédure normale, en cas d'arrêt maladie d'un responsable, consiste à trouver une solution de placement dans une autre famille ou un autre lieu. Or avec le Covid, les enfants devenant cas contacts, voire malades, nous ne pouvions envisager de les transférer au sein d'autres structures ou d'autres familles. Dès lors, nous avions imaginé de mobiliser deux internats parmi ceux qui existent au sein de notre département – l'un à l'est du territoire, l'autre à l'ouest. Nous les avons équipés du matériel nécessaire, et nous avons lancé un appel au volontariat parmi les agents du département, en ciblant d'abord la direction générale en charge des affaires sociales, mais aussi en demandant l'appui d'élus de l'assemblée départementale. Au bout du compte, nous avions donc une liste de personnes susceptibles d'être appelées pour venir en aide en cas de besoin.

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Merci de ces précisions. Il s'agit d'une initiative très intéressante.

Je vais proposer à Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départementale de la Moselle, et à Laurent Zakrzewski, directeur général-adjoint, chargé de la solidarité du conseil départemental de la Moselle, de se partager la parole pour nous exposer la situation de leur département.

(Mme Marie-Louise Kuntz et M. Laurent Zakrzewski prêtent serment)

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Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental de Moselle, déléguée à l'insertion, à l'emploi et à la protection de l'enfance

Le département de la Moselle compte un peu plus d'un million d'habitants, et 1 750 enfants mineurs lui sont confiés, dont 250 dans le cadre du placement à domicile. Nous avons aussi 400 mineurs non accompagnés qui ont été pris en charge après évaluation, 200 mesures d'AED, 1 700 mesures d'AEMO, et 3 737 informations préoccupantes. En septembre, nous avons été auditionnés par la Commission Labazée et le 5 octobre, nous avons signé avec Adrien Taquet le document venant contractualiser pour nos activités de protection de l'enfance.

La crise sanitaire a nécessité l'aménagement et l'adaptation des services et des modalités d'accompagnement des enfants et familles. Notre centre départemental de l'enfance a accueilli 350 enfants qui ont été confinés. Compte tenu des absences parmi le personnel, nous avons lancé un appel à l'Institut régional du travail social (IRTS), et nous avons obtenu l'appui de jeunes de l'IRTS, venus prêter main-forte à nos salariés.

Les 256 assistants familiaux et les 337 enfants qui leur sont confiés n'ont pas rencontré d'importantes difficultés, malgré nos craintes. Nous avons pu apporter une aide importante aux familles d'accueil d'enfants porteurs de handicaps, puisque les IME et les ITEP étaient fermés. Des contacts téléphoniques ont été pris régulièrement, et la relation avec la justice est restée bonne – nous n'avons pas noté d'augmentation des placements. Nous avions identifié certains parents pouvant rencontrer des difficultés ponctuelles, et qui pouvaient avoir besoin de souffler : un accord avec les crèches de différentes communes du département avait été pris en ce sens, pour permettre l'accueil des enfants qu'ils suivent en cas de besoin – à l'instar du dispositif mis en place pour les enfants des professionnels de santé ou de l'éducation nationale.

Le tableau de suivi des informations préoccupantes (IP) n'a pas enregistré d'augmentation massive dans la période, et celle-ci nous a finalement permis de traiter les 180 IP qui étaient en retard.

Je précise que ce sont 36 étudiants de l'IRTS qui sont venus nous épauler, au sein des MECS ou du centre départemental de l'enfance. Grâce à un appel à projets d'EDF auquel nous avions répondu, nous avons bénéficié de cent ordinateurs portables, mis ensuite à disposition des enfants du centre départemental de l'enfance. Les travailleurs sociaux, initialement un peu réticents à l'idée d'un fonctionnement par douze heures consécutives, ont finalement fait le constat d'un bon fonctionnement, dans l'ensemble ; il semble que vis-à-vis des enfants, les douze heures complètes étaient parfois un plus. Ce personnel a fait preuve d'une très grande innovation, et des petits films réalisés autour de ces actions ont été présentés à Adrien Taquet lors de sa venue. Y figuraient notamment des actions des enfants, faisant part de leur ressenti par rapport à ce virus.

Concernant les parents, nous avons malheureusement dû stopper les visites. Cependant, pour que le lien ne soit pas rompu, nous avons organisé des appels téléphoniques et en ligne, profitant de la mise à disposition des ordinateurs pour conserver le contact – au minimum une fois par semaine.

Au sein des services éducatifs renforcés à domicile (SERAD), les visites ont été maintenues : les professionnels, étant équipés, ont continué à se rendre à domicile si besoin. Bien entendu, des appels téléphoniques ont été quasi quotidiens.

Globalement, la période du confinement s'est relativement bien passée, et nous n'avons pas connu d'événement dramatique. Bien entendu, cet épisode aura eu de fortes incidences budgétaires, puisque nous avons équipé tous nos travailleurs sociaux en masques, gel et autres matériels nécessaires. Une prime a été versée à l'issue du premier confinement, pour des montants pouvant atteindre 1 000 euros. Les assistants familiaux ont pour leur part reçu 300 euros par enfant, et 450 euros par enfant porteur de handicaps. Quant aux étudiants qui nous ont prêté main-forte, nous avons pris en charge leurs dépenses supplémentaires.

En conclusion, nous avons travaillé en partenariat avec les associations et la justice, mais aussi l'éducation nationale. Aujourd'hui, nous reprenons ce schéma du partenariat et de l'innovation, en sachant que le maintien des écoles ouvertes sera un soulagement. La question se pose en revanche du contexte particulier lié à l'hommage national à Samuel Paty, à quoi s'ajouteront les répercussions éventuelles sur les transports scolaires pour la journée du 2 novembre. Notre préoccupation vient aussi du fait que des agents techniques des écoles (ATE) craignent de reprendre le travail en collèges ; or le nettoyage et les opérations sanitaires doivent être renforcés au sein des établissements scolaires. Quoi qu'il en soit, nous essaierons de faire au mieux, avec une certaine expérience, désormais. Il me semble bon que les enfants puissent retourner à l'école, même si des interrogations demeurent – quel rythme, quelle organisation dans la durée, etc. ?

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Avant de vous passer la parole, juste une précision : nous sommes enregistrés, et c'est très bien, puisque nous voulons que le plus grand nombre puisse suivre ces auditions. Je vous invite, dans cette optique, à traduire tous les sigles que vous employez ! Ce sera une façon d'aider les participants à mieux comprendre ces débats passionnants – et nous pourrons y revenir. Je pense notamment à cette cohésion que vous aviez su créer avant le confinement, et qui vous a tant servi : nous voulons des recettes, parce qu'il faut généraliser ce dispositif à l'ensemble de la nation, à qui il manque précisément de la cohésion autour de l'enfant. Merci de traduire tous les sigles utilisés, et merci pour les paroles positives et constructives.

(M. Laurent Zakrzewski prête serment.)

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Laurent Zakrzewski, directeur général-adjoint du conseil départemental de la Moselle, chargé de la solidarité

Je n'ai rien à ajouter à ce stade, et pourrai intervenir lors de la séance de questions, Madame la présidente.

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Très bien. Je propose à Isabelle Santiago, qui est conseillère départementale du Val-de-Marne, qui était vice-présidente du conseil départemental chargée de la protection de l'enfance et de la jeunesse jusqu'en septembre 2020, et qui est aujourd'hui députée, de prendre la parole.

(Mme Isabelle Santiago prête serment.)

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Bonjour à tous. Je précise avoir été durant dix ans vice-présidente du conseil départemental en charge de la protection de l'enfance et de la jeunesse, jusqu'en septembre 2020, et suis membre du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE). Aujourd'hui, je suis députée, depuis fin septembre, et présidente de l'ODPE (Observatoire départemental de la protection de l'enfance) pour le Val de Marne.

Concernant la situation vécue durant le confinement, nos territoires ont par nature des approches différentes. Le Val de Marne, qui compte 1,3 million d'habitants, enregistre 6 000 informations préoccupantes, et totalise 5 000 enfants placés, dont 2 500 en AEMO. Je précise que le département dispose de deux pôles pour l'accueil des jeunes : un pôle Enfance et un pôle Adolescence. Ils s'appuient sur cinq foyers publics.

Au moment du confinement, j'ai observé une réelle dynamique des services départementaux, dans leur capacité à se mobiliser et à se croiser dans les dispositifs en place. Nous avions à gérer une problématique de personnel et d'absentéisme, et les ITEP et les IME, qui sont les structures accueillant les enfants porteurs de troubles et de handicaps, ont fermé. Or sur notre territoire du Val-de-Marne, 46 % des enfants placés sont des enfants avec des troubles, porteurs de handicap – souvent autistiques, parfois des situations extrêmement difficiles : j'avais invité Adrien Taquet au début de son mandat de secrétaire d'Etat pour lui montrer les difficultés que nous rencontrions sur ces questions. Avec la fermeture des ITEP et IME, nous avons connu un blocage de fonctionnement, puisque nous étions au complet : la protection de l'enfance n'est pas organisée pour accueillir des enfants en nombre en permanence, et il a fallu agir avec intelligence.

Les collèges étant fermés, nous avons pu employer les cuisiniers en arrêt d'activité, pour qu'ils viennent travailler et préparer des repas dans nos foyers. Nous avons essayé de faire en sorte que la prévention spécialisée intervienne de façon beaucoup plus réactive dans les quartiers, pour un rôle d'appui dans nos foyers. Cela a permis d'avoir un large panel de personnes venues nous apporter leurs ressources et leurs compétences ; de plus, les enfants y ont trouvé des regards nouveaux, avec des activités nouvelles avec les jeunes.

Au sein du pôle Enfants, la problématique majeure a concerné la continuité de la vie scolaire. En l'occurrence, et je m'en suis souvent plaint, nous travaillons sur un domaine qui est certes une compétence départementale, mais qui est à la croisée de nombreuses compétences de l'Etat. Or quand l'Etat est défaillant, ce qui a été le cas lors du confinement, cela devient un problème majeur. Selon moi, la défaillance est ici venue de l'éducation nationale, par le fait qu'aucun des enseignants n'a pris le soin de contacter les enfants pour essayer de mettre en place le suivi scolaire. La direction d'un des foyers, qui accueille des enfants de la maternelle au primaire, a dû appeler 110 enseignants avant de pouvoir obtenir des informations, et cela quinze jours après le début du confinement. Dans l'intervalle, le travail d'organisation pour préserver la sécurité des enfants et instaurer des règles d'accompagnement a mobilisé tous les services, pendant quinze ou vingt jours.

L'un de nos foyers héberge une petite structure scolaire, et nous avons pour elle sollicité la présence d'enseignants. La direction académique des services de l'Éducation nationale (DASEN) m'a indiqué par SMS qu'elle ne pouvait pas dégager de moyens pour nous aider. Face à de telles difficultés, nous avons agi autrement : par exemple, nous avons procédé à des extensions de dispositifs, pour que les assistants familiaux volontaires puissent accueillir des enfants supplémentaires, ceci afin de dégager plus d'espace dans nos foyers. En parallèle, nous avons bien sûr suspendu les visites. Soyons clairs, dans un certain nombre de cas, cette situation a apaisé les enfants. Certaines décisions de justice font que l'enfant se trouve en foyer en semaine, dans un cadre « protection de l'enfance », et se rend en week-end chez ses parents. Dans certains cas, il en découle des difficultés importantes, lorsque les parents sont toxiques. Même si le lien a été maintenu (en visio, par téléphone, etc.), le confinement a été pour certains enfants un moment de stabilité, avec des équipes les accompagnant dans la durée, avec des activités régulières, avec de la quiétude et du calme dans la relation affective.

Dans le cadre de l'AEMO, la CRIP – la cellule de recueil d'informations préoccupantes - est restée ouverte, et nous avons continué à nous rendre à domicile, quand cela était nécessaire, pour les urgences, particulièrement pour les signalements relatifs à des enfants de moins de trois ans. Nous avons aussi travaillé avec les associations habilitées AEMO, dont une qui a inventé un concept efficace, consistant à se rendre à proximité du lieu de domicile des enfants accompagnés, pour animer des consultations de terrain, en lien avec des pédopsychiatres. Il s'agissait aussi de vérifier que le confinement se passait aussi bien que possible pour les enfants maintenus à domicile.

En l'occurrence, nombre d'enfants avaient été placés dans le cadre d'une AEMO déjà connue, et nous avons eu recours à des placements d'urgence – parce que des familles ont dysfonctionné au moment du confinement, alors qu'il existait déjà une décision de mesure éducative. Dans cette période, les services nous ont dit que certains actes étaient graves, et nécessitaient un placement.

Nous avons en revanche assisté à une baisse drastique du nombre d'informations préoccupantes, avec jusqu'à -58 % d'IP durant le confinement, mais un rebond lors du déconfinement, avec aujourd'hui des chiffres très importants : en septembre 2020, nous sommes à 1 702 mesures ordonnées en AEMO, contre 1 305 dans la période précédente. Nombre de familles ont vécu le confinement avec des difficultés, et les conséquences apparaissent maintenant que la reprise scolaire a eu lieu. Le pic est intervenu en septembre, alors même que les enfants étaient à nouveau scolarisés ; c'est à ce moment que la remontée des Informations Préoccupantes a eu lieu.

La problématique est différente s'agissant des adolescents. Certains d'entre eux sont très abîmés, avec des problématiques lourdes, dont certaines enkystées depuis de longues années. Nous sommes face à des cas d'addiction, de prostitution dans certains cas, et bien souvent de difficultés scolaires, avec parfois des déscolarisations. Pour ces jeunes, des ateliers de proximité ont été mis en place, avec un panel de services : prévention spécialisée, cuisiniers de collège, activités sportives, etc. Dans le Val-de-Marne, nous travaillons en lien avec des pédopsychiatres, et nous avons pu organiser des séances en visio lorsque des ados se trouvaient en situation de crise particulièrement grave.

L'addiction a constitué un sujet de préoccupation majeure durant le confinement. En effet, les jeunes adolescents qui y sont confrontés ont besoin de moments de sortie. Leur imposer un confinement n'est pas chose aisée, et la protection de l'enfance, qui n'est pas un centre éducatif fermé, ne peut rien y faire. Sur le plan médico-social, cette difficulté est incontournable. De nombreux jeunes ont reçu des PV pour « non-autorisation de sortie », et nous avons cherché à les accompagner le mieux possible, en lien avec des pédopsychiatres, là encore. Avec le reconfinement actuel, nous serons à nouveau confrontés à cette situation, car il est très difficile de maintenir certains jeunes confinés. Le collectif peut aussi être quelque chose de difficile à vivre, même si nos foyers sont plutôt de belle facture.

Sur le plan du partenariat, nous avons pu travailler de manière satisfaisante avec la Santé, mais j'ai été en colère après les services de l'Education Nationale – ça n'a pas bien fonctionné. Avec la justice, nous avons un partenariat ancien qui fonctionne correctement, dont le principe a toujours été de lutter contre le fonctionnement en silos de l'administration d'Etat. Cela a créé de saines habitudes de travail, que le confinement a renforcées. Néanmoins, des structures ont fermé, et les silos ont perduré çà et là.

Au tout début du confinement, le secteur médico-social avait été complètement oublié : les crèches et les écoles étaient ouvertes pour les personnels des hôpitaux, mais ceux de la protection de l'enfance n'étaient pas couverts, alors même que les services avaient continué à fonctionner 24 heures sur 24. Nous avons insisté pour demander l'élargissement de la mesure des écoles ouvertes aux personnels de la protection de l'enfance. Nous avons obtenu le bénéfice de ce dispositif, mais dix-sept jours – je crois – après le début du confinement, et à l'issue d'une longue bataille. Certains, entretemps, s'étaient organisés différemment, ce qui a perduré, et au final, ce service n'a été que peu utilisé. Néanmoins, il faut être très attentif à ce type de sujets, pour ne pas oublier des secteurs dont le rôle est essentiel en période de crise, notamment le secteur du médico-social, qui se trouve à la croisée de beaucoup d'autres.

Au final, l'expérience aura été très belle, même si le champ social est aujourd'hui en grande souffrance – parce que nous avons du mal à recruter, entre autres problèmes. Les gens ont été admirables ! Nous avons par exemple instauré des cellules Covid au sein de nos foyers, avec un étage dédié, et la mobilisation des équipes de PMI. Sur les vingt-cinq centres de PMI que compte le département, seuls cinq étaient restés ouverts en fonctionnement par pôle, mais tout le personnel PMI (infirmiers, médecins, etc.) était présent au sein des foyers, pour que ceux-ci soient en capacité d'accompagner au mieux les enfants. Nous avons assisté à une dynamique de tous, orientée vers la protection de l'enfance, ce qui a permis une belle réussite. La prime qui a été versée aux personnels par le département me paraît donc plus que méritée, en dépit des inégalités créées entre départements – les collectivités n'ont pas toutes les mêmes moyens, en Ile-de-France, par exemple, l'écart reste fort entre les Hauts-de-Seine et d'autres départements. Pour le Val-de-Marne, cette prime a représenté 7 millions d'euros pour la protection de l'enfance et le secteur des personnes âgées, et nous n'avons pu la verser que ce mois-ci, contre un versement immédiat pour les Hauts-de-Seine. Compte tenu de l'imbrication qui existe entre les secteurs et les périmètres, il faut veiller à prendre des décisions montrant une égalité sur les territoires. Je pense que ça n'a pas été le cas sur ce point.

Je veux enfin préciser que sur les 700 mineurs non accompagnés (MNA) que nous comptons dans le Val-de-Marne, nous menons une bataille en faveur des 18-25 ans, car nous ne voulons pas que des jeunes de 18 ans puissent être mis à la rue. Je suis profondément contre cette vision, et dans le respect du protocole sanitaire, tous les enfants ont été accompagnés. Aujourd'hui, ceux qui atteignent l'âge de 21 ans n'ont pas droit aux aides, car celles ne démarrent pas avant 25 ans ; dans la période actuelle, très difficile sur le plan social, nous sommes face à un immense questionnement. Que faire ? Laisser des jeunes de 21 ans sur le bord du chemin, sans capacité de trouver un emploi ? Nous devons collectivement conduire une réflexion à ce sujet, car la protection de l'enfance est un partenariat commun. En pleine crise sociale, on ne peut laisser des jeunes de 21 ans au bord du chemin, sans relations familiales. Je défends vraiment cette vision de l'accompagnement des jeunes au-delà de 18 ans. Alors que bon nombre d'enfants restent désormais longtemps rattachés au foyer familial, je ne vois pas pourquoi ceux qui relèvent de la protection de l'enfance seraient, eux, lâchés avec quasiment rien, au risque de devoir s'en remettre au 115, pour pallier par exemple des difficultés d'hébergement. Ce sont là de vrais enjeux, et je vais veiller à ce qu'ils soient pris en compte, à mon niveau. Je ne suis plus la vice-présidente du Val-de-Marne en charge de la protection de l'enfance et de la jeunesse, mais je suis la présidente de l'ODPE, et je vais m'atteler à ce dossier dans ce cadre, en souhaitant qu'il puisse être porté de façon transversale avec l'Etat.

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Je vous remercie. Vos témoignages sont très riches, très variés. Ils donnent à voir une vraie palette d'une France diverse. Je laisse à présent son temps de parole à Jeanne Clavel, qui est directrice de la protection de l'enfance et de la famille au sein du département de la Gironde. Il reviendra ensuite à Marie-George Buffet de poser ses questions, avant les éventuelles questions des députés présents.

(Mme Jeanne Clavel prête serment)

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Jeanne Clavel, directrice de la protection de l'enfance et de la famille au sein du département de la Gironde

En introduction, je veux dire que si le confinement a été une période difficile à vivre, très singulière, ce fut aussi une expérience humaine assez extraordinaire. Dès les premiers instants de ce confinement, nos équipes ont vécu un phénomène intéressant, qui est que tout le monde s'est recentré sur l'intérêt de l'enfant. Ce phénomène a été massif et très général. Collectivement, nous nous sommes tous mobilisés, et nous avons assisté à une meilleure coordination des acteurs.

Si l'on entre dans le détail de vos questions, la CRIP est restée ouverte, et le recueil des Informations Préoccupantes s'est poursuivi. Néanmoins, sur les mois de mars, avril et mai, nous avons constaté une baisse de 50 % des informations préoccupantes, dont le nombre a ensuite réaugmenté à partir du mois de juin, pour revenir à son niveau d'avant le confinement – nous n'avons pas d'effets de rattrapage, mais restons sur un niveau haut, un peu supérieur à celui de 2019. Pour essayer d'absorber les évaluations à mener sur ces informations préoccupantes, nous avons convenu, avec nos services, d'utiliser une trame de rapport, ce qui nous a fait gagner du temps. Concrètement, nous avons essayé de rationaliser le contenu des évaluations, en vue de la reprise dès le déconfinement.

Nos établissements ont comme tous connu un fort absentéisme, avec des taux pouvant avoisiner les 25 %. Nous avons lancé un appel à candidatures, tant au sein du conseil départemental que de manière plus large, pour solliciter des bénévoles, prêts à intervenir si nécessaire et venir pallier les absences des professionnels. Nous avons pu constituer un panel de bénévoles très diversifié, dans tous les métiers. L'exercice a été très intéressant, en ce sens qu'il a apporté « un autre regard ». Cela a aussi été l'occasion de soutenir les assistants familiaux, au nombre de 750 en Gironde. Nous avons été en contact téléphonique régulier avec eux ; nous avons communiqué par le biais de SMS collectifs, et avons pu les laisser s'exprimer sur une communauté internet. En somme, nous avons pu échanger sur leurs préoccupations, et aider certains à tenter de surmonter les difficultés auxquelles ils faisaient face – des enfants manifestant des troubles du comportement, des complications en termes d'accompagnement scolaire, etc. Nous avons pu faire intervenir quelques bénévoles auprès des familles d'accueil. Cette solution d'appel à candidature de bénévoles a vraiment donné un souffle à la protection de l'enfance dans un contexte très tendu pour les professionnels du secteur.

La question de l'accueil d'urgence est à relier aux pratiques d'action éducative en milieu ouvert. Celle-ci a continué à fonctionner, suivant un mode adapté : les contacts téléphoniques sont restés très réguliers, des rencontres ont pu être maintenues pour les situations les plus complexes, notamment au pas de la porte du domicile des familles, ou pendant le temps autorisé des sorties – des éducateurs ont utilisé l'autorisation de sortie sur un périmètre d'un kilomètre, pour un entretien avec un enfant à l'occasion d'une balade. Certaines associations ont développé des ateliers pédagogiques, y compris en visio, pour l'aide au devoir.

Certains services d'action éducative en milieu ouvert ont soulevé le fait que l'appel téléphonique permettait certes d'appréhender et d'évaluer un certain nombre de difficultés ou faits précis, mais ne répondait pas au besoin d'un échange authentique, nécessaire pour certaines familles. Il a fallu que les psychologues aident les éducateurs à décortiquer des échanges, notamment ceux qui laissaient poindre des situations d'urgence. Au final, nous avons eu à réaliser quelques placements d'urgence. Le tribunal a fonctionné a minima, tenant audience dans ce cadre d'urgence, et nous avons dénombré entre cinq à sept placements par semaine, en urgence, par suite de la dégradation de situations familiales. Dans les informations préoccupantes reçues pendant le confinement, environ 20 % concernaient des violences conjugales.

En matière d'accueil, le besoin s'est fait sentir d'un accroissement de la coordination pour soutenir les pratiques des familles d'accueil. Le confinement s'est globalement bien passé, que ce soit en famille d'accueil ou dans les établissements, avec des droits de visite et d'hébergement suspendus, en accord avec le tribunal, juste au début du confinement. Comme d'autres départements, nous avons constaté que pour certains enfants, l'interruption de ce droit de visite et d'hébergement avait été source d'apaisement, comme une parenthèse pour ces enfants, qui n'avaient plus à se poser la question suivante : « dois-je aller voir mes parents ? ». Ils n'avaient plus ce sentiment de culpabilité s'ils n'allaient pas les voir, puisque la raison en était extérieure. Nous avons effectivement noté que certains enfants en étaient apaisés, ce qui nous amène à nous interroger sur ce droit de visite et d'hébergement : la justice et l'aide sociale à l'enfance n'ont-elles pas quelquefois un regard trop « familialiste » ? Cela renvoie aussi, au-delà même du confinement, à toute la question de l'acceptation du délaissement parental et au processus d'adoption. D'un certain point de vue, ce contexte a pu remettre en cause une représentation des liens familiaux.

La reprise des droits de visite a évidemment eu lieu avec le déconfinement. En l'occurrence, cette situation a été compliquée pour les assistants familiaux, qui redoutaient fortement la mise en œuvre des consignes sanitaires dans ce cadre. Nous avons donc instauré un protocole précis. Avant toute rencontre, un entretien devait avoir lieu avec les parents, qui se voyaient soumettre un questionnaire, et qui devaient signer une charte d'engagement. Ce dispositif a plutôt bien fonctionné, et a permis de rassurer les uns et les autres.

Comme les autres départements, nous avons été très impactés par la fermeture des ITEP et des IME. En Gironde, toutefois, ils n'étaient pas officiellement fermés, ce a finalement ajouté de la complexité. Concrètement, des contacts téléphoniques ont perduré avec certains enfants, mais de façon marginale. Au final, la situation aura été très difficile pour les accueillants, familles d'accueil ou établissements, parce que des enfants qui présentent des troubles sévères, qui sont à la fois accueillis en protection de l'enfance et dans un cadre médico-social, ont besoin d'un parcours d'accueil. Je précise que certains enfants sont en lien avec une famille-relais, ce qui sert de soupape, dans des moments de crise : avec le confinement, ce rôle de la famille-relais a disparu, et des enfants qui en auraient eu besoin sont restés 24 heures sur 24 sur un même lieu, sans soin. C'est pour moi un enseignement majeur de ce premier confinement, dans la perspective du prochain qui arrive. Nous avons absolument besoin d'une collaboration avec le médico-social : la protection à l'enfance ne peut pas fonctionner sans le médico-social et sans le volet sanitaire.

Je rejoins aussi une remarque qui a été formulée à propos des adolescents, notamment ceux qui sont dans des processus d'addiction voire de prostitution. Dans la protection de l'enfance, nous sommes confrontés à ce type de problématiques de manière récurrente. Cela a été une vraie difficulté pour les professionnels, car ces jeunes ont tendance à sortir, à faire des fugues de courte durée, ce qui a généré du stress pour les autres adolescents, qui ne sortaient pas. Potentiellement, l'adolescent qui fuguait pouvait revenir avec le Covid, ce qui a provoqué des situations extrêmement difficiles à gérer pour les éducateurs, parfois assez violentes.

Nos équipes se préparent au nouveau confinement avec beaucoup de questions, en particulier sur la façon d'organiser les droits de visite et d'hébergement – faut-il les suspendre, comme on l'a fait lors du dernier confinement, alors même que les enfants vont circuler, pour aller à l'école ? Faut-il trouver un aménagement, en se focalisant sur les visites, et en continuant de suspendre les droits d'hébergement ? Nous n'avons pas encore répondu à ce type d'interrogations.

En tout cas, ce confinement aura été une belle parenthèse humaine et une prise de conscience qu'il faut vraiment rester centré sur l'intérêt de l'enfant, quand nous sommes parfois pris par la dimension administrative et réglementaire de nos postes. De ce point de vue, l'expérience a été enrichissante. En revanche, cette période a amplifié les difficultés pour un certain nombre de familles, et ce ne fut pas simple à gérer. Merci beaucoup.

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Des familles plongées dans une grande solitude, pour le coup.

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Jeanne Clavel, directrice de la protection de l'enfance et de la famille au sein du département de la Gironde

Tout à fait.

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Nous devons travailler à des solutions à leur proposer, notamment avec ce nouveau confinement qui arrive. Ces familles sont extrêmement isolées du reste du dispositif.

Je vais donner immédiatement la parole à Madame Marie-George Buffet, qui a une série de questions à vous poser. Nous écouterons ensuite les autres députés présents.

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Merci Mme la présidente. Merci Mesdames, les élues, pour vos propos qui sont assez remarquables pour les questionnements qu'ils soulèvent. Je voudrais d'abord saluer votre mobilisation, la mobilisation des élus, mais également de l'ensemble des personnels de la protection de l'enfance et du secteur médico-social. Je salue votre mobilisation, mais surtout vos prises d'initiatives donnant à voir la capacité des élus et des personnels des collectivités territoriales, pour faire face à une situation de crise.

Je suis très intéressée par les problématiques que vous avez avancées, à propos par exemple de la suspension des visites. Faut-il poursuivre dans cette voie avec le nouveau confinement ? Bien sûr, la réaction première d'une personne qui n'est pas plongée dans le domaine de la protection de l'enfance pourrait être d'y voir une erreur grave, mais à plusieurs reprises, vous avez dit que cela avait parfois soulagé des enfants, que cela avait pu être pour eux une pause.

Vous évoquez aussi la question des addictions, de la prostitution, des sorties autorisées, et j'ai finalement le sentiment d'une forme d'isolement de vos services. La protection de l'enfance étant de la responsabilité des conseils départementaux, chacun d'eux, en application des lois existantes, mène son action dans ce domaine. Quelle aide avez-vous pour résoudre ce genre de problèmes, pour vous aider à vous prononcer sur une question telle que la suspension ou non des visites ? Quel rapport avez-vous avec le ministère de M. Taquet ? Quelle concertation avez-vous avec ce ministère ? Eprouvez-vous le besoin d'une consolidation du rôle de l'Etat dans la protection de l'enfance, à vos côtés – sans enlever aux départements cette responsabilité ? J'ai le sentiment qu'il y a là une véritable question à creuser, et peut-être une préconisation à formuler, pour un rapport plus intense entre le rôle de l'Etat sur la protection de l'enfance et la responsabilité départementale sur cette question.

Dans le même ordre d'idées, j'aimerais avoir votre ressenti quant au soutien des préfectures. Ont-elles été selon vous très active pour coordonner des réponses ? Par exemple, y a-t-il un soutien préfectoral vis-à-vis des problèmes rencontrés par le Val-de-Marne dans son lien avec l'éducation nationale ? J'ai eu le sentiment, à vous entendre, que les relations avaient plutôt bien fonctionné avec la justice et les juges pour enfants, mais si nécessaire, y a-t-il eu un apport des préfectures ? Comment avez-vous vécu le rôle des préfectures dans ces moments ? Qu'attendez-vous d'elles, alors même que l'Etat a annoncé que les préfets et les collectivités territoriales étaient en responsabilité pendant ce confinement ?

Enfin, je voudrais dire à Mme Santiago que je serais tout à fait mobilisée à ses côtés sur la question des 18-25 ans. Je pense que nous évoquerons ce sujet dans d'autres auditions, car il constitue un problème récurrent : on ne doit pas laisser ces enfants partir « sèchement » à dix-huit ans.

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Merci. La réponse est au choix des interlocuteurs : il vous suffit de vous manifester pour pouvoir répondre à Marie-George Buffet.

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Sur la suspension des visites, je crois vraiment qu'il faut une réponse coordonnée avec la justice, ce qui est toute la difficulté de la protection à l'enfance. Nous travaillons bien évidemment de manière coordonnée avec les services de la justice, et dans le Val-de-Marne, 90 % des mesures sont des mesures judiciaires. Je suis partisane, dans la période actuelle, du fait que les décisions de suspension des visites, si elles sont nécessaires, soient prises, et que les services agissent ensuite en coordination avec les juges pour enfants. Notre organisation, telle qu'elle est conçue, relie chaque enfant à un juge, et il nous faut contacter chaque juge afin de connaître sa décision ; sur le plan administratif, cela rend les choses plus complexes. En tout état de cause, je pense que dans les périodes de confinement, cette solution de la suspension des visites offre de l'apaisement. Néanmoins, cela pose une question de fond, qu'il nous faudra traiter ultérieurement : il y a un vrai sujet à traiter pour des enfants dont certains sont soumis à des moments très toxiques quand ils se rendent en famille le week-end. Pour différentes raisons, certains sont en vraie difficulté quand ils reviennent de visite. Cela soulève des interrogations, et nous devons être en capacité d'y répondre. Nos services vont en tout cas y travailler.

S'agissant du volet relatif aux addictions et à la prostitution, nous menons un travail de longue date, au sein du CNPE notamment. Récemment, Adrien Taquet a lancé une commission autour de la prostitution, et j'avais eu l'occasion de le voir sur ces questions, à l'époque où j'étais vice-présidente chargée de la protection de l'enfance et de la jeunesse. C'est un sujet majeur, et actuellement, la prostitution peut concerner de très jeunes mineures – nous parlons bien de très jeunes filles, qui peuvent avoir douze ou treize ans, voire onze ans ! Ce n'est pas directement l'objet de l'enquête, mais cette problématique est bien réelle, avec des ramifications complexes – des voitures Uber, qui viennent les chercher, etc.

Dans ce domaine, nous travaillons en lien avec la préfecture et la procureure. Il y a trois ans, nous avons mis en place une commission spécifique, et nous avons été parmi les premiers départements à travailler très fortement cette question en réunion transversale. Les réponses ne sont pas simples, et le confinement ajoute à la difficulté. De nouveau, nous allons être confrontés à un contexte difficile : les addictions, les jeunes qui sortent et reviennent, et qui ont potentiellement le Covid, etc. Un jeune fugueur doit néanmoins être ré-accueilli à son retour, car on ne va pas les mettre encore en plus grande difficulté. Au final, le pôle Adolescence doit faire face à ces spécificités.

Pour répondre à Marie-George Buffet sur la question du soutien de la préfecture, je constate que durant le confinement, nous n'avons pas eu de lien direct avec les services de la préfecture, et nous avons plutôt fonctionné par des passerelles – par exemple un accès avec la DASEN face à un problème rencontré avec l'éducation nationale, ou une discussion directe avec l'ARS. La préfecture ne nous a pas contactés officiellement autour des questions médico-sociales, sachant qu'en cas de soucis spécifiques, je pouvais contacter directement Adrien Taquet, avec qui un lien a été maintenu dans la période.

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Et quel est votre avis quant à une consolidation du rôle de l'Etat sur la protection de l'enfance ?

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Nous abordons cette réflexion depuis un certain temps au sein du CNPE, et la loi du 14 mars 2016, portée par Laurence Rossignol, a déjà modifié la vision de la loi de 2007. Je crois qu'il faut à nouveau approfondir cette question, car il est important que l'Etat joue son rôle. En tant qu'élue locale et aujourd'hui députée, je veux mener ce combat des inégalités territoriales dans la protection de l'enfance : le fait qu'il n'y ait pas de colonne vertébrale sur ce sujet, dans l'intérêt de l'enfant, pose problème. Je rappelle que très prochainement, la France devra répondre à l'ONU sur la question des droits de l'enfant. L'Etat a une responsabilité, alors même que la décentralisation crée de la différenciation : certains départements font des sorties sèches à dix-huit ans, d'autres non ; l'accompagnement des jeunes varie d'un territoire à un autre, etc. Au final, il y a trop d'inégalités. Selon moi, il faudrait une colonne vertébrale, pour qu'au moins, les enfants de France puissent bénéficier d'un même accueil. Le CNPE y réfléchit, pour essayer d'introduire de la réglementation. Je sais qu'Adrien Taquet travaille à un texte visant à regrouper différents organismes autour de l'enfance. Je plaide en tout cas pour qu'une colonne vertébrale soit élaborée, pouvant irriguer ensuite une politique de l'enfance et du droit des enfants en France. La protection de l'enfance doit évidemment en faire partie.

Une partie des questions soulevées doit être traitée en lien avec la justice, car les adolescents qui vont mal ont des parcours marqués par des carences et des psychotraumas. Avec la procureure, j'ai étudié les dossiers des jeunes filles qui subissent des faits de prostitution : en l'occurrence, il apparaît que ce sont souvent des jeunes qui ont des mesures d'AEMO, des placements, suivis de retour en famille, etc. Souvent, les énormes difficultés qui apparaissent à douze ou quatorze ans sont le fruit de longues années de problématiques lourdes ; ceci implique de faire attention aux décisions de justice qui peuvent être prises au plus jeune âge, toujours dans l'intérêt de l'enfant. Nous avons vu qu'avec le confinement, certains enfants étaient apaisés quand ils ne retournaient pas chez eux le week-end. Si l'intérêt de l'enfant prime, il faut que la protection de l'enfance puisse expliquer ce type de situations à la justice. Une réponse consistant en trois mois d'AEMO n'est pas forcément pertinente, sachant qu'une visite mensuelle ne va pas résoudre les problèmes d'un jeune qui ne va pas bien. Nous avons pour notre part recouru à un dispositif d'AEMO renforcé, pour que les personnels des associations soient encore plus près des familles.

Je crois qu'il y a matière à s'améliorer dans le champ du travail social. Nous construisons l'avenir de futurs citoyens, et il est important de les accompagner au plus bel âge : les jeunes se construisent à ce moment. Dans le Val-de-Marne, nous travaillons beaucoup avec la pédopsychiatrie, ce qui est une chance, mais tous les territoires ne bénéficient pas de cette compétence en proximité.

J'espère avoir répondu à vos interrogations.

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Merci. Je donne la parole à Régis Juanico, qui a une question à vous poser.

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Je veux remercier les élus des conseils départementaux qui se sont exprimés ce matin, qui ont témoigné de leur expérience par rapport à la première phase de confinement/déconfinement, et des leçons à en tirer. Je suis moi-même conseiller départemental de la Loire, et, comme ma collègue Isabelle Santiago, du groupe Socialistes et Apparentés. Je me suis beaucoup reconnu dans ses constats, en particulier quand elle a pointé du doigt le fonctionnement en silos des administrations de l'Etat. A contrario, les conseils départementaux ont fait preuve de fortes capacités d'adaptation, ce qui a d'ailleurs été souligné. Le rapport Lizurey pointe ce défaut attaché au fonctionnement en silos des administrations de l'Etat, et surtout le fait qu'aucune leçon n'a été tirée de la première phase de confinement : les administrations se sont remises à fonctionner, du côté de l'Etat, exactement de la même façon qu'elles le faisaient avant.

Isabelle Santiago a évoqué ces capacités d'adaptation, notamment entre les services des conseils départementaux. Je souhaite aussi, à travers l'audition que nous tenons ce matin, remercier tous les personnels médico-sociaux, et aussi de la protection de l'enfance, qui ont été admirables, et qui font honneur au service public dans nos départements.

Alors qu'un deuxième confinement arrive ce soir, pour une durée indéterminée, quelles sont pour vous, au niveau des conseils départementaux, les bonnes expériences à retirer de la première phase ?

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Sophie Pantel, présidente du conseil départemental de Lozère

Je prends la parole, et souhaite d'abord répondre à Mme Buffet.

Je partage ce qui a été dit par Isabelle Santiago et Marie-George Buffet sur les enfants qu'on ne peut laisser à la rue à dix-huit ans. La Lozère fait partie des départements qui signent des contrats « jeunes majeurs », mais je crois qu'il est possible d'améliorer encore cette prise en charge au-delà de dix-huit ans.

Sur les relations à la préfecture, je constate que pendant les centres opérationnels départementaux (COD) de confinement, peu de choses ont intéressé les services préfectoraux, à part les mesures d'ordre public, de contrôle. Initialement, nous n'étions pas invités à ces COD, et il a fallu demander des explications, pour y être associés. Lors de ces réunions, je suis intervenue pour présenter les actions du conseil départemental, avant de me rendre compte que l'écoute était faible. Nous avons donc cessé d'intervenir à ce sujet. En matière de protection de l'enfance, nous n'avons jamais été interrogés : on ne nous a jamais demandé si tout allait bien. Je pense sincèrement que bon nombre de services de l'Etat ne connaissent pas les compétences et les missions des conseils départementaux ; y compris lorsqu'il s'agissait des EHPAD, nous avons dû rappeler que nous étions l'autorité de tutelle. Hier soir, le Président de la République annonçait que les personnes vulnérables bénéficieraient d'un accompagnement « grâce aux présidents d'agglomération et de communautés de communes » : une fois de plus, c'est une méconnaissance de l'action des départements.

D'une manière générale, je suis pour un Etat fort, mais je ne suis pas pour un Etat qui transforme les collectivités territoriales en auxiliaires. Or depuis des années, nous ne vivons qu'ainsi. Des décisions sont prises, des décrets paraissent, puis l'on nous demande, sous forme de contractualisation, de signer des engagements dans tous les domaines. En somme, on nous confie le travail, puis l'on vient nous contrôler, pour nous dire ce qui est bien et ce qui n'est pas bien… Je ne veux pas de cet Etat. S'il s'agit d'installer un référent Protection de l'enfance au sein des préfectures ou de l'ARS, cela n'a aucun intérêt. En effet, ce sont les conseils départementaux qui continueront à faire le travail sur le terrain.

En revanche, il faut que l'Etat prenne toute sa place, et rien que sa place, à commencer par assumer toutes les missions régaliennes – je pense à la santé, notamment. En Lozère, par exemple, nous n'avons pas d'hôpital de nuit pour les enfants, ce qui signifie que s'ils doivent être hospitalisés en cas de crise, nos services les récupèrent le soir, tout comme le week-end. J'attends de l'Etat qu'il déploie les moyens de nature à assurer une égalité entre les territoires pour ce qui est des services de prise en charge. Si nous avons réussi à surmonter la phase de confinement en protection de l'enfance, c'est aussi parce que notre département accueille de nombreux établissements pour personnes handicapées, et que nous avons pu trouver là des relais avec des médecins psychiatres ; en revanche, nous n'avons pas trouvé ces relais au sein de l'hôpital public de Mende.

Selon moi, le rôle de l'Etat est celui-là : apporter, sur chacun de nos territoires, les outils permettant de lutter contre les inégalités territoriales. Ce n'est sûrement pas de nous proposer de nouveaux référents et je ne sais quelle contractualisation.

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Vos propos m'amènent à un certain nombre de questions, mais je vous suggère aussi d'aller plus loin, en nous faisant des préconisations, que nous pourrions porter à l'issue de ce rapport. Ces préconisations devront nous parvenir avant le 19 novembre. Auparavant, je donne la parole à la Moselle.

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Laurent Zakrzewski, directeur général-adjoint du conseil départemental de la Moselle, chargé de la solidarité

Je vais donner mon regard de technicien - et Madame Kuntz apportera son regard d'élue – suite aux questions posées par Mme Buffet, que je salue.

Sur la question des droits de visite et d'hébergement, je suis aussi dans la lignée de ce qui a été dit. Nous devons travailler plus étroitement avec la justice. Nous l'alimentons d'un certain nombre de préconisations, analyses et rapports sur la situation des enfants ; il faut que nous soyons davantage ensuite dans une écoute, dans une pédagogie particulière, pour que nos messages puissent passer le plus efficacement possible. D'une manière générale, nous ne savons pas encore aujourd'hui si nous suspendrons tous les droits de visite et d'hébergement. A date, nous avons tendance à penser que non, mais nous verrons quelle sera l'évolution de la situation, en fonction des précisions apportées par le Premier ministre. Compte tenu du fait que les écoles vont rester ouvertes, et que la vie des enfants différera de celle du confinement du printemps, il me semble important de maintenir un lien familial. Encore une fois, cela devra s'étudier au regard des situations individuelles, des parcours individuels, et au moment où la question se pose.

S'agissant des relations avec la préfecture, nous rejoignons, avec Madame Kuntz, ce que vient de dire Madame Pantel : nous nous inscrivons de la même manière dans ses propos. En Moselle, des réunions de concertation ont été organisées juste avant le début du confinement, sur la prise en charge des enfants des publics prioritaires. Cette cellule, installée le samedi ayant précédé le démarrage du confinement, a perduré tout au long de celui-ci. Nous y avons été invités, car étant directement concernés, notamment à travers la PMI, et nous avons pu passer un certain nombre de messages. En dehors de cela, et en dehors des relations directes entre le président du département et le préfet, nous n'avons pas été invités à nous exprimer et à donner notre opinion au sein d'autres instances.

J'ajoute que des services de l'Etat ont découvert que le département de la Moselle avait 1 850 enfants confiés, répartis dans une vingtaine d'établissements, et que cela posait des problèmes et des questions sur le suivi éducatif. Nous avons rédigé un courrier au ministre de l'Education nationale, mais n'avons pas eu de réponse sur une prise en charge éducative des enfants dans les MECS, alors que l'on sait que les enfants placés ont des difficultés scolaires exacerbées par rapport à d'autres enfants.

Sur le rôle de l'Etat dans le portage de la politique de l'enfance, je voudrais partager à la fois mes questionnements et mes doutes. Renforcer la place de l'Etat, oui, mais pourquoi ? Quelles sont les raisons qui motivent ce renforcement de la place de l'Etat dans la politique de l'enfance ? Sont-ce de bonnes raisons, ou de mauvaises raisons ? Que l'on nous dise pour cela pourquoi l'Etat souhaite renforcer sa place en matière de politique de l'enfance.

Par ailleurs, comment cette évolution prendrait-elle forme au quotidien ? Nous allons peut-être élargir le spectre des participants et des personnes pouvant donner un avis et prescrire un certain nombre de choses, ce qui donnera lieu à une émulation collective intéressante, mais cela suppose de bien connaître le rôle de l'Etat dans un tel mouvement : sera-ce un Etat conseiller, accompagnateur, censeur ? Là aussi, nous nous inscrivons dans les propos de Madame la présidente Pantel : les contractualisations aujourd'hui signées avec l'Etat, dans les domaines de la pauvreté et de l'enfance, sont une opportunité formidable pour les mosellans et les mosellanes, mais nous restons très vigilants quant à la manière dont les leviers d'action se mettent en place, se construisent avec les services déconcentrés de l'Etat. Effectivement, nous pouvons avoir l'impression d'être autour de la table pour rendre des comptes sur tout ce qui a été fait depuis les lois de décentralisation – avant même de commencer quelque chose. On nous dit, à mots un peu découverts, que l'on n'a pas fait suffisamment notre travail, mais qu'un certain nombre de services de l'Etat sont désormais présents pour nous aider et nous accompagner. Face à ce discours, j'ai demandé à ces mêmes services quelles étaient leurs propositions… J'attends encore les réponses.

Oui à la place de l'Etat, dans son essence même, dans son essence démocratique, républicaine, d'égalité sur les territoires. Attention toutefois à la posture et aux raisons qui motivent cette place, tout particulièrement dans le domaine de l'enfance.

Enfin, la question a été posée des expériences à reproduire à nouveau aujourd'hui. Encore une fois, la situation ne sera pas la même qu'au printemps. La possibilité de scolarisation, prépondérante, sera une donnée importante dans ce que l'on pourra mobiliser sur l'accompagnement des enfants. Alors que dans la première phase, nous avions pu proposer des modalités de travail éducatif spécifiques, en passant sur un rythme de douze heures, avec à la clé un certain nombre de résultats éducatifs et pédagogiques, le cadre sera différent pour ce second confinement : les enfants seront dans un rythme normal, par rapport à ce qu'ils vivent normalement dans les établissements. Dès lors, nous serons attentifs à la question des droits de visite, comme indiqué, mais aussi au besoin de faire en sorte que les personnels des établissements – MECS et CDE (centre départemental de l'enfance) – soient en nombre suffisant, et ne soient pas touchés par le virus. Autant dans la première situation, nous avons pu instituer des renforts, autant cette fois-ci, les renforts se compteront sur les doigts d'une main. Nous serons très attentifs à ce que le rapport entre les éducateurs et les enfants au sein des établissements reste suffisant et de nature à garantir que tout se passe bien dans les moments d'hébergement.

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Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental de Moselle, déléguée à l'insertion, à l'emploi et à la protection de l'enfance

Laurent a balayé tous nos points de réflexion, et je partage également les propos tenus par Madame Pantel. Je pense d'ailleurs que l'essentiel des départements sont sur cet axe. Effectivement, nous avons besoin de l'Etat, mais nous avons aussi bien fait notre travail. A une autre époque, la protection de l'enfance relevait de l'Etat, via les directions départementales des affaires sanitaires et sociales ; je ne crois pas que le bilan était meilleur. En outre, les enfants ont changé, et il faut s'adapter, trouver de nouvelles solutions, avancer sur de nouvelles voies. En Moselle, nous avons par exemple un projet Mousqueton qui vise à lutter contre les fugues. Nous avons aussi un projet Caméléon, qui a été présenté à Adrien Taquet. Sur ces sujets, les expérimentations départementales doivent pouvoir être dupliquées dans d'autres endroits, sans forcément que l'Etat ne s'y immisce – nous savons faire, nous savons travailler ensemble, y compris en visio, etc. Enfin, nous ne laissons pas les jeunes au bord de la route, et je pense que la plupart des départements ont appliqué le droit au retour. Finalement, la question reste celle des moyens financiers. En l'occurrence, les départements se sont vus adjoindre de nouvelles compétences, sans compensation budgétaire. Dès lors qu'ils en ont les moyens, les départements sont prêts à agir, et ce point doit faire partie des discussions avec l'Etat, pour aboutir à une juste compensation du travail réalisé.

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J'ai bien entendu le message relatif au rôle de l'Etat, et notamment ce qui vient d'être dit sur la nécessaire compensation face aux nouvelles responsabilités que vous assumez. Ce message sera transmis. Merci.

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Merci Marie-George. Je conclus en vous faisant part d'une batterie de questions, et vous pourrez me donner des réponses écrites.

D'abord, je m'associe, et je pense que tous mes collègues, tous bords confondus, s'associent aux remerciements de Régis Juanico. Nous sommes pleins de reconnaissance vis-à-vis de vos engagements respectifs, parce que « vos » enfants, ceux de la protection à l'enfance, sont un peu les nôtres, et aussi l'avenir de la France. Cet engagement maximal que nous ressentons est une force, et nous vous en sommes très reconnaissants. Je pense que vous devriez organiser un glossaire de vos bonnes idées et de vos bonnes pratiques, ce qui permettrait de le décliner.

Je pense qu'il faut aussi retenir cette question des ATE, les agents techniques des écoles, qui ont très peur de revenir ; c'est une vraie problématique, car sans eux, et sans considération de ce problème, le reste ne suivra pas. Comment aider les familles d'accueil, terriblement seules, face à d'immenses responsabilités, qui sont décuplées ? C'est trop pour elles, probablement : alors comment faire ? Quelles addictions nouvelles, et quelles questions sur la prostitution, également ? Les réseaux sociaux sont-ils en cause ? Quels types d'addictions ? Et pour des prostitutions qui démarrent à onze ans, quelles nouvelles typologies d'adultes nuisibles voit-on apparaître avec le Covid, et avec les réseaux sociaux, éventuellement ?

J'ai aussi une question sur les dispositifs de pédopsychiatrie en visio : vous dites que cela fonctionne, et il serait bien d'en dire davantage – c'est un pis-aller, mais si cela peut fonctionner, il faut pouvoir le décliner. Enfin, j'aimerais savoir ce que vous disent les jeunes face à ce nouveau confinement.

Je n'attends pas ici de réponses, car nous sommes déjà en retard, et que nous devons absolument entendre les associations, mais nous pourrons échanger ensuite par écrit. Je vous remercie tous de votre participation, qui était extrêmement riche, et je clos cette commission. Merci à toutes et à tous.

La table ronde s'achève à onze heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 10 heures 15

Présents. – Mme Marie-George Buffet, M. Régis Juanico, Mme Sandrine Mörch

Excusé. - M. Bertrand Sorre