Intervention de Sophie Giaretti

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Sophie Giaretti, conseillère nationale au Syndicat des enseignants de l'UNSA (SE-UNSA) :

La proposition de résolution portant création de la commission d'enquête, que vous nous avez transmise, s'ouvre sur l'alerte de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) concernant l'inquiétude, l'anxiété et la peur que peuvent ressentir les enfants, ainsi que sur les conséquences psychiques et sociales du Covid-19. Outre le fait que ces ressentis sont réducteurs au regard de nos observations de terrain, nous nous trouvons ici au cœur du travail que les psychologues de l'Éducation nationale doivent pouvoir mener auprès des enfants et des adolescents.

En effet, l'évaluation individuelle, au cas par cas, des impacts psychologiques de la crise sanitaire sur les enfants et les adolescents appartient aux psychologues. Ce sont des professionnels formés au recueil et à l'accueil de la parole dans le cadre d'entretiens cliniques, à l'évaluation psychologique et au repérage d'éventuels signes de souffrance, de peur, de mal-être. Veiller au bien-être des enfants et des adolescents constitue une condition sine qua non d'une scolarité épanouissante et la base de toute prévention du décrochage.

Or durant la période de confinement, les psychologues de l'Éducation nationale – du premier degré, du second degré, spécialisés en éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle (EDO) ou spécialisés en éducation, développement et apprentissages (EDA) – n'ont jamais été sollicités de manière directe. Il n'a toujours été question que de continuité pédagogique et d'adresse aux enseignants. Il est très important, au vu des objectifs que la commission s'est fixés, que les psys-EN soient intégrés aux préconisations qu'elle formulera, du moins si le travail attendu ne se limite pas – comme le mentionne la proposition de résolution – aux seuls aspects scolaires ou infectieux.

Profitons d'ailleurs de cette occasion pour rappeler quelques chiffres. En France, l'on compte près de sept-mille psychologues de l'Éducation nationale, pour environ six millions d'enfants dans le premier degré, trois millions de collégiens, deux millions de lycées, deux millions d'étudiants. Tous n'ont sans doute pas besoin d'une évaluation ou d'un accompagnement individuel par un psychologue. Cependant, se préoccuper de la santé psychique des enfants et des adolescents – un rapport d'enquête sur la santé mentale des élèves de troisième a été publié au mois de septembre – doit être concrétisé par davantage de psys-EN sur le terrain.

S'agissant du décrochage, la commission évoque une attente chiffrée et quantitative. Or il nous paraît important de ne pas nous en tenir uniquement aux chiffres, mais également de réfléchir à l'aspect qualitatif de l'accompagnement à mettre en place auprès des enfants, des adolescents et de leurs familles, sachant que le décrochage est aussi une histoire de famille. Le raccrochage à l'école, ce n'est pas seulement et ce n'est pas prioritairement une question de maintien de continuité pédagogique. C'est aussi et avant tout, souvent, une histoire affective, relationnelle, de liens, motivationnelle, de bien-être, qu'il est important de pouvoir restaurer. D'où l'importance des propos précédemment exprimés.

Depuis la rentrée, nous sommes confrontés à de plus en plus d'enfants et adolescents qui, s'ils ne sont pas en situation de décrochage, sont en situation d'évitement de l'école ou de refus ponctuel. Il s'agit par ailleurs d'enfants qui, jusqu'à présent, n'étaient pas nécessairement en difficulté d'accroche avec l'école. Bien sûr, la situation qu'ils viennent de vivre y est pour beaucoup. Pour certains, le déclencheur est la peur ou l'inquiétude résultant des règles sanitaires à respecter, qui peuvent être anxiogènes ; d'un parent qui ne va pas bien, qui a peut-être perdu un emploi, qui est peut-être souffrant, qui est fragile, qui est confronté à des difficultés financières ; d'une rupture familiale, qui a peut-être pu se produire durant cette période. Bien sûr, ce sont autant de phénomènes susceptibles de se produire indépendamment de la crise sanitaire. Toutefois, ces derniers ont été particulièrement vivaces en cette période.

Au contraire, pour d'autres enfants, la situation de confinement a apporté un mieux-être. Nous avons parfois tendance à les oublier, car ceux-ci ne se sont pas manifestés durant le confinement et se sont contentés de travailler. Il s'agit d'enfants et d'adolescents qui, jusqu'alors, et pour diverses raisons, vivaient plus ou moins bien ou plus ou moins mal leur scolarité. Lors du retour à l'école en septembre, les difficultés qu'ils croyaient envolées leur reviennent de manière beaucoup plus prégnante, sans qu'ils ne comprennent pourquoi, dans la mesure où ils se portaient relativement bien depuis le confinement.

Le possible retard dans les apprentissages est généralement mentionné au titre des impacts du Covid-19. Pour leur part, les psychologues de l'Éducation nationale s'interrogent également sur les impacts plus profonds de cette situation sur le développement des fonctions cognitives des enfants et des adolescents. Nous évoquions précédemment le développement du langage, mais nous pouvons aussi parler de la mémorisation, de la motricité, de l'attention, qui s'avèrent problématiques pour certains. Les plus jeunes sont souvent les premiers concernés, mais ces problématiques s'avèrent également très prégnantes au collège.

Enfin, j'observe qu'il est écrit, dans l'un de documents que nous avons reçu : « L'école est au centre de toutes les problématiques médico-sociales ». Au vu de mes précédents propos et des précédentes interventions, vous aurez compris qu'il serait sans doute judicieux de compléter cette formule par le terme « médico-psycho-sociales », afin de ne pas oublier les enjeux motivationnels, relationnels (liens de la famille avec l'école, liens dans la famille, etc.), psychiques et développementaux de ces enfants et de ces adolescents.

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