Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 15 octobre 2020

La séance est ouverte à neuf heures.

Présidence de Mme Christine Cloarec, présidente

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour poursuivre les auditions de notre commission d'enquête et aborder la scolarité des enfants et adolescents et les enjeux de la continuité pédagogique durant la crise sanitaire. Nous débuterons nos travaux par l'audition d'organisations représentant les enseignants et les personnels de direction de l'éducation nationale. Nous entendrons ensuite des associations de parents d'élèves, puis des recteurs d'académie et des organisations représentant les médecins, infirmiers et psychologues scolaires. Ce cycle d'auditions sera complété par celle du ministre de l'Éducation nationale, M. Jean-Michel Blanquer, jeudi prochain à neuf heures.

Nous recevons à présent Mme Guislaine David, co-secrétaire générale du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUipp-FSU) ; Mme Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat des enseignants de l'UNSA (SE-UNSA) et Mme Sophie Giaretti, conseillère nationale ; Mme Géraldine Duriez, secrétaire nationale du Syndicat national des enseignants du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU) et Mme Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe ; M. Bruno Bobkiewicz, secrétaire national du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN-UNSA).

Il nous a semblé essentiel d'obtenir votre éclairage sur l'impact de la crise sanitaire sur la scolarité des enfants. Comme nous l'avons entendu à plusieurs reprises lors de nos précédentes auditions, l'interruption de la scolarité constitue l'un des enjeux majeurs de cette crise. En effet, si l'école est avant tout le lieu des apprentissages pour les enfants, elle est aussi le lieu de leur socialisation, celui des échanges avec les autres. Elle est aussi le lieu où certains enfants prennent leur seul repas complet de la journée et celui où des cas de maltraitance peuvent être détectés.

Nous souhaiterions tout d'abord vous entendre sur l'incidence du confinement sur la continuité pédagogique pour les enfants ; sur les moyens de poursuivre l'enseignement à distance ; sur les outils mis à votre disposition ; sur les difficultés que vous avez rencontrées, notamment en termes de fracture numérique ; et sur le nombre d'enfants décrocheurs dont nous sommes demeurés sans nouvelles durant le confinement. Les problématiques ne sont d'ailleurs probablement pas identiques selon qu'il s'agit d'enfants en maternelle ou de lycéens, ni selon les territoires. Notre collègue ultramarin Olivier Serva indiquait ainsi que le taux d'élèves en décrochage était environ quatre fois plus élevé en outre-mer que dans l'Hexagone.

Nous souhaiterions également connaître votre appréciation sur les conditions de la reprise de la scolarité à partir du 11 mai, puis lors des phases suivantes du déconfinement en juin, selon un protocole sanitaire qui a évolué et qui évolue encore aujourd'hui. L'éclairage des personnels de direction sur les modalités de réouverture des établissements et sur les aménagements apportés dans les classes dans l'organisation des journées et des semaines nous sera très utile.

Enfin, quel est votre regard sur la rentrée scolaire de septembre et sur les conditions de la reprise ? Constatez-vous notamment un creusement des inégalités scolaires liées aux difficultés d'apprentissage durant la crise sanitaire ? Quelles sont les incidences des mesures sanitaires sur les apprentissages et la vie à l'école, notamment pour les enfants les plus petits ?

Je vous rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions ; par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct et en différé sur le site Internet de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Guislaine David, Mme Claire Krepper, Mme Sophie Giaretti, Mme Géraldine Duriez, Mme Valérie Sipahimalani et M. Bruno Bobkiewicz prêtent serment.)

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Guislaine David, co-secrétaire générale du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUipp- FSU)

La fermeture de la totalité des écoles le 13 mars a été très inattendue et a entraîné les enseignants et la hiérarchie dans une sorte de chaos. L'impréparation de cette période a montré que l'école n'était pas prête à affronter cette situation. Cette période de confinement aura mis en lumière l'adaptabilité, l'inventivité de la profession, mais aussi l'impérieuse nécessité de tirer des enseignements de cette période. À l'heure actuelle, aucun bilan n'a été tiré par le ministère de l'Éducation nationale avec ses enseignants.

Le ministère se déclarait prêt, le soir du 13 mars, avec une plateforme du Centre national d'enseignement à distance (CNED) opérationnelle pour les familles et les enseignants. Sur le terrain, la réalité fut tout autre. Les serveurs ont rapidement lâché, les modules « Ma classe à la maison » ont peu fonctionné, et l'enquête de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du mois de juillet a révélé que peu d'enseignants s'étaient appuyés sur ces plateformes.

Cette période a mis en exergue l'importance du groupe, de la classe. L'épisode a démontré, s'il en était besoin, qu'il ne suffit pas de transmettre des consignes pour que les apprentissages soient effectifs. La classe favorise les interactions entre élèves, entre élèves et enseignants, et permet toute la variété des dispositifs pédagogiques, particulièrement pour les élèves les plus éloignés de la culture scolaire. Dans le premier degré, l'élève ne peut pas réaliser seul toutes les tâches demandées, et la disponibilité d'un adulte accompagnateur ne peut être garantie dans toutes les familles. Le concept de continuité pédagogique peut entretenir l'illusion que n'importe qui pourrait enseigner. Le transfert de la responsabilité pédagogique vers les parents est évidemment un leurre, car le repérage de ce qui fait obstacle aux apprentissages – les erreurs types, impliquant telle ou telle remédiation – relève bien d'une expertise professionnelle qui ne peut être déléguée. À la maison, les temps de travail scolaire entre des enfants éprouvant des difficultés et des parents sans formation pédagogique ont toutes les chances d'occasionner des malentendus et des tensions.

La continuité pédagogique avec les élèves de maternelle a été difficile à construire. L'école maternelle est le lieu de la socialisation, du langage, et le collectif y est prépondérant. C'est aussi entre enfants, et dans des moments de jeux d'imitation, que les enfants interagissent, s'expriment, se confrontent. Dans les quartiers défavorisés ou populaires, nombre d'enfants se sont trouvés en rupture de langue française, car pour certains, l'école est le lieu où l'on parle français. Ce fut flagrant en maternelle, mais également dans les classes de cours préparatoire (CP).

Cette période fut également très complexe pour les enfants en situation de handicap. Ils ont été confrontés à une situation inédite, sans repères, et souvent sans même pouvoir sortir de chez eux. La relation à distance avec l'enseignant fut aussi difficile à construire.

L'enseignement généralisé à distance a rencontré l'écueil de la fracture numérique. Pour donner leur pleine mesure, les outils mis à disposition supposent un équipement complet, inaccessible dans les foyers les plus modestes. Les conditions de vie dans les familles ont aussi joué un rôle déterminant. La continuité pédagogique est compliquée à maintenir lorsque le foyer n'est pas ou peu équipé en ordinateurs.

La fermeture des écoles a par ailleurs entraîné la fermeture des cantines scolaires, privant certains enfants du seul repas équilibré de la journée, parfois gratuit ou coûtant souvent moins d'un euro. Cette insécurité alimentaire s'ajoute aux inégalités scolaires accentuées durant le confinement. Cette pauvreté emporte des conséquences négatives sur les apprentissages et la scolarité des enfants et des jeunes.

Après le confinement, la reprise de l'école le 11 mai s'est basée sur le volontariat des familles. Au SNUipp, nous étions opposés à ce volontariat, parce qu'il a mis en lumière le fait que ce sont les élèves les plus en besoin de l'école qui n'y sont pas revenus, et notamment les élèves des milieux populaires. En éducation prioritaire, il était très compliqué de convaincre les familles de revenir à l'école, car celles-ci nourrissaient de nombreuses craintes.

Le lien avec l'institution fut très compliqué pour les enseignants. Ces derniers ont dû s'adapter à des périodes de confinement et de déconfinement, avec de réelles difficultés pour recevoir des consignes claires et rassurantes. Nous avons d'ailleurs produit, au SNUipp, un sondage très intéressant sur cette question. La succession et la modification des protocoles ont été difficilement vécues par les équipes enseignantes. Les directeurs et directrices ont dû s'adapter et s'organiser quotidiennement avec les municipalités.

Abordons à présent la rentrée scolaire de 2020. Après cette première période de retour généralisé à l'école pour la totalité des enfants, les enseignants sont maintenant confrontés à de grandes disparités entre les élèves. L'hétérogénéité est encore plus forte qu'auparavant. Certains élèves ont pu tirer les bénéfices de la période de confinement, quand d'autres, en difficulté scolaire, ont été victimes de cette période sans école.

Par ailleurs, en cette reprise de l'école, certaines aptitudes et compétences transversales et sociales font défaut. Ces compétences sont difficiles à réinstaller dans un contexte sanitaire perturbant, mais aussi parce que certains élèves ont été éloignés de l'école et du collectif durant près de six mois. Il n'est pas toujours simple de retrouver le collectif. Certains élèves sont psychologiquement plus fragiles, en phobie scolaire. D'autres manquent de confiance en eux et/ou sont mal dans leur peau. Alors qu'ils se sentaient protégés durant la période de confinement, le retour au collectif s'avère plus compliqué pour ces élèves.

En maternelle, nous observons que l'enseignement avec le masque complique encore la situation. L'enfant ne sait pas qui parle et ne prend pas nécessairement le message pour lui, puisqu'il entend un bruit sans toujours en identifier la provenance. Il est extrêmement difficile de mobiliser les enfants avec la voix et les gestes sans le support des expressions du visage. En CP, c'est également une difficulté que rencontrent les enseignants pour l'apprentissage de la lecture. C'est aussi le cas des enfants en situation de handicap, qui sont souvent malentendants ou autistes. Les enseignants confrontés à ces élèves doivent être équipés de masques transparents afin d'enseigner dans de bonnes conditions.

Pour résoudre toutes ces difficultés, nous devons à présent pouvoir vivre avec le Covid-19 et vivre dans une école sous Covid-19. Ce n'est pas simple, et l'enjeu requiert des moyens. La réduction des effectifs dans les classes et le renforcement des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) sont nécessaires pour mettre en place un certain nombre d'apprentissages avec les élèves.

Pour dresser un premier bilan de ces six semaines de classe, le SNUipp a enquêté auprès de ses enseignants. Le ressenti de la profession est plutôt sans appel. 81 % des répondants à cette enquête se sentent plutôt mal ou très mal protégés dans l'exercice de leurs fonctions au sein de l'institution Éducation nationale. Ce n'est pas rien. L'adaptation au changement des directives sanitaires est perçue comme difficile à mettre en œuvre. Ce résultat montre qu'il existe un décalage flagrant entre ce qui est préconisé, ce qui est mis en place dans l'Éducation nationale et ce que ressentent les personnels dans les écoles. Pour nous, l'école sous Covid-19, dont les conséquences ont été insuffisamment préparées et anticipées, témoigne aussi de la réalité d'un système éducatif incapable de répondre aux enjeux actuels de l'école et dépourvu des moyens nécessaires pour faire face aux crises et aux objectifs qui lui sont assignés, dans une société de plus en plus fracturée, dans laquelle de plus en plus d'élèves se trouvent en grande difficulté dans nos écoles et en grande difficulté sociale.

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Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat des enseignants de l'UNSA (SE-UNSA)

Votre rapport évoque la rupture qu'a constituée le confinement, ainsi que les difficultés liées à la mise en œuvre très brutale de ce que le ministre a nommé « la continuité pédagogique » ; j'emploie volontairement des guillemets, ma collègue ayant expliqué en quoi cette continuité pédagogique pouvait parfois être illusoire.

Dès le départ, l'action du ministère fut centrée sur les apprentissages scolaires. Les consignes, les recommandations, les outils proposés s'adressaient quasi exclusivement aux enseignants, ainsi qu'aux personnels d'encadrement chargés de faire fonctionner les établissements du second degré, en oubliant les acteurs importants que sont les psychologues de l'Éducation nationale (Psy-EN) ; ma collègue, qui exerce elle-même cette fonction, prendra ensuite la parole pour développer ce volet de notre intervention. Avant la publication de la circulaire organisant la rentrée 2020, les psychologues de l'Éducation nationale n'avaient jamais été mentionnés dans les textes produits par le ministère ; encore avons-nous dû fortement insister pour que ces professionnels soient enfin reconnus dans leurs missions.

Nous ne reviendrons pas sur tous les sujets ayant contribué à la mise en difficulté des personnels dans la mise en œuvre de la continuité pédagogique. Nous souhaitons en revanche attirer l'attention sur le fait qu'aucun de ces points, de notre point de vue, n'a encore trouvé de réponse véritablement satisfaisante. En cas de reconfinement partiel ou total, les mêmes causes risquent de produire les mêmes effets.

Je pense notamment aux équipements informatiques. Malgré les quelques efforts enregistrés dans ce domaine, seuls deux territoires sont aujourd'hui en expérimentation au niveau du ministère, ce qui nous paraît tout à fait insuffisant. Les espaces numériques de travail (ENT) ont été renforcés lors du confinement, mais ils demeurent très fragiles. Dans le premier degré, rares sont les ENT fonctionnant de manière optimale. Les écoles rencontrent donc de réelles difficultés à assurer une continuité pédagogique par le biais du numérique. En outre, les outils et les ressources du CNED n'ont pas été à la hauteur des attentes des enseignants s'agissant de la qualité pédagogique et de la qualité technique, et nous attendons également des améliorations sur ce qui peut être proposé. Souvent, les ressources pédagogiques ressemblent à des cours magistraux, assez frontaux, qui ne correspondent pas à ce qui doit être mis en œuvre pour installer des apprentissages solides chez tous les élèves.

Je pense également aux examens et à leur adaptation. Dans un contexte sanitaire très dégradé, nous manquons toujours d'un plan B, et nous pouvons difficilement admettre qu'il existe un véritable plan A. Depuis plusieurs mois, les organisations syndicales représentant les enseignants demandent des adaptations de programmes et de contenus pour tenir compte du décalage dans les apprentissages survenu sur l'année scolaire 2019-2020. Les organisations syndicales demandent aussi une adaptation des épreuves et du calendrier. Rappelons en effet que le nouveau baccalauréat 2021 prévoit des épreuves de spécialité dès le mois de mars. Nous demandons donc leur report si les programmes et les épreuves ne font pas l'objet d'adaptations satisfaisantes permettant de préparer tous nos élèves dans de bonnes conditions.

Nous avions aussi noté que la formation des enseignants à l'utilisation du numérique pédagogique paraissait insuffisante. Nous attendons un véritable plan de formation, qui n'est pas encore mis en œuvre sur le terrain.

Au-delà de ces difficultés, nous devons réaffirmer que l'enseignement à distance ne peut pas remplacer l'enseignement en présentiel, et qu'il ne le remplacera jamais. Les interactions en présentiel sont absolument indispensables. Même si l'on développe une formation permettant d'améliorer les pratiques pédagogiques avec le numérique, l'école à distance n'est pas l'école.

Vous nous interrogez sur la rentrée et sur sa perception au sein du corps enseignant. Bien entendu, nous ne disposons pas de données objectivées sur le retard accumulé par les élèves ou sur le creusement des écarts. En revanche, nous disposons d'observations remontées par les enseignants que nous avons interrogés. Nous les avons questionnés sur leur état d'esprit en cette rentrée, mais également sur leur ressenti des conséquences de la crise sanitaire sur leurs élèves.

Dans la première enquête que nous avions conduite à la rentrée, les deux mots qui ressortaient étaient « stressé » et « motivé ». Désormais, le terme « stressé » est toujours le premier mot cité par nos collègues, tandis que le terme « motivé » a disparu de la liste des premiers mots retenus : « difficulté », « frustration », « insécurité », « désarroi ». À noter que le terme « désarroi » est particulièrement retenu par les directeurs et directrices d'école, qui sont quotidiennement confrontés à la gestion de la crise sanitaire, au repérage des cas positifs, et qui sont en grande difficulté pour parvenir à faire face à cette situation.

Nous constatons donc une très nette dégradation depuis la rentrée. Le protocole et les gestes barrières sont le premier sujet de préoccupation des enseignants, bien avant les questions pédagogiques. Travailler avec le masque est le sujet qui revient le plus souvent dans leurs commentaires. Au niveau du lycée, la mise en œuvre des réformes s'ajoute à la gestion de la crise, avec une année particulièrement complexe pour nos collègues du lycée. Le terme « fatigue » est le troisième mot le plus fréquemment exprimé dans les réponses libres de nos collègues. Précisons que cette dernière enquête a été menée la semaine dernière, et que nous avons épluché plus de 10 000 réponses avant de vous rencontrer.

Nous avons demandé à nos collègues s'ils constataient une plus grande hétérogénéité dans les classes ou les groupes. La réponse est affirmative à 65 %. Les résultats sont encore plus nets à l'école élémentaire, avec une réponse affirmative à 69 %. Constatent-ils des retards dans les apprentissages plus marqués que les années précédentes ? La réponse est affirmative à 72 %, avec un phénomène particulièrement prégnant à l'école élémentaire et au lycée général et technologique. Cette réalité semble moins prononcée dans les lycées professionnels (LP), qui avaient pourtant été présentés comme les lieux enregistrant le plus fort décrochage scolaire en période de confinement, puisque les collègues des LP ne sont que 65 % à faire état d'une aggravation des retards.

Nous avons aussi interrogé les enseignants pour savoir s'ils constataient une perte de motivation parmi les élèves et une démotivation plus accentuée que par le passé. La réponse est affirmative à 61 %, notamment dans les collèges et les lycées professionnels. 69 % des collègues rencontrent davantage de difficultés à installer des habitudes de travail, en particulier à l'école élémentaire (73 %).

Nous avons également demandé à nos collègues s'ils pensaient que les élèves s'inquiétaient des conséquences de cette situation sanitaire. En l'occurrence, 62 % de nos collègues répondent par la négative. Cela dit, plus de 54 % des collègues du lycée général et technologique estiment que c'est le cas de leurs élèves, ceci pouvant s'expliquer par la réforme du lycée et par le baccalauréat.

Il est aujourd'hui difficile d'identifier ou de mesurer l'impact de la crise sur les apprentissages. Peut-être que les évaluations menées par la DEPP nous permettront-elles d'en savoir un peu plus. Quant à l'impact psychologique, sur lequel ma collègue reviendra, les psys-EN n'ont pas été sollicités pour intervenir sur ce champ.

Quels moyens sont mis en œuvre pour prendre en compte les difficultés et réduire l'impact de la crise sur les élèves ? Comme le soulignait ma collègue, nous regrettons l'absence d'investissements massifs à la hauteur des besoins dans l'éducation. Les solutions proposées par le ministère concernent des dispositifs restant en marge de la classe pour la plupart : devoirs réalisés au collège ; activités pédagogiques complémentaires (APC) ou heures supplémentaires à l'école primaire ; accompagnement personnalisé au lycée.

L'on nous propose également une rémunération en heures supplémentaires effectives (HSE), qui ont été économisées en période de confinement, ainsi que des évaluations et des positionnements de début d'année. S'il est bienvenu de pouvoir identifier les besoins des élèves, encore faut-il que les outils d'évaluation le permettent, ce qui n'est pas le cas – nous le pensons – pour les évaluations nationales.

En outre, l'absence d'adaptation officielle des contenus partagée par tous les acteurs a conduit chaque enseignant à les adapter lui-même à ses élèves, ce qui peut poser de sérieuses difficultés. La formation reste à construire. Les moyens ne permettent pas de réduire les effectifs de manière significative dans les classes, en particulier au second degré, puisque nous accueillons plus d'élèves alors que les postes sont moins nombreux. Nous espérons toujours des adaptations pour les examens, qui ne sont pas prévues à ce jour. Les RASED – premier dispositif qui pourrait être mobilisé pour intervenir sur la grande difficulté scolaire – demeurent exsangues, tandis que le projet de loi de finances (PLF) reste muet sur le sujet. Nous pouvons formuler la même remarque pour les psychologues de l'Éducation nationale, puisqu'aucun recrutement supplémentaire n'est prévu, sans compter que nous nous heurtons au refus de recruter sur liste complémentaire pour couvrir les postes vacants.

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Sophie Giaretti, conseillère nationale au Syndicat des enseignants de l'UNSA (SE-UNSA)

La proposition de résolution portant création de la commission d'enquête, que vous nous avez transmise, s'ouvre sur l'alerte de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) concernant l'inquiétude, l'anxiété et la peur que peuvent ressentir les enfants, ainsi que sur les conséquences psychiques et sociales du Covid-19. Outre le fait que ces ressentis sont réducteurs au regard de nos observations de terrain, nous nous trouvons ici au cœur du travail que les psychologues de l'Éducation nationale doivent pouvoir mener auprès des enfants et des adolescents.

En effet, l'évaluation individuelle, au cas par cas, des impacts psychologiques de la crise sanitaire sur les enfants et les adolescents appartient aux psychologues. Ce sont des professionnels formés au recueil et à l'accueil de la parole dans le cadre d'entretiens cliniques, à l'évaluation psychologique et au repérage d'éventuels signes de souffrance, de peur, de mal-être. Veiller au bien-être des enfants et des adolescents constitue une condition sine qua non d'une scolarité épanouissante et la base de toute prévention du décrochage.

Or durant la période de confinement, les psychologues de l'Éducation nationale – du premier degré, du second degré, spécialisés en éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle (EDO) ou spécialisés en éducation, développement et apprentissages (EDA) – n'ont jamais été sollicités de manière directe. Il n'a toujours été question que de continuité pédagogique et d'adresse aux enseignants. Il est très important, au vu des objectifs que la commission s'est fixés, que les psys-EN soient intégrés aux préconisations qu'elle formulera, du moins si le travail attendu ne se limite pas – comme le mentionne la proposition de résolution – aux seuls aspects scolaires ou infectieux.

Profitons d'ailleurs de cette occasion pour rappeler quelques chiffres. En France, l'on compte près de sept-mille psychologues de l'Éducation nationale, pour environ six millions d'enfants dans le premier degré, trois millions de collégiens, deux millions de lycées, deux millions d'étudiants. Tous n'ont sans doute pas besoin d'une évaluation ou d'un accompagnement individuel par un psychologue. Cependant, se préoccuper de la santé psychique des enfants et des adolescents – un rapport d'enquête sur la santé mentale des élèves de troisième a été publié au mois de septembre – doit être concrétisé par davantage de psys-EN sur le terrain.

S'agissant du décrochage, la commission évoque une attente chiffrée et quantitative. Or il nous paraît important de ne pas nous en tenir uniquement aux chiffres, mais également de réfléchir à l'aspect qualitatif de l'accompagnement à mettre en place auprès des enfants, des adolescents et de leurs familles, sachant que le décrochage est aussi une histoire de famille. Le raccrochage à l'école, ce n'est pas seulement et ce n'est pas prioritairement une question de maintien de continuité pédagogique. C'est aussi et avant tout, souvent, une histoire affective, relationnelle, de liens, motivationnelle, de bien-être, qu'il est important de pouvoir restaurer. D'où l'importance des propos précédemment exprimés.

Depuis la rentrée, nous sommes confrontés à de plus en plus d'enfants et adolescents qui, s'ils ne sont pas en situation de décrochage, sont en situation d'évitement de l'école ou de refus ponctuel. Il s'agit par ailleurs d'enfants qui, jusqu'à présent, n'étaient pas nécessairement en difficulté d'accroche avec l'école. Bien sûr, la situation qu'ils viennent de vivre y est pour beaucoup. Pour certains, le déclencheur est la peur ou l'inquiétude résultant des règles sanitaires à respecter, qui peuvent être anxiogènes ; d'un parent qui ne va pas bien, qui a peut-être perdu un emploi, qui est peut-être souffrant, qui est fragile, qui est confronté à des difficultés financières ; d'une rupture familiale, qui a peut-être pu se produire durant cette période. Bien sûr, ce sont autant de phénomènes susceptibles de se produire indépendamment de la crise sanitaire. Toutefois, ces derniers ont été particulièrement vivaces en cette période.

Au contraire, pour d'autres enfants, la situation de confinement a apporté un mieux-être. Nous avons parfois tendance à les oublier, car ceux-ci ne se sont pas manifestés durant le confinement et se sont contentés de travailler. Il s'agit d'enfants et d'adolescents qui, jusqu'alors, et pour diverses raisons, vivaient plus ou moins bien ou plus ou moins mal leur scolarité. Lors du retour à l'école en septembre, les difficultés qu'ils croyaient envolées leur reviennent de manière beaucoup plus prégnante, sans qu'ils ne comprennent pourquoi, dans la mesure où ils se portaient relativement bien depuis le confinement.

Le possible retard dans les apprentissages est généralement mentionné au titre des impacts du Covid-19. Pour leur part, les psychologues de l'Éducation nationale s'interrogent également sur les impacts plus profonds de cette situation sur le développement des fonctions cognitives des enfants et des adolescents. Nous évoquions précédemment le développement du langage, mais nous pouvons aussi parler de la mémorisation, de la motricité, de l'attention, qui s'avèrent problématiques pour certains. Les plus jeunes sont souvent les premiers concernés, mais ces problématiques s'avèrent également très prégnantes au collège.

Enfin, j'observe qu'il est écrit, dans l'un de documents que nous avons reçu : « L'école est au centre de toutes les problématiques médico-sociales ». Au vu de mes précédents propos et des précédentes interventions, vous aurez compris qu'il serait sans doute judicieux de compléter cette formule par le terme « médico-psycho-sociales », afin de ne pas oublier les enjeux motivationnels, relationnels (liens de la famille avec l'école, liens dans la famille, etc.), psychiques et développementaux de ces enfants et de ces adolescents.

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Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignants du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU)

En recevant votre invitation, nous avons réalisé que nous avions étroitement suivi les impacts de la crise sur les personnels, mais qu'il était difficile, pour la communauté éducative que nous représentons, de produire des données plus quantitatives sur le ressenti des élèves. En l'absence de chiffres, notre analyse s'avère plus qualitative que quantitative. De notre point de vue, la crise est toujours en cours. Les élèves et les personnels continuent d'être perturbés. Trois séquences sont à distinguer : le confinement ; le retour en classe avant les congés d'été, sur la base du volontariat, qui n'a pas été proposé dans certaines zones et sur certains niveaux – par exemple dans les lycées des zones rouges ; la situation depuis la rentrée scolaire.

Concernant le confinement, il est certain que nous ne pouvions pas être prêts face à un tel évènement. Personne ne pouvait être prêt. A posteriori, cette période a d'abord posé la question du maintien d'un lien social sans véritable continuité pédagogique, telle que nous pouvons l'entendre, et ce pour différentes raisons. Évidemment, les problèmes matériels ne peuvent être niés. Néanmoins, les familles non affectées par les difficultés matérielles ont pâti d'autres difficultés. Le décrochage et la perte de contact furent une réalité avec certains élèves, mais la présence en visioconférence ne fut pas nécessairement synonyme d'acquis pédagogique, comme nous le constatons actuellement.

Par ailleurs, la relation a été maintenue par l'ensemble des personnels, à commencer par les professeurs, mais aussi par la vie scolaire, les conseillers principaux d'éducation (CPE), les assistants, les psys-EN, les équipes de direction, les assistantes sociales. Ces professionnels ont accompagné des situations d'autant plus difficiles qu'il n'était pas possible de se rencontrer. Ces situations difficiles laissent actuellement des traces chez les élèves comme chez les personnels.

Au plan qualitatif, les élèves rapportent avoir été confrontés à une trop lourde charge de travail durant le confinement. Ils ont aussi peiné à appréhender la multiplicité des outils utilisés par l'institution, qui manquaient de cohérence et qui nous ont obligés à composer avec les moyens du bord. Les élèves ont également rencontré des problèmes dans leurs conditions de vie, notamment pour l'accès à un lieu calme ou pour la disponibilité des équipements et de la connexion. Il n'est guère aisé de suivre ou de télécharger des documents sur un smartphone, situation qui concerne une proportion non négligeable de nos élèves. Des problèmes de forfait ont aussi été évoqués.

De surcroît, le temps d'étude s'est révélé problématique, en particulier pour nos élèves les plus âgés, qui s'occupaient parfois de leurs frères et sœurs. La maladie a également affecté les élèves, puisque certains sont tombés malades, quand d'autres ont perdu un membre de leur famille. Les élèves ont fait état de problèmes de moral, de difficultés à gérer l'isolement et l'absence de camarades, de problèmes d'engagement dans le travail scolaire, de problèmes de concentration et de problèmes d'interactions, puisqu'il n'était guère aisé de solliciter de l'aide ou des explications. Comme l'ont souligné nos collègues, il est compliqué, dans le cadre d'une classe chargée, de répondre par mail à une trentaine d'élèves. Dans la mesure où les explications données à l'un ne profitent pas aux autres, toutes les interactions susceptibles de se nouer en classe n'ont pu s'établir sur la période.

Les mesures effectuées par la DEPP s'agissant du ressenti des familles sont très intéressantes, mais le sentiment de satisfaction n'induit pas nécessairement une progression des apprentissages, alors qu'il s'agit pourtant de l'objectif de l'école, en plus de ce qui a été exprimé s'agissant de l'éducation à la vie en société. Comme nous l'avions pressenti, nous constatons un renforcement de toutes les inégalités, lié à l'absence de gestion des interactions qui n'ont pu s'établir en cette période de confinement. Il nous semble désormais important d'en dresser le bilan et de mettre en cohérence le travail des équipes en direction des élèves. Si une classe ou un établissement devait à nouveau fermer, nous nous retrouverions dans la même difficulté qu'au mois de mars, parce que l'on ne nous a pas donné le temps ni les moyens de nous organiser collectivement dans les établissements. Des demi-journées banalisées seraient notamment bienvenues, mais le ministère ne les a pas préconisées à ce stade.

Par ailleurs, si le bilan pédagogique traitant des acquis des élèves doit être établi sur la durée, nous partons globalement du principe qu'aucun acquis n'a pu se développer durant le confinement. La situation demeure tout aussi compliquée à ce jour, dans la mesure où la crise sanitaire influe sur l'état d'esprit des élèves et sur celui de la communauté éducative des établissements. Il est difficile de mesurer la disponibilité des uns et des autres vis-à-vis des apprentissages, sachant que nos élèves sont des éponges émotionnelles. Lorsque la vie s'avère compliquée dans un établissement scolaire, les effets s'en ressentent dans la classe. Un autre effet que nous n'avons pas encore mesuré est celui de la paupérisation des familles sur la disponibilité des élèves à recevoir les enseignements provenant de l'établissement scolaire.

Le retour au mois de mai et au mois de juin fut très compliqué. Nous considérons que l'accompagnement au retour fut réel, mais nous ne portons pas le même jugement sur la reprise des apprentissages. Ces deux mois ont été dominés par les questions d'orientation, d'affectations, d'examens. L'Éducation nationale a encore fait preuve d'un manque de gestion, comme en témoigne le suspens maintenu sur l'épreuve d'oral du français jusqu'au 28 mai. Cette situation fut difficile à vivre pour les collègues comme pour les élèves et emblématique de la période, puisque nous étions dans un entre-deux à attendre des mesures qui n'étaient pas adoptées.

Depuis la rentrée, nous relevons une difficulté à travailler du fait du protocole sanitaire, ainsi qu'une difficulté à se projeter sur l'avenir pour nos élèves les plus âgés, en raison de l'incertitude des temps. Par exemple, le changement des règles du baccalauréat en cours d'année dernière fut un véritable traumatisme pour les lycéens. J'ignore d'ailleurs quel sera l'effet de l'annonce d'hier relative au couvre-feu – à la veille des vacances scolaires – sur nos élèves. En tout état de cause, le masque complique la relation pédagogique, puisque nous sommes dépourvus des interactions habituelles que nous développons avec les élèves. La gestion de la vie en collectivité est contrainte par le cadre sanitaire, avec des tracasseries du quotidien qui compliquent l'installation de la relation pédagogique, qui nécessite un cadre extérieur tranquille, fluide et serein. Nous avons reçu des consignes peu claires de la part de l'Éducation nationale, notamment sur la gestion des salles. La multiplicité des consignes a par ailleurs compliqué la donne, puisque nous avons perdu du temps, suite à la consigne de s'adapter localement, à chercher des adaptations locales, au point de parfois faire émerger des doutes dans la relation avec les élèves. Comme l'ont exprimé mes collègues, nous aurions besoin d'un plus grand nombre de surveillants et de personnels d'entretien dans les établissements scolaires pour garantir le respect du protocole sanitaire, sachant que son impossible application constitue une source de stress pour l'ensemble de la communauté.

Dans la durée, nous devrons tenir compte de la fragilité des acquis pédagogiques. Nous avons collectivement demandé au ministre de tenir compte de l'année dernière et de ce début d'année pour aménager les programmes, en particulier les programmes d'examens. Non seulement nos demandes demeurent sans réponse, mais nous devons également digérer des contraintes supplémentaires, puisque le ministère a décidé cette année que nous devions valider la plateforme Pix (plateforme d'évaluation des compétences numériques) dans les établissements scolaires. En plus de devoir rattraper des acquis de l'an dernier et redonner confiance aux élèves, nous devons également mettre en œuvre la réforme des lycées et assurer le déploiement de cette certification numérique. Nous avons l'impression que le ministère n'a pas réellement pris la mesure de la situation. Nous souhaiterions donc que la pression soit quelque peu relâchée et que des mesures de prise en compte de la situation soient adoptées, à commencer par des aménagements de programmes et d'examens nous permettant d'exercer correctement notre travail. Les dispositifs hors la classe présentent un intérêt, nos collègues s'en sont emparés, mais ils ne suffisent pas, car la pression pour le brevet et le baccalauréat demeure forte.

Enfin, pour les classes de sixième et de seconde, nous constatons que la fin d'année tronquée des classes de CM2 et de troisième – fin d'année qui permet habituellement de préparer la montée pédagogique – a pesé sur l'arrivée de ces jeunes au collège et au lycée, et que nous avons pris du retard dans notre accueil, d'abord parce que nous n'avons pas pu nous préparer l'an dernier, mais aussi parce que le masque complique la donne. La sécurité sanitaire demeure primordiale, et je ne demande absolument pas le retrait des masques. Je considère simplement que l'Éducation nationale n'a pas assez tenu compte de la situation dans ses décisions nationales et qu'elle doit davantage en tenir compte.

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Géraldine Duriez, secrétaire nationale du Syndicat national des enseignements du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU) et responsable du secteur Psy-EN

Les psychologues de l'Éducation nationale travaillent avec les équipes et en lien avec les enseignants. Il était donc important, de notre point de vue, d'apporter ici cet éclairage auprès des enseignants, sachant que la continuité pédagogique – parlons plutôt du maintien du lien avec l'école – a été maintenue autant que faire se peut avec la plupart des élèves. Les psychologues de l'Éducation nationale se sont aussi emparés de cette affaire, tout comme les personnels de vie scolaire : CPE, accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), assistants et assistantes de service social, infirmiers et infirmières. Tout le monde s'est mobilisé. Le confinement est arrivé très brutalement dans les vies des élèves et des personnels de l'Éducation nationale. Nous avons tous pris la mesure de la situation, et tout le monde s'est emparé du sujet. Les psychologues étaient également présents sur le terrain, et c'est parce que nous étions implantés dans les établissements scolaires, dans les centres d'information et d'orientation (CIO) et dans les RASED que nous avons pu maintenir ce lien avec des familles et des élèves dont nous étions déjà familiers. Nous avons en effet travaillé sur des situations difficiles que nous avions déjà identifiées avec les équipes pluri-professionnelles des établissements. Il était donc important d'apporter cet éclairage.

Lorsque les enseignants, les équipes de direction ou les assistants de service social nous ont fait part de difficultés à maintenir le lien avec certaines familles, nous nous sommes attelés à les contacter. Nous avons pu constater que la crise diminuait la disponibilité psychologique de certains élèves, en raison de la précarité ou de problèmes techniques. Il est notamment très complexe, pour certaines familles, de retrouver le code de l'ENT, même s'il a été transmis à plusieurs reprises. Lorsque nous avons tenté, dans les premières semaines, de maintenir le lien et de dédramatiser la situation pour aider les familles à appréhender cette nouvelle vie scolaire, les contraintes techniques et la difficile maîtrise de l'outil informatique ont rajouté de l'angoisse. Certains élèves nous ont également fait part de leurs craintes vis-à-vis de la caméra et de la visioconférence, puisqu'ils n'étaient pas nécessairement à l'aise avec l'idée que l'on puisse voir leur famille ou l'intérieur de leur domicile. Enfin, la question de la disponibilité psychologique se pose évidemment lorsque la crise traverse la société dans son ensemble. Les plus grands, collégiens et lycéens, ont très vite compris le caractère inédit du confinement, sachant que ce moment presque figé les empêchait de se projeter dans l'avenir. Nous avons échangé sur tous ces sujets avec les familles et les élèves, en insistant sur la nécessité de maintenir le lien avec les adultes de l'école, du collège ou du lycée, sur le bon déroulé des opérations à la maison et sur la nécessité d'identifier des situations difficiles.

Je ne reviendrai pas sur le phénomène de retrait social, qui a pu contenter certains adolescents ou créer des frustrations et des difficultés résultant de la coupure d'avec l'environnement social, même si les liens perduraient sur les réseaux. Nous avons aussi pu observer, surtout chez les plus grands (collégiens, à partir de la quatrième, et lycéens), un phénomène de veille nocturne, qui s'est presque généralisé. Le retour à l'école des collégiens au mois de juin a sans doute atténué le phénomène, qui a toutefois perduré durant les vacances estivales de juillet et d'août.

Pour en revenir à la question des projections dans l'avenir, les psychologues de l'Éducation nationale se sont mobilisés sur la question de l'orientation et des procédures afférentes, puisque nous devions préparer l'année suivante : Parcoursup, Affelnet pour les collégiens. Des calendriers, des dates et des échéances devaient être tenus, contribuant à un phénomène de pression pesant sur les élèves. Il était compliqué d'assurer l'accompagnement psychologique des élèves et des jeunes et le maintien du lien avec l'école tout en étant confronté à des procédures d'orientation très figées et des dates butoir auxquelles nous pouvions à peine déroger.

À la rentrée, nous avons dû nous occuper d'élèves rencontrant des problèmes lors du retour à l'école, et notamment de jeunes appartenant à des familles abritant des personnes fragiles, qui sont plus difficiles à mobiliser sur les apprentissages. Nous avons aussi eu affaire à des élèves sans solution que nous avons dû rapidement rescolariser, et qui ne voient pas toujours comment donner du sens aux apprentissages. Les conséquences de la crise sont donc multiples, alors que la crise n'est toujours pas terminée et que nous devons continuer de la gérer.

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Bruno Bobkiewicz, secrétaire national du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN-UNSA)

La question relative à la continuité pédagogique me donne l'occasion de rappeler l'extrême importance de la mobilisation des personnels des établissements scolaires, malgré la campagne de désinformation et de « prof bashing » qui a été menée au début du mois de juin, que nous avons peiné à comprendre, et qui illustrait un fort décalage entre ce que nous vivions au quotidien et ce que les médias semblaient en rapporter, du moins durant quelques jours.

Les équipes ont également fait preuve d'une importante capacité d'adaptation, puisque personne n'était réellement préparé à cette situation. Les outils numériques ont très rapidement lâché, car ils n'étaient pas calibrés pour un niveau d'utilisation aussi important, qu'il s'agisse des environnements numériques de travail des collectivités ou des outils privés parfois payés très cher par les établissements du second degré, qui étaient indisponibles durant cinq à dix jours. Cette indisponibilité nous a mis en grande difficulté pour démarrer, d'autant que personne ne savait durant combien de temps cette situation perdurerait.

Malgré tout, un effet positif de la crise est le lien resserré et la solidarité qui se sont établis entre les enseignants, les parents et les élèves d'une classe. Des groupes se sont parfois constitués à l'aide d'outils variés afin de favoriser une communication rapide et efficace entre les différents interlocuteurs. À noter que la difficulté souvent identifiée par les parents fut la diversité des outils utilisés, conséquence de mon précédent propos sur l'indisponibilité temporaire des outils de l'Éducation nationale ou des outils institutionnels. Les enseignants se sont rapidement tournés vers des outils disponibles et fonctionnels qu'ils maîtrisaient, ce qui a généré une difficulté de suivi, avec parfois huit à dix enseignants utilisant des outils différents.

Un autre effet positif de la crise est le bond vers le numérique effectuée en très peu de temps par l'Éducation nationale, puisque tout le monde s'est rapidement mis, par la force des choses, à utiliser ces outils, y compris les enseignants qui en étaient les plus éloignées. In fine, dans la gestion de ce moment de confinement, le local a véritablement témoigné de sa capacité à s'adapter le plus efficacement possible, tandis que le niveau institutionnel a failli. L'on nous a par exemple demandé, au mois de juin, de recréer artificiellement des notes de brevet en coupant une note sur 20 avec une note de dictée ou de français qui n'existait pas. L'on nous a demandé de saisir des bordereaux de notes de baccalauréat sur des épreuves qui n'existaient pas, alors que la suppression de ces épreuves avait été décidée à la fin du mois de mars. Nous constatons ainsi à quel point l'institution n'a pas été en capacité de s'adapter aussi vite que les équipes de terrain.

La mission d'accueil des enfants de soignants a fait l'objet d'une importante valorisation auprès de nombreux personnels volontaires, qui ont pris cette mission très au sérieux. Elle a d'ailleurs permis à certains d'entre eux de rompre l'isolement que pouvait générer le confinement. Au fil des semaines, les volontaires étaient de plus en plus nombreux, ce qui leur permettait de recréer du lien et de se sentir honorés de prendre ces élèves en charge. À noter que la question indemnitaire n'a pas été complètement traitée à ce stade, que ce soit pour les enseignants ou pour les autres catégories de personnel ayant contribué à cette prise en charge.

À partir du 11 mai, les différentes phases du retour à l'école furent la grande difficulté pointée par les personnels de direction. Selon la zone, selon la période, nous devions faire évoluer le fonctionnement de l'établissement, en un temps très réduit, en organisant l'accueil partiel sur la base du volontariat, puis l'accueil total de certains niveaux ou de l'ensemble des niveaux, avec des réalités parfois différentes d'une structure à l'autre, puisque les consignes n'étaient pas les mêmes pour les collégiens et les lycéens. Retrouver les élèves fut une véritable satisfaction, et le taux de présence des élèves à partir du 26 juin – date choisie pour le retour obligatoire – fut très élevé, à la grande surprise d'un certain nombre de collègues. Nous constatons à quel point le lien retissé durant cette dizaine de jours fut extrêmement important, sachant qu'il était attendu par les élèves, les familles et les équipes. Même si nous avons douté, durant plusieurs jours, de la pertinence de ce retour, celui-ci s'est finalement révélé positif. Les chefs d'établissement ont par ailleurs rencontré l'écueil – porté à la connaissance du ministre – de la communication par médias interposés, sans avoir été informés en amont des choix opérés au titre des différentes phases.

Concernant la rentrée 2020, il est encore trop tôt pour dresser un premier bilan. Nous pouvons supposer que les écarts et les inégalités se sont creusés, même si nous ne sommes pas objectivement en capacité de l'évaluer précisément. À noter que la matrice ne s'est pas véritablement adaptée, et que nous fonctionnons de manière quasi nominale dans notre quotidien. S'agissant des moyens, des heures – à hauteur d'un million et demi d'heures – avaient été identifiées et fléchées pour l'accompagnement des établissements et des élèves décrocheurs. Or une enquête réalisée auprès de nos collègues révélait que seul un établissement sur trois avait fait l'objet, au début du mois de septembre, d'une dotation spécifique pour l'accompagnement de ces élèves. Par ailleurs, selon notre enquête, seul un établissement sur quatre avait mis en place le dispositif « Vacances apprenantes ». Il serait intéressant d'obtenir un bilan chiffré du nombre réel de dispositifs spécifiquement créés autour de « Vacances apprenantes », à l'exclusion des colonies apprenantes – toutes les colonies sont devenues apprenantes – et des dispositifs « École ouverte » – qui existaient déjà. De notre point de vue, ce dispositif qui a le mérite d'exister ne remplacera jamais un dispositif sur le temps scolaire disponible pour l'intégralité des élèves.

Au plan médico-psychosocial – j'entends la remarque de Mme Sophie Giaretti, et je la partage –, nous constatons que les médecins scolaires et les infirmières sont totalement mobilisés sur la gestion des cas Covid-19, ce qui les rend absolument indisponibles pour toute autre tâche. Nous recevons, par ailleurs, peu de sollicitations institutionnelles relatives aux psychologues de l'Éducation nationale. Heureusement, ces derniers n'ont pas attendu d'être sollicités pour travailler, et de nombreux collègues ont su travailler à distance et suivre les situations en termes d'accompagnement et d'orientation, ce dont nous pouvons nous féliciter.

En conclusion, je reviendrai brièvement sur les mots utilisés par nos collègues à l'occasion de cette rentrée : « épuisement » pour 39 % de la profession, ce qui est quelque peu inquiétant à ce stade ; « agacement » pour 55 % ; « inquiétude » pour 41 % ; « confiance » pour 5 % ; « être prêt » pour 25 %.

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En préambule, je tiens à souligner la mobilisation et la capacité d'adaptation remarquables des équipes pédagogiques dans leur ensemble : les enseignants, les personnels médico-psycho-sociaux, ainsi que les personnels des collectivités territoriales, qui ont su se mobiliser durant toute cette période. Mes salutations ne sont pas formulées au passé, dans la mesure où cette rentrée n'est pas une rentrée comme les autres. Celle-ci pose de nombreuses difficultés aux équipes pédagogiques, eu égard à l'état physique et psychique des élèves, mais aussi eu égard à la fatigue, à l'épuisement, aux angoisses et aux inquiétudes ressentis par les enseignants et tous les autres personnels, que vos différents sondages ont permis de mettre en exergue.

Vous insistez sur le fait que la continuité pédagogique ne peut exister sans le rôle primordial de l'enseignant et que la famille ne peut l'assurer, dans la mesure où enseigner est un métier requérant des compétences et une formation spécifiques. De votre point de vue, il convient de ne pas « se raconter trop d'histoires » sur cette continuité pédagogique qui aurait été assurée partout et pour tout le monde.

Je suis relativement surprise par vos propos dénonçant l'absence d'écoute de l'institution de l'éducation nationale et de concertation sur la mise en place des dispositifs, de même que sur l'adaptation – elle sera importante pour les mois qui viennent – des programmes et des examens. Si nous constatons que les inégalités se creusent à ce point, des adaptations devront nécessairement être engagées pour que ces enfants et ces jeunes puissent retrouver le niveau nécessaire.

Plusieurs obstacles ont été identifiés, à commencer par le taux d'encadrement des enseignants et des autres personnels. Je souhaiterais à cet égard saluer les psychologues de l'Éducation nationale. J'ai rencontré une vingtaine de vos collègues de l'hôpital Robert Ballanger, qui m'ont expliqué que la profession avait été oubliée du Ségur de la Santé, alors qu'elle mérite sûrement d'être revalorisée à sa juste place pour son rôle crucial.

Plusieurs évaluations ont été conduites à la rentrée. Connaissez-vous déjà les premiers résultats de ces évaluations ? Que savons-nous du niveau des élèves et des disparités que vous avez évoquées ?

Vous avez également mis en avant la question du numérique, de la diversité des outils et de leur inégal accès, du côté des familles comme du côté de l'institution. Qu'attendez-vous des Etats généraux du numérique programmés les 4 et 5 novembre ? Quelles réponses précises seraient susceptibles de répondre aux difficultés ?

Par ailleurs, comment les enseignants vivent-ils leur responsabilité s'agissant de l'apprentissage des matières, mais également leur responsabilité vis-à-vis de la situation sanitaire des élèves et des jeunes, avec qui vous êtes en contact journalier ? Enfin, en cas de reprise du confinement, quels correctifs mériteraient d'être apportés aux consignes sanitaires délivrées lors de la première période de confinement ?

Pour rappel, notre commission d'enquête doit déboucher sur des préconisations permettant d'apporter des améliorations. Dans la mesure où nous interrogerons le ministre de l'Éducation nationale, nous lui ferons naturellement part de vos préconisations, et pas seulement de vos questionnements.

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Guislaine David, co-secrétaire générale du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUipp- FSU)

À ce stade, les résultats des évaluations nationales effectuées en septembre auprès des élèves de CP et de cours élémentaire de première année (CE1) ne sont pas encore disponibles. Il est très probable que la DEPP fournira des éléments à l'issue des vacances de la Toussaint. À défaut de retour quantitatif disponible dans l'immédiat pour les évaluations nationales standardisées conduites en CP/CE1, qui posent d'ailleurs un certain nombre de difficultés et auxquelles nous ne sommes pas nécessairement favorables, nous disposons au moins d'un retour qualitatif de la part des collègues de terrain, sachant qu'un enseignant évalue ses élèves quasiment tous les jours. Les remontées de terrain effectuées dans ce cadre montrent que les difficultés se sont creusées. Je prendrai l'exemple des enfants de maternelle, qui n'ont pas développé toutes les aptitudes nécessaires à l'écriture, (tenue du crayon, graphisme), pourtant essentielles aux apprentissages. À cet égard, nous avons réalisé que les effets du confinement n'auraient certainement pas été les mêmes à une autre période de l'année, eu égard à l'importance de la fin d'année scolaire pour le passage en classe supérieure. Je pense notamment à nos élèves de cours moyen de deuxième année (CM2), qui consolident un certain nombre d'acquis sur cette période. Je pense aussi aux élèves de grande section, qui franchissent généralement un cap à ce moment, parce qu'ils évoluent différemment, grandissent plus rapidement et progressent en lecture et en graphisme. Il en est de même pour les petits de maternelle, dont les compétences sociales progressent très fortement à cette période. Le calendrier du confinement a donc lui aussi pesé sur les apprentissages.

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Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat des enseignants de l'UNSA (SE-UNSA)

Les états généraux du numérique ont été rapidement annoncés par le ministre. Cette annonce nous a quelque peu surpris et déçus, dans la mesure où les difficultés que nous avons rencontrées ne se limitent pas, loin de là, à la question du numérique. Tirer comme conséquence du confinement la nécessité de réfléchir au numérique nous semble être un rapide raccourci des leçons qu'il conviendrait de tirer de cette période, qui a mis en lumière des difficultés préexistantes de notre système éducatif. Par exemple, si le décrochage est lié, en partie, à la non-maîtrise du numérique et au manque d'équipement, il ne s'agit bien entendu que d'un facteur parmi d'autres, puisque nos classes abritaient déjà, avant le confinement, des élèves en décrochage des apprentissages. Il conviendrait donc d'engager une réflexion plus poussée sur les facteurs de décrochage pour tenter d'y apporter des réponses autant en temps normal qu'en temps de crise. La question de la mixité scolaire devrait aussi être abordée. La ségrégation croissante de notre système éducatif et la moindre mixité scolaire de nos établissements sont des sujets sur lesquels nous devrions travailler de toute urgence, sans nous limiter à la question des équipements numériques.

D'ailleurs, je note que la communauté éducative est très peu associée aux réflexions menées dans la perspective des états généraux du numérique, et que l'institution ne se mobilise guère pour associer les collègues à la réflexion. Cela dit, même si l'Éducation nationale faisait l'effort de les y associer, nous serions totalement hors sujet, dans la mesure où nos collègues sont aujourd'hui concentrés non pas sur la question du numérique, mais sur la gestion quotidienne de la crise sanitaire et de ses impacts sur les méthodes de travail en classe. À l'UNSA Éducation, nous nous sommes efforcés de lancer quelques chantiers, de répondre sur la plateforme numérique, de proposer des contributions. Nous avons sollicité nos collègues, mais nous n'avons reçu quasiment aucune réponse, parce que nos collègues sont focalisés sur d'autres priorités. Les états généraux du numérique seront une affaire de spécialistes et d'experts des directions académiques du numérique (DAN), et nous n'en attendons guère de résultats concrets et significatifs pour la communauté éducative.

S'agissant de l'adaptation des consignes en cas de nouveau confinement, nous considérons surtout nécessaire de nous préparer en amont. Les équipes éducatives doivent disposer d'un temps de travail collectif pour être en mesure de proposer, si le confinement devait être à nouveau décrété, des démarches pédagogiques et des outils cohérents, ce qui permettrait d'éviter l'écueil de la multiplicité des solutions proposées dans l'urgence. C'est surtout ce travail préparatoire que nous devons parvenir à engager. Permettez-moi d'ailleurs d'évoquer un exemple d'incohérence. À la rentrée, l'outil du CNED le plus utilisé – celui des classes virtuelles, qui permettait aux enseignants de rencontrer leurs élèves et de travailler en visioconférence avec eux – n'était pas ouvert. Nous ne pouvions plus accéder aux classes virtuelles à la rentrée, alors que toutes les équipes étaient en demande de temps pour travailler, avec les élèves et les familles, sur l'accès à ce dispositif. Nous avons dû lourdement insister pour que cet outil soit ouvert au plus vite, alors que nous n'étions pas en période de confinement. La fermeture de certaines classes a quelque peu accéléré le processus, mais il nous semblait évident que des outils soient mis à disposition pour nous préparer – les enseignants, les équipes de vie scolaire, les parents, les élèves – et nous familiariser avec ces dispositifs. D'autres éléments nous ont paru insuffisamment pensés. Par exemple, alors que les familles commençaient à s'habituer à l'ENT, nous avons dû nous adapter à un nouvel outil à compter de la rentrée, ce qui n'était clairement pas bienvenu. Pourtant, dans une période aussi incertaine, la stabilité des outils constitue assurément une garantie d'efficacité.

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Sophie Giaretti, conseillère nationale au Syndicat des enseignants de l'UNSA (SE-UNSA)

En tant que personnel du second degré, j'ai assisté aux passations et travaillé sur les évaluations avec les enseignants, qui ont individuellement reçu, pour le français et les mathématiques, un retour sur les résultats de leurs élèves. Dans certains établissements, des « pré-conseils » ont été réunis pour identifier les enfants les plus en besoin d'accompagnement. Pour avoir vécu d'autres rentrées scolaires, ce même constat s'effectue relativement rapidement dans les établissements, sans recourir aux évaluations. Nous sommes aussi parvenus, dans certains établissements, à organiser des réunions de liaison entre le premier degré et le second degré afin de gérer la passation des situations des élèves. Aucune surprise majeure n'est à signaler, ce qui m'amène à considérer que l'évaluation aurait très bien pu s'effectuer sans la pression supplémentaire subie à la rentrée pour l'organisation des évaluations nationales, qui s'est accompagnée de changements d'emploi du temps, de changements de salles, etc. S'agissait-il d'un supplément d'information ? Je n'en suis pas sûre.

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Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignants du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU)

Des états généraux académiques ont été réunis pour aborder le sujet du numérique. La plupart d'entre eux ont pris la forme de colloques de spécialistes, avec une mise en avant de l'innovation. Si l'on considère que le numérique éducatif fait l'objet d'un usage de masse, n'aurait-on pas intérêt à dresser le bilan de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas ? Je pense par exemple à la mise en place du téléservice pour les bourses, qui a donné lieu à un effondrement des demandes de bourses des parents. Je pense également à la numérisation des copies de baccalauréat, qui a donné lieu à des situations ubuesques. Ainsi, alors que des copies avaient été numérisées dans un établissement et données pour correction à l'un des professeurs de cet établissement, elles ont ensuite été imprimées pour être rendues corrigées aux élèves, alors qu'il aurait suffi de les changer de casier et d'effectuer les corrections sur les copies. La numérisation est signe d'innovation et de modernité, mais il serait parfois préférable de réfléchir aux usages et aux apports du numérique. Enfin, nous considérons qu'il serait bienvenu d'établir un bilan des classes virtuelles et de leurs avantages, étant entendu que des collègues se sont retrouvés dans une situation délicate après avoir été filmés, avec la diffusion de leurs cours sur les réseaux sociaux. L'on ne sait jamais qui se cache de l'autre côté de l'écran lorsque l'on anime une classe virtuelle. Les explications et les bilans attendus à ce sujet ne sont toujours pas d'actualité. Nous assistons plutôt à la mise en avant de telle expérimentation pointue dans telle académie. C'est intellectuellement intéressant, mais ce n'est pas de cette manière que nous parviendrons à faire progresser l'ensemble de l'institution. Dans ce contexte, nos attentes par rapport aux états généraux du numérique demeurent très limitées. Nous craignons surtout de recevoir des injonctions supplémentaires visant à conduire tel ou tel type d'expérimentation dans les établissements.

Pour ce qui est des correctifs possibles en cas de reprise du confinement, j'insisterai d'abord sur la nécessité de disposer d'un temps de mise en place et de coordination. Nous n'avons pas pu bénéficier de ce temps lors du confinement du printemps, même si de nombreux chefs d'établissement ont pris le soin d'adopter différentes initiatives. Pour éviter le désordre et la multiplicité des outils, qui mettent en difficulté les élèves et les familles, nous devrions nous donner quelques jours d'adaptation en cas de reconfinement. Nous devons éviter le stress généré par l'obligation d'appliquer, à partir du lundi, une mesure d'ampleur annoncée le jeudi. L'institution doit pouvoir prendre quelques jours pour réfléchir. Idéalement, nous aurions dû pouvoir nous préparer en amont. Par ailleurs, la liberté pédagogique sur les outils n'est pas sans générer quelques difficultés. En effet, les outils diffèrent selon les disciplines d'enseignement, tandis que modifier ses habitudes dans l'urgence s'avère relativement peu aisé. De plus, de nombreux élèves ont reproché à leur professeur d'avoir changé d'outil en cours d'année et d'avoir bouleversé leurs habitudes. Ainsi, dans la mesure où ce qui se met en place en début de confinement aura valeur d'entraînement pour l'ensemble de la période, nous devons accorder une grande attention à ces premières journées, que ce soit au niveau national, au niveau de l'établissement ou de la classe. Ces premiers temps doivent aussi servir à déterminer le mode de communication à privilégier entre les parents et l'établissement. Devons-nous utiliser à la fois l'ENT, le logiciel Pronote, les adresses académiques et les adresses Gmail mises en place par certaines équipes de direction ou certains enseignants ? Devons-nous continuer à recourir à WhatsApp, qui est parfois utilisé de longue date ? Quoi qu'il en soit, si nous devons changer d'habitudes, nous devons y réfléchir très en amont, dans un cadre décisionnel collectif. J'ignore à quel niveau doit se prendre cette décision, mais il me semble que la décision doit au moins intervenir au niveau de l'équipe pédagogique, de manière à simplifier la vie des familles. Cela dit, nous ne pouvons agir du jour au lendemain, puisque ces situations doivent être anticipées. Or à ce stade, l'anticipation est inexistante.

Enfin, il convient de repérer très en amont les élèves en besoin d'équipements, ce qui prend nécessairement du temps au sein des établissements. Il convient également de repérer ceux dont le domicile est dépourvu de Wi-Fi et qui ont besoin d'une solution. À ce titre, nous avons apprécié la possibilité donnée aux élèves ultramarins d'accéder gratuitement à un certain nombre de sites institutionnels, sans que la connexion ne soit décomptée de leur forfait par les opérateurs. Ce sont donc autant de solutions qui pourraient être mises en œuvre pour un certain nombre d'élèves, sachant qu'il est impossible d'agir du jour au lendemain et que nous devons à nouveau anticiper. L'anticipation est bien le maître mot de la rentrée.

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Bruno Bobkiewicz, secrétaire national du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN-UNSA)

Les évaluations nationales, qui ont le mérite d'exister, permettent d'évaluer les conséquences des choix de politiques publiques opérés par nos gouvernants. Cela dit, dans le moment que nous venons de vivre, c'est d'abord et avant tout sur l'évaluation réalisée par l'enseignant de sa classe que doit se concentrer l'attention, sachant qu'elle est plus pertinente et plus intéressante que l'évaluation nationale, qui ne correspond pas tout à fait à la nécessité du moment. Les deux sont complémentaires, mais les enseignants sont surtout attachés à la capacité à évaluer quotidiennement leurs propres élèves.

Concernant le numérique, les bilans que nous tirons sont régulièrement négatifs. Nous avons d'ailleurs récemment édité un livre noir du numérique, qui démontre à quel point de nombreux outils mis à disposition de l'Éducation nationale sont en mauvais état. Au-delà de l'importante question du numérique pédagogique, nous devons également traiter la question du numérique administratif, qui est également un sujet d'importance. Réunir des experts du numérique pour échanger sur le numérique n'est pas pertinent. Mieux vaut entendre des personnes qui ne sont pas à l'aise avec le sujet. Les experts du numérique doivent en outre éviter de donner des leçons à ceux qui n'en sont pas familiers, car le sujet demeure complexe. Nous devons également clarifier l'origine du financement du numérique, pour savoir qui finance quoi, considérant qu'il existe une difficulté entre l'État et les collectivités, de même qu'entre les fournisseurs et les destinataires des outils. Dans le premier degré, nous constatons que nous sommes en incapacité de communiquer rapidement avec des familles. Dans le second degré, nous constatons pareillement, à défaut de logiciel privé ou de solution de type SMS, que nous ne pouvons pas non plus communiquer rapidement avec des familles. Des questions doivent donc être posées en termes de déploiement et de financement de ces outils ; même s'ils ne sont pas au cœur de la pédagogie, il s'agit bien de dispositifs importants. Enfin, nous partageons l'idée que la généralisation des téléservices ne doit pas s'opérer à marche forcée, sachant que nous disposons aujourd'hui d'outils qui ne sont pas à la hauteur. Nous avons encore rencontré, cette année, de réelles difficultés s'agissant de l'orientation, du téléservice, de la téléinscription et des actuels outils de demande de bourses. La numérisation s'opère à marche forcée, mais les outils ne sont pas à la hauteur, ne donnent pas satisfaction et coupent une partie de la population de leur usage.

Enfin, en cas de nouveau confinement, plusieurs éléments paraissent essentiels. D'abord, nous devons instaurer une coordination ; c'est la principale leçon tirée par les établissements, qui ont pris du temps à la fin d'année et à la prérentrée pour identifier les points de fragilité et les forces apparus durant cette période. Nous devons ensuite disposer d'outils fonctionnels, qui soient rapidement à la hauteur du besoin. Peut-être devons-nous également instaurer un temps de coordination et de partage sur les choix locaux à opérer en termes de fonctionnement et de communication. Enfin, nous estimons nécessaire de créer une cellule de veille pour identifier les élèves les plus déconnectés et en décrochage.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma première question porte sur la continuité scolaire et la reprise des enseignements dans les réseaux d'éducation prioritaire. Dans les quartiers prioritaires, de nombreux enfants ou jeunes n'étaient pas en capacité d'accéder à des outils – numériques ou non – pour bénéficier d'un accompagnement familial dans leur scolarité. Des permanences ont été instaurées dans les écoles à destination de ces élèves, qui ont aussi bénéficié de la distribution de matériels informatiques. Je m'associe donc aux propos de Mme Buffet pour remercier tous les enseignants qui ont œuvré pour ne pas perdre le lien avec ces élèves, en particulier dans ces territoires. Dans ces quartiers, l'Éducation nationale pilote depuis quelques mois la mise en place des cités éducatives. Les enseignants ont-ils pu mobiliser les moyens alloués à ce dispositif durant le confinement et lors de la reprise des enseignements ?

Je m'interroge également sur le dispositif des vacances apprenantes. En attendant un bilan chiffré, pouvez-vous déjà préciser si ce dispositif a constitué un apport dans le renforcement des apprentissages ?

S'agissant par ailleurs des élèves en situation de handicap, savez-vous si vos collègues ont pu recevoir les masques inclusifs, comme annoncé par Mme Cluzel ?

Je m'interroge, par ailleurs, sur les troubles psychiques des enfants. Dans vos pratiques, avez-vous le temps d'instaurer des temps de parole ou des retours d'expérience pour les enfants et leurs familles ? Partagez-vous des bonnes pratiques entre collègues ?

Enfin, savez-vous pourquoi certains enfants et leurs familles sont demeurés injoignables en période de confinement ?

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Les psychologues de l'éducation nationale (Psy-EN) ont pour rôle principal de créer les conditions d'un équilibre psychologique pour favoriser la réussite et l'investissement scolaire de la jeunesse. Je suis donc ravie que nous puissions obtenir un éclairage psychologique dans le cadre de cette commission. Plusieurs maux – « souffrance », « stress » « désarroi » – impactent les tout-petits, mais également les adolescents, qui sont dans une tranche d'âge plus sensible aux aléas extérieurs. La crise que nous traversons est économique, sanitaire, mais surtout humaine. Le psychologue a donc tout son rôle à jouer pour amener des mots sur les maux et aider notre jeunesse à retrouver confiance en elle et à retrouver, surtout, les voies d'un apprentissage apaisé. Nous savons que le mal-être impacte les développements cognitifs et les apprentissages. Ma question est donc très simple. Quels outils pouvons-nous mettre en place dans l'urgence pour aider notre jeunesse à surmonter ce mal-être ?

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Je parlerai de prévention et d'émotions, dans la mesure où notre commission doit aborder la question de la prévention. L'enquête réalisée auprès de plus de 22 000 enseignants par le collectif Regards d'enseignants révèle un écart conséquent entre l'engagement des professeurs durant le confinement – plus de 70 à 80 % d'engagement, de satisfaction ou de plaisir à réaliser son travail – et l'insatisfaction en matière de formation, de reconnaissance, d'encadrement et de management – moins de 15 % de satisfaction. Vous avez beaucoup parlé de fracture, de stress, de difficultés, de frustrations, de désarroi, de mal-être, de la question de l'attention, des enjeux motivationnels, qui jouent sur le cerveau en tant qu'éponge émotionnelle. Connaissez-vous donc la pratique de la pleine conscience ? Quel est votre avis – en particulier celui des psychologues – sur cette pratique qui a été recommandée par les autorités canadiennes ? Selon plusieurs études asiatiques, la pleine conscience réduit l'anxiété, favorise le sommeil et renforce les défenses immunitaires. Par ailleurs, le professeur Grégory Michel de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) de Bordeaux montre que la pleine conscience réduit les inégalités à l'école tout en faisant progresser la classe. Quelle est donc votre position en la matière ? Êtes-vous familiers avec cette pratique, tant pour les enseignants que pour les élèves ?

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Nous vous remercions pour votre engagement et pour l'engagement de celles et ceux que vous représentez. Deux questions me viennent à l'esprit. L'école, le collège et le lycée sont des lieux privilégiés pour recueillir la parole des élèves sur ce qui impacte leur quotidien de manière globale. Depuis le déconfinement, voire la rentrée, constatez-vous davantage de retours préoccupants de la part des élèves ? J'en profite pour saluer la proposition de M. Bobkiewicz de mettre en place une cellule de veille pour mieux repérer les enfants en difficulté, quelles qu'en soient les raisons.

Par ailleurs, d'après vous, dans quelle mesure le regard des enfants et des jeunes sur leur avenir est-il en train de changer, notamment vis-à-vis de leur scolarité ?

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Pouvez-vous préciser comment a été vécu, notamment en classes de première et de terminale, le choix des spécialités en période de confinement ? Cela a-t-il constitué une difficulté pour les élèves ? Ont-ils pu recevoir les conseils dont ils auraient souhaité bénéficier ?

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Nous vous remercions pour votre mobilisation actuelle et passée, sachant que nous avons véritablement besoin de professeurs motivés. J'ai toutefois relevé que les professeurs étaient très stressés, frustrés et en difficulté. Serait-il donc possible de mettre en place ou de renforcer – si elle existe déjà – une cellule pour aider les professeurs à retrouver la motivation ?

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Guislaine David, co-secrétaire générale du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUipp- FSU)

Plusieurs questions concernent le premier degré, notamment celle relative à l'éducation prioritaire et celle relative à l'engagement des enseignants. Lors du confinement, nous avons senti des enseignants extrêmement engagés auprès de leur public, qui ont parfois organisé des permanences dans les écoles pour conserver des liens avec les familles. Si nous repassions en période de confinement, nous devrions certainement repasser par cette étape, car la rupture serait trop brutale avec ces élèves. À cet égard, nous ne savons pas encore si ces familles sont ou non équipées en outils informatiques. Nous savons que certains départements se sont saisis de ce problème et ont fourni des outils informatiques, mais tous n'ont pas engagé un tel processus. Rappelons que les enfants de maternelle et du cours élémentaire sont dépourvus de téléphone portable et que seul l'ordinateur serait susceptible d'assurer la continuité pédagogique.

Concernant le masque et le sujet du handicap, notre enquête réalisée la semaine dernière montre que de nombreux enseignants n'ont toujours pas reçu les masques inclusifs. Ce matériel n'est pas arrivé partout, et beaucoup d'enseignants ont dû eux-mêmes s'équiper. Des associations – notamment de parents – ont fourni ces masques inclusifs, alors que ce rôle est normalement celui de l'institution. Nous savons que la possible fourniture de ces masques a été étudiée lors du confinement, et qu'une étude de marché a été réalisée à cet effet. Nous savons désormais que ces masques ont été commandés, mais qu'ils n'ont pas tous été livrés. Nous espérons donc qu'ils seront rapidement livrés. Par ailleurs, j'estime que ces masques devraient être étendus aux enseignants de maternelle et de CP, qui sont en demande, car il est important de voir son interlocuteur lorsqu'il parle, pour le langage comme pour la lecture.

Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, les enseignants ont fait preuve d'un engagement de tous les instants. Cela dit, avec le stress et l'épuisement générés par la rentrée, nous craignons que cet engagement ne s'essouffle si un nouveau confinement devait être prononcé. Différentes actions doivent donc être engagées. La cellule de veille est nécessaire, car les enseignants ne sont malheureusement pas écoutés par l'institution. La hiérarchie est également sous tension, puisque les inspecteurs de l'Éducation nationale gèrent un certain nombre de dossiers. Dans nos écoles, nous manquons de personnels susceptibles de nous écouter, à l'inverse de ce que nous observons dans d'autres métiers. Cette situation est extrêmement compliquée à gérer. Les collègues sont démotivés, et la profession ne se porte pas bien. Un sursaut est attendu pour que ces enseignants puissent s'engager. N'oublions pas que nous manquons d'enseignants, puisque les concours ne font plus le plein. Pour recruter, le métier doit être attractif, et nous devons pouvoir donner envie de s'engager dans la carrière. En tout état de cause, l'engagement quotidien de nos enseignants n'est plus à démontrer.

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Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat des enseignants de l'UNSA (SE-UNSA)

Je partage l'interrogation de ma collègue sur l'engagement des enseignants en cas de reconfinement. L'an dernier, nous avons observé une réaction face à un évènement imprévu, que nous pensions unique et non durable dans le temps. L'engagement paraissait relativement court à porter, d'autant qu'une relation très forte était déjà établie avec les élèves, puisque nous étions en cours d'année. Le contexte était donc relativement particulier. Cette fois-ci, nous devons nous inscrire dans un contexte durable d'école confrontée au Covid-19, ce qui est totalement différent. La possibilité que cette situation perdure provoque du stress et du découragement chez nos collègues, qui ne sont pas animés par la même énergie qu'au printemps dernier, et qui ne peuvent plus se dire que la situation ne perdurera pas. En outre, les retours négatifs – mon collègue évoquait un « prof bashing » – qui ont été reçus les ont fortement affectés. Beaucoup l'ont ressenti comme un manque de reconnaissance et ont affirmé ne pas vouloir reproduire les mêmes efforts en cas de reconfinement. Bien entendu, nous devons distinguer ce qui est exprimé à chaud et ce qui est mis en œuvre sur le terrain, étant entendu que la motivation pour les élèves demeure entière.

À ce stade, il est très difficile d'établir un bilan des vacances apprenantes et du renforcement des acquis. Nous avons tout de même pu constater qu'il était très compliqué de créer rapidement des dispositifs et de mettre sur pied des vacances apprenantes correspondant exactement au cahier des charges originel, qui prévoyait des séances quasi scolaires – sur une partie de la journée – conjuguées avec des activités de loisirs ou des activités culturelles. D'ailleurs, nous n'étions pas favorables à des séquences scolaires stricto sensu en période de vacances scolaires, dans la mesure où ces vacances ne sont pas prévues à cet effet. Nous étions très inquiets de la scolarisation des temps de loisirs et des temps de vacances. Apprendre autrement est possible, et les vacances sont justement conçues pour apprendre autrement. Sur le terrain, il semblerait que peu d'opérations très scolaires aient pu être montées. Nous avons surtout constaté le déploiement de dispositifs déjà existants, comme des séjours avec accueil de type colonies de vacances ou centres aérés avec déplacement, qui ont été labellisés. Ces dispositifs ont permis au secteur des loisirs et des accueils d'enfants de fonctionner durant les vacances et d'accueillir davantage de jeunes qu'il n'en était prévu à l'origine, étant entendu que ce secteur était très en difficulté à la suite du confinement.

En tout état de cause, nous ne disposons d'aucun outil pour mesurer le renforcement des acquis des élèves. Les dispositifs courants comme l'école pour tous ou l'école ouverte, qui sont mis en œuvre juste avant la rentrée et qui sont davantage en lien avec les apprentissages scolaires, ont surtout permis aux élèves de renouer avec l'école de manière plus souple et plus progressive. Ces dispositifs ont fonctionné comme à l'accoutumée, et nous n'avons rien remarqué de particulier à ce sujet.

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Sophie Giaretti, conseillère nationale au Syndicat des enseignants de l'UNSA (SE-UNSA)

Vous nous questionnez notamment sur le mal-être, les troubles psychiques et la possibilité d'instaurer des temps de parole. Pour rappel, les psychologues de l'Éducation nationale du premier degré couvrent un très grand nombre d'écoles et consacrent une très grande part de leur temps de travail aux bilans psychométriques. Dans le second degré, nous ne passons qu'une demi-journée par semaine au sein de chaque établissement. Le nombre de psychologues et le temps passé dans les établissements s'avèrent donc insuffisants. Malgré tout, nous faisons notre maximum pour mettre en place des temps de parole collectifs ou individuels. Cet outil joue un rôle très important par rapport à la question du mal-être, et nous souhaiterions pouvoir le déployer plus facilement et plus souvent au sein des établissements.

Cette observation rejoint la question relative à l'analyse des pratiques. L'analyse de la pratique est peu répandue – voire quasi inexistante – dans l'Éducation nationale, alors qu'elle est pourtant fondamentale. Il me semble donc impératif d'œuvrer pour instaurer cette analyse de manière pérenne et régulière et sur un temps véritablement dédié.

Une grande partie des enfants injoignables durant le confinement étaient déjà en situation de décrochage ou en délicatesse avec l'école. La problématique a également concerné des familles dont le lien avec l'école n'était pas construit ou stabilisé. Un travail non négligeable a donc été conduit en période de confinement pour trouver les numéros de téléphone permettant de joindre ces familles et ces enfants : via les copains, via des tiers résidant à proximité, via des éducateurs travaillant dans les établissements, qui se rendaient parfois au domicile des familles pour frapper à la porte et vérifier que tout allait bien. Le maillage ainsi créé s'est révélé fondamental. Même si nous avons pu le mettre en place durant la crise, il serait préférable que celui-ci s'organise avant le déclenchement de toute crise. Nous avons également eu affaire à des enfants qui, parce qu'ils étaient en difficulté pour travailler chez eux, n'étaient pas enclins à décrire la réalité de leur foyer pour expliquer leur potentiel manque de travail ou leur potentiel manque d'investissement.

Les professionnels de l'Éducation nationale ne sont absolument pas formés à la méthode de pleine conscience. Les seules formations en la matière s'opèrent sur le temps personnel et par sensibilité personnelle, sans institutionnalisation générale du procédé. Nous constatons, malgré tout, que ce sujet est de plus en plus souvent mentionné dans les échanges entre collègues, du moins à titre individuel.

Enfin, nous avons observé que des cellules d'écoute dédiées aux enseignants avaient été instaurées dans certaines académies. Ces initiatives locales mériteraient de faire l'objet d'une généralisation. Matériellement, ces cellules ne sont pas toujours faciles d'accès, puisqu'elles ne sont ouvertes que sur certains créneaux durant lesquels les enseignants ne sont pas nécessairement disponibles parce qu'en classe. Cela dit, nous pouvons au moins constater qu'elles ont été mises en place dans certaines académies, suite à des initiatives locales.

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Géraldine Duriez, secrétaire nationale du Syndicat national des enseignements du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU) et responsable du secteur Psy-EN

La crise sanitaire nous a frappés dans nos contextes professionnels respectifs. Les psychologues de l'Éducation nationale du premier degré et du second degré rencontraient déjà des difficultés résultant de postes non couverts et d'un recrutement inadapté aux besoins. Les difficultés liées à la crise et au confinement se sont donc ajoutées à un fonctionnement déjà en tension. Nous sommes parfois en mesure d'y répondre, puisque les psychologues de l'Éducation nationale travaillent dans des Réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) ou dans des centres d'information et d'orientation (CIO), c'est-à-dire des structures collectives en lien avec les structures de santé mentale que sont les centres médico-psychologiques (CMP) ou les maisons des adolescents. Heureusement que nous disposons de ce lien avec les CIO pour faire appel aux structures existantes en vue d'établir un travail de partenariat. Cela dit, la situation demeure difficile, puisqu'un certain nombre de CIO sont toujours menacés, notamment en raison du manque de postes. Avec notre implantation, nous sommes en mesure de mobiliser les partenariats existants. Malgré tout, nous évoluons dans un contexte où nous subissons des suppressions de postes et sommes confrontés à de nombreux postes vacants. La crise du recrutement chez les psychologues de l'Éducation nationale est une réalité, et les recrutements sont peu nombreux, malgré la volonté d'un certain nombre de candidats.

Rappelons également que des cellules de veille ou des groupes de prévention du décrochage scolaire existaient déjà dans les établissements. Le travail de partenariat et de regards croisés des différents acteurs participant à ces dispositifs a donc été réalisé. Désormais, il convient de réactiver un pilotage adapté à la situation sanitaire et au confinement. Nous savons par exemple que certains élèves ont disparu du circuit parce que les familles étaient parfois à l'étranger, voire séparées. Les situations furent très diverses. Tout ne s'explique pas par la disparition de ces élèves, mais les situations de cet ordre ne peuvent être négligées.

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Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignants du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU)

Les cités éducatives sont en cours de mise en place, mais les personnels y sont très peu associés. Elles n'ont donc pas fait preuve de leur efficacité durant le confinement.

Les remontées relatives aux vacances apprenantes sont très disparates. Il s'agit surtout d'une labellisation de dispositifs déjà existants. Je ne citerai pas les vacances apprenantes mises en place dans les supermarchés du Nord…

L'Éducation nationale ne finance pas l'analyse de pratiques. En revanche, le SNES anime des groupes de travail sur des groupes métiers. Nous pourrons donc en discuter si le sujet vous intéresse.

Pour aider les élèves à surmonter la crise, il nous paraît primordial de pouvoir offrir des perspectives. Ces perspectives peuvent être données par la communauté éducative, en particulier par les professeurs. Pour que les professeurs puissent offrir des perspectives, ces derniers doivent pouvoir se projeter. Nous devons donc être informés de ce qu'il adviendra dans les prochains mois. À titre d'exemple, nous préparons des élèves au baccalauréat alors que nous ne disposons pas des « sujets zéro ».

L'an dernier, l'accompagnement des élèves dans le choix des spécialités a pu s'effectuer parce que nous connaissions déjà nos élèves, étant entendu que le confinement n'est arrivé qu'au mois de mars, alors que nous avions déjà débuté ce travail. Pour les élèves passant de la première à la terminale, nous ne disposons d'aucun point de comparaison, puisque nous étions en pleine mise en place de la réforme. Dans ce domaine, l'alignement des planètes n'était vraiment pas optimal. En tout état de cause, travailler avec des élèves sans pouvoir accéder à leurs visages et à leurs expressions s'avère extrêmement difficile, et nous prenons nécessairement du retard sur la prise de connaissance et sur le travail que nous pouvons effectuer avec les élèves. La situation est loin d'être simple.

Enfin, nous n'avons pas accès aux informations préoccupantes, qui sont couvertes par la confidentialité. Nous ne disposons pas non plus de retours sur les informations préoccupantes que nous pourrions faire remonter. Un rapport conjoint de l'inspection générale de l'Éducation nationale et de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) publié il y a un ou deux ans pointait déjà du doigt cette difficulté à gérer les informations préoccupantes au sein des établissements scolaires.

De manière générale, ce n'est qu'en réduisant les effectifs des classes que nous pourrons mieux réaliser notre travail. Depuis le début de la mandature, 7 490 postes ont été supprimés dans le second degré, qui a pourtant accueilli 68 000 élèves supplémentaires. Or l'on ne peut pas nous demander à la fois de gérer davantage d'élèves – quel que soit notre métier – et d'avancer dans la personnalisation des enseignements.

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Bruno Bobkiewicz, secrétaire national du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN-UNSA)

La situation des différentes professions de l'Éducation nationale n'est guère favorable depuis quelque temps, avant même le confinement. La succession des réformes déstabilise fortement les différents personnels, à tous niveaux. Le confinement a renforcé ce sentiment et créé une situation relativement inquiétante sur le moral des troupes.

En réfléchissant à ce que je pouvais mettre en place au sein de mon établissement, j'ai réalisé que je ne possédais ni la compétence personnelle ni la capacité à mobiliser des ressources pour procéder à une analyse des pratiques. Dirigeant d'un collège de 470 élèves et d'un lycée de 1 400 élèves, je ne peux compter que sur une demi-journée de présence d'une psychologue de l'Éducation nationale au niveau du collège et sur deux demi-journées de présence d'un psy-EN au niveau du lycée. Cela limite nécessairement notre capacité à mettre en œuvre des initiatives, même lorsque l'envie est indéniable.

Concernant enfin le choix des spécialités, je rappelle que l'abandon de la spécialité en fin de première s'effectue lors du conseil de classe du deuxième trimestre, qui était en cours au début du confinement. Aucun impact n'a donc été observé. L'accompagnement a pu se poursuivre pratiquement jusqu'à son terme, puisque la date du 16 mars correspondait à la période des conseils de classe du second trimestre. En revanche, l'accompagnement du choix des spécialités des élèves passant de la seconde à la première s'est révélé plus délicat. Cela dit, la bonne connaissance et le lien qui s'était établi jusqu'alors ont permis de travailler à distance et de conseiller les élèves déjà accompagnés sur les deux précédents trimestres.

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Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat des enseignants de l'UNSA (SE-UNSA)

Je regrette que la voie professionnelle n'ait pas du tout été évoquée lors de cette audition. Je tiens donc, en conclusion, à faire part des problèmes particuliers rencontrés par le lycée professionnel. Je pense notamment à la difficulté à trouver des lieux pour les périodes de formation en milieu professionnel (PFMP). Les lycées professionnels ont dû accueillir un grand nombre d'élèves n'ayant pas trouvé d'insertion professionnelle ou de contrat d'apprentissage. Toutefois, le nombre de places n'a pas toujours été à la hauteur des besoins. Trouver des places en début d'année pour tous les élèves fut très chronophage. Certains ont été rescolarisés dans des sections qui ne correspondaient pas à leurs souhaits. La rescolarisation doit pourtant faire sens pour fonctionner, ce qui n'a pas toujours été le cas. Par ailleurs, le plan du Gouvernement – qui est piloté par le ministère du Travail et qui met l'accent sur l'apprentissage comme solution – ne convient pas à un très grand nombre d'élèves. Les élèves en difficulté ou les jeunes élèves ne sont pas ceux que les entreprises recherchent en apprentissage. En outre, nous savons que les entreprises sont elles-mêmes en difficulté pour proposer des contrats. Il convient donc d'investir très rapidement dans nos lycées professionnels, puisque c'est en leur sein que les solutions peuvent être identifiées.

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Je vous rejoins d'autant plus que j'observe, en tant que vice-présidente de l'Union nationale des missions locales, qu'il est effectivement difficile de faire entrer les jeunes en PFMP, en immersion ou en stage. Nous nous sommes efforcés d'appuyer sur l'accompagnement de ces jeunes, mais il est évident qu'ils ne pourront pas tous accéder à l'apprentissage ou à l'emploi dans cette période.

Je vous remercie pour vos interventions.

L'audition s'achève à dix heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 9 heures

Présents. – Mme Marie-George Buffet, Mme Danièle Cazarian, Mme Christine Cloarec, Mme Albane Gaillot, M. Régis Juanico, Mme Anissa Khedher, M. Gaël Le Bohec, Mme Florence Provendier, M. Frédéric Reiss, Mme Sylvie Tolmont, Mme Souad Zitouni