Intervention de Olivier Brahic

Réunion du vendredi 12 juin 2020 à 9h35
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Olivier Brahic, sous-directeur de la veille et de la sécurité sanitaire :

Le premier angle d'action est donc le signalement auprès des agences régionales de santé, premier maillon territorial pour réceptionner les signalements, investiguer et mettre en place des mesures de gestion et de lutte anti-vectorielle. L'ensemble des ARS disposent d'une entité, d'une cellule, en charge des alertes sanitaires. Ces plateformes sont en lien avec le CORRUSS au niveau national. Les ARS ont obligation de signaler à la DGS notamment les cas autochtones d'arboviroses. Car il y a évidemment une forte suspicion, dès lors qu'on trouve un cas autochtone, qu'il y ait une multiplication de cas. Le premier enjeu est donc de faire remonter ces cas au niveau national via le CORRUSS. Nous nous mettons alors en lien avec Santé publique France sur les aspects de surveillance et de veille épidémiologique. Nous sommes en capacité également de saisir l'Anses pour des questions d'expertise, notamment d'appuis scientifiques et techniques ; nous l'avons fait par exemple pour l'épidémie de dengue à La Réunion… Parmi les autres acteurs nationaux, pour la sécurisation des éléments et produits du corps humain, on saisit le Haut Conseil de la santé publique qui nous fournit un certain nombre de recommandations en termes d'éviction des donneurs de sang ou de dépistage. Ce sont ces recommandations que nous transmettons ensuite à l'EFS (Établissement français du sang), à l'Agence de la biomédecine et au service de santé des armées, qui a également un rôle dans la transfusion sanguine.

Très concrètement, l'épidémie de dengue à La Réunion, par exemple, a débuté en 2017. Environ 20 000 cas signalés ont été confirmés, et 50 000 cas présentant des signes cliniques évocateurs ont été identifiés. Dans ce type d'épidémies majeures, on renforce au niveau national, notre dispositif de réponse. Le CORRUSS se positionne au niveau 2 (CORRUSS renforcé), on active le centre de crise sanitaire, on assure un suivi renforcé au niveau national et un soutien à l'ARS. Cela se traduit par des conférences téléphoniques a minima hebdomadaires, ce qui permet de caractériser la situation et de pouvoir identifier les besoins d'aide, en termes d'expertise – la DGS va saisir les ARS et coordonner l'expertise – ou de ressources complémentaires. Elles peuvent être de plusieurs ressorts, comme l'appui de la réserve sanitaire à l'ARS et à ses services de lutte anti-vectorielle.

J'ouvre une parenthèse, pour éclairer mes propos : on a demandé à Santé publique France de pouvoir disposer d'un pool d'agents comme des ingénieurs capables de venir en appui aux ARS dans leur mission de lutte anti-vectorielle, dans le cadre de l'épidémie de dengue en cours aux Antilles et en Guyane. Et on avait mobilisé en fin d'année dernière Santé publique France pour qu'ils identifient une soixantaine d'agents susceptibles d'être projetés dans ces territoires pour venir en appui des ARS.

C'est l'aspect en quelque sorte institutionnel. Mais il y a bien évidemment un appui au système de santé, notamment aux établissements fortement touchés. Nous avons également le devoir de mobiliser nos partenaires interministériels : pour l'épidémie de dengue à La Réunion, on a contacté le ministère de l'intérieur pour qu'il mobilise des agents de la sécurité civile intervenant sur place, et le ministère des armées pour que le régiment du service militaire adapté (RSMA) puisse venir en appui dans ces territoires. Après la première vague de l'épidémie, je m'étais rendu sur place et j'avais rencontré différents acteurs pour un premier retour d'expérience et surtout anticiper et planifier le dispositif de réponse pour la suite. C'est la raison pour laquelle on a pu très rapidement enclencher les ressources nécessaires.

Pour l'épidémie de Zika, les autorités locales nous avaient demandé un appui, notamment pour le service de réanimation de l'hôpital. Ayant eu connaissance de cette première alerte en Polynésie française, on avait anticipé et mobilisé l'ensemble de territoires ultramarins – Guadeloupe, Martinique, Guyane, Mayotte, La Réunion – pour les préparer à l'arrivée du virus. Au final, les territoires de l'océan Indien ont été épargnés, mais ce dispositif de préparation et d'anticipation a permis aux trois autres départements de répondre au mieux.

J'avais demandé à M. Alexis Pernin et à ses agents d'anticiper l'épidémie de dengue qui est désormais en cours aux Antilles et en Guyane : en se mobilisant sur le diagnostic biologique, notamment par le déploiement des TROD – au regard de l'expérience positive que nous avions eue dans ce domaine à La Réunion – mais aussi grâce à un dispositif réactif rapide de diagnostic avec les laboratoires ; en se mobilisant pour organiser une montée en capacité du système de soins, notamment hospitalier, avec toujours en tête la prise en charge des cas graves nécessitant une réanimation. Heureusement, il y a pour l'heure très peu de cas graves dans cette épidémie. Nous avons anticipé aussi avec eux le sujet de la lutte anti-vectorielle et les moyens dont ils auraient besoin en phase de pic épidémique.

De ce retour d'expérience global de ces différentes épidémies, on a traduit les enseignements en plans d'action : la nécessité de stabiliser la gouvernance de la lutte anti-vectorielle et d'harmoniser les pratiques entre les territoires ; la volonté d'anticipation en ayant toujours pour objectif que le système de santé puisse monter en puissance de manière très réactive ; la mise à disposition d'une filière de diagnostic biologique avec un maillage territorial pouvant répondre aux besoins ; le fait que les tests puissent être remboursés ; et la mise à disposition des tests rapides.

Notre dispositif de planification pour les risques sanitaires, l'organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (Orsan), permet aux trois secteurs de l'offre de soins – ambulatoire, hospitalier et médico-social – de répondre à tout risque ou toute menace sanitaire. Ce dispositif identifie différents types de réponse, tels qu'Orsan AMAVI qui organise l'accueil massif de victimes non contaminées, par exemple en cas d'attentats, ou, pour ce qui nous concerne Orsan REB – risque épidémiologique et biologique – pour que le système de santé puisse répondre à l'émergence des arboviroses ou d'autres risques tels que la Covid-19.

Nous avons également tiré comme leçon de ces expériences notre capacité à améliorer notre appui national notamment en projetant de plus en plus d'agents de notre sous-direction dans les ARS. Non pas pour se substituer à leurs agents, mais pour les renforcer et les aider, et également pour améliorer le lien entre le local et le national.

Autre enseignement, tiré celui-là des territoires ultra-marins : il faut que nous disposions d'un plan Orsec arboviroses dans l'ensemble des départements, sous l'égide des préfets de département. Tous les territoires ultramarins sont très au fait de ce dispositif qui fonctionne extrêmement bien. En métropole, on n'en est qu'au début et c'est pourquoi les agents du bureau des risques infectieux émergents et des vigilances sont en train de rédiger un dispositif Orsec pour l'ensemble des départements à des fins de mobilisation intersectorielle. Car, encore une fois, l'ARS ne peut pas agir seule.

En ce qui concerne le parallèle avec la Covid-19, nous disposons pour ce virus d'un outil informatique, le système d'informations de dépistage (SI-DEP), plateforme sécurisée où sont systématiquement enregistrés les résultats des laboratoires de tests Covid-19, qui permet de faire remonter tous les signalements de cas positifs aux autorités et à Santé publique France dans le cadre de la surveillance sanitaire. Il faudrait, dans le cadre des arboviroses, qu'on s'appuie sur cet outil qui permet d'être informé très rapidement et d'apporter une réponse très réactive : comme dans un incendie, il est préférable d'éteindre le feu tout de suite.

Dans le cas du Covid-19, un indice positif permet d'isoler les cas contacts. Dans le cas des arboviroses, nous ne sommes pas dans le cadre de l'identification des cas contacts mais dans celui où les investigations sanitaires et entomologiques permettent d'étouffer très rapidement la survenue des clusters. L'autre parallèle concerne le sujet de la capacité hospitalière et la réanimation : on a vu pour la Covid-19, notre système de santé a su mettre en place une montée en puissance très rapide et a su doubler nos capacités de réanimation. Une situation similaire a été rencontrée avec les arboviroses aux Antilles, où on a observé l'augmentation très rapide de la capacité de réanimation. Il y a donc bien des parallèles.

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