Intervention de Olivier Brahic

Réunion du vendredi 12 juin 2020 à 9h35
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Olivier Brahic, sous-directeur de la veille et de la sécurité sanitaire :

Je vous prie d'excuser l'absence du directeur général de la santé, le professeur Salomon, qui est effectivement sur la brèche dans le cadre de la gestion de crise liée à la Covid-19.

La politique publique liée à la prévention et à la lutte contre les maladies vectorielles à moustiques est portée par la sous-direction de la veille et de la sécurité sanitaire (VSS). Au regard des risques et des menaces sanitaires, les arboviroses font partie de nos priorités. C'est un sujet de santé publique majeur par ses impacts sanitaires mais aussi sociétaux et économiques. À ce titre, les territoires ultramarins aux Antilles, en Guyane et dans l'océan Indien, à Mayotte ou à La Réunion, ont payé un lourd tribut dans le cadre des épidémies de chikungunya, de dengue, de Zika… L'effort doit donc porter sur la prévention dans tous les territoires, qu'ils soient ultramarins ou métropolitains.

Quand je dis que le sujet des arboviroses fait partie de nos priorités, ce n'est pas une formule de style. La menace à la fois prégnante et croissante. Dans le contexte des changements climatiques, des enjeux environnementaux et de la globalisation des échanges, ce risque des maladies vectorielles à moustiques prend chaque jour de l'ampleur en France et on ne peut pas exclure un risque d'endémisation dans certains de nos territoires, lié à la colonisation du vecteur moustique Aedes albopictus. Pour donner un ordre de grandeur, en 2010, nous avions six départements colonisés en métropole ; à ce jour, nous en comptons plus de soixante.

Notre enjeu est donc bien de préparer l'ensemble des territoires et surtout leur résilience face à ce nouveau risque. À ce titre, la prévention des maladies vectorielles à moustiques a été clairement intégrée dans le plan Priorité prévention du gouvernement. Outre ces enjeux nationaux, nous avons aussi des enjeux internationaux dans le cadre du Règlement sanitaire international de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

En juillet 2019, la direction générale de la santé a publié un arrêté qui classe l'ensemble des départements de France comme à risque de développement d'arboviroses. Trois d'entre eux figurent également dans cet arrêté, comme concernés par le risque palustre : la Guyane, Mayotte et la Corse. Cela prouve non seulement l'intérêt que porte la direction générale de la santé à ce risque mais aussi ses enjeux.

Ces dernières années, nous nous sommes rendu compte – suite aux retours d'expérience des récentes épidémies d'arboviroses – que le cadre réglementaire était mal adapté à l'expansion de ces maladies. Il se construit un peu par strates et de manière assez empirique, en relation d'une part avec les niveaux de colonisation des territoires, et de l'autre avec l'apparition de nouveaux risques comme le virus West Nile ou le Zika. Aujourd'hui, l'agence Santé publique France a identifié une centaine d'arboviroses susceptibles d'être pathogènes pour l'homme. L'un de nos enjeux est de ne plus avoir de réflexion cloisonnée par strates, mais bel et bien un programme intégré de prévention de ces arboviroses et surtout un dispositif simple et lisible pour l'ensemble des acteurs : les populations, les professionnels de santé et les différents acteurs institutionnels.

Jusqu'à présent, l'organisation de la lutte contre les moustiques était de la compétence des collectivités, via la loi du 16 décembre 1964. Ensuite, la loi du 13 août 2004 a confié la lutte anti-vectorielle aux conseils départementaux. Il s'agissait en quelque sorte d'un pilotage bicéphale, avec l'État qui fixait la stratégie de la lutte anti-vectorielle et les collectivités qui mettaient en œuvre cette stratégie. D'où la nécessité, l'an passé, de réformer cette gouvernance. C'était indispensable au regard de la colonisation du territoire. Pour simplifier cette gouvernance, un décret est paru le 29 mars 2019, qui a abouti au transfert – depuis le 1er janvier 2020 – aux agences régionales de santé (ARS) à la fois des missions de surveillance entomologiques des espèces vectrices, et à la fois des missions d'intervention autour des cas d'arboviroses comme le Zika, le chikungunya ou la dengue. Par voie de conséquence, les conseils départementaux ont été recentrés sur leur compétence historique, c'est-à-dire la démoustication de confort. En parallèle, ce décret appuie sur la nécessité de mettre à disposition des maires une « boîte à outils » – dans le cadre de leurs compétences générales d'hygiène et de salubrité – pour limiter la prolifération des moustiques. C'est l'un des enjeux principaux dans les années à venir : mobiliser les maires et les collectivités locales pour pouvoir prévenir ces maladies et intervenir dès le départ, à la racine du problème.

Dernier point de ce décret, l'intervention du préfet est renforcée dans le cadre du plan d'organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec). C'est effectivement lui, dans ces périodes de crises, qui dispose du pouvoir des mesures intersectorielles des différents acteurs du département. Elles sont indispensables : l'ARS ne peut pas tout gérer elle-même en phase épidémique. Pour synthétiser, l'idée est de mobiliser les collectivités territoriales pour limiter la prolifération des moustiques et de recentrer l'État autour d'une intervention rapide sur les cas, pour limiter et prévenir les épidémies.

Quand on parle de lutte anti-vectorielle, on a souvent en tête la lutte chimique, avec biocides. Mais la lutte anti-vectorielle ne peut se dérouler que dans le cadre d'une approche intégrée, par le biais à la fois de mesures biologiques – cela peut être l'utilisation d'organismes vivants de types prédateurs ou agents pathogènes pour éliminer les moustiques – de mesures physiques – la lutte mécanique est fondamentale notamment pour éliminer les gîtes larvaires – et à la fois de mesures chimiques, par l'utilisation des biocides pour lesquels une attention particulière doit collectivement être portée en raison de leur empreinte environnementale. Le dernier point de cette lutte intégrée est la mobilisation sociale, la communication, l'intervention et la mobilisation de la population pour prévenir les risques, notamment l'apparition des gîtes larvaires.

Pour être efficaces et réactifs dans la gestion des maladies vectorielles, la direction générale de la santé doit disposer d'un dispositif de décèlement et de diagnostic lui-même très efficace et très réactif. C'est la raison pour laquelle, la DGS et les ARS doivent mobiliser et sensibiliser les professionnels de santé à la déclaration de ces maladies, dès lors qu'il s'agit de cas probables ou de cas confirmés et avérés, et faciliter leur signalement par ces professionnels de santé auprès des ARS. Le diagnostic biologique est une l'une des clés de voute de la réponse à tout risque épidémique, et la direction générale de la santé a coordonné un ensemble de dispositifs qui ont permis l'inscription à la nomenclature du diagnostic par réaction de polymérisation en chaîne – Polymerase Chain Reaction (PCR) – des différentes arboviroses. Et, toujours avec le même objectif de simplifier le diagnostic biologique et d'avoir un dispositif qui soit le plus réactif possible, on a promu l'utilisation des tests rapides d'orientation diagnostique – les fameux TROD – auprès des professionnels de santé. C'est un point essentiel.

Enfin, j'ai évoqué le fait que les territoires ultramarins avaient été très touchés ces dernières années par les risques liés aux arboviroses. Un certain nombre d'enseignements peuvent être tirés de ces expériences. J'ai fait le tour de l'ensemble de ces territoires ces deux dernières années : que ce soit en termes de mobilisation de la population, de mobilisation sociale, ou en termes d'actions de lutte anti-vectorielle qui ont été et sont menées dans ces territoires, il y a un certain nombre d'expérimentations dont on pourra tirer profit pour la métropole.

Si je devais faire une synthèse des enjeux qui nous font face dans les prochains mois et les prochaines années, il s'agit de continuer à développer notre démarche d'anticipation par rapport à ces risques émergents et de renforcer le rôle des collectivités territoriales dans la prévention et la mobilisation sociale. Mais d'autres défis nous attendent : la prise en compte de la résistance aux biocides ; l'organisation de l'offre de soins pour adapter les systèmes sanitaires à la prise en charge de ces maladies et de ces épidémies ; l'organisation du diagnostic biologique, notamment par le déploiement encore plus massif des TROD. Dernier axe de notre réflexion : la santé ne peut agir seule. C'est vraiment d'une mobilisation interministérielle dont nous avons besoin, comme celle qu'on a pu créer dans le cadre de l'épidémie de dengue à La Réunion, ces dernières années.

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