Intervention de Franck Riester

Réunion du mercredi 2 février 2022 à 15h30
Commission des affaires étrangères

Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l'attractivité :

Je vous remercie de m'offrir la possibilité d'avoir cet échange avec vous, après m'être exprimé, il y a quelques jours, devant le Parlement européen pour expliquer les priorités de la présidence française de l'Union européenne et revenir sur certains sujets d'actualité.

La réunion informelle du Conseil des ministres de l'UE concernant le commerce se tiendra les 13 et 14 février prochains à Marseille. Le choix de cette ville est symbolique : son port est une ouverture sur la Méditerranée et l'Afrique, qui est l'une des priorités de notre présidence. Cette réunion sera précisément pour moi l'occasion de rappeler ces priorités à mes homologues européens et, surtout, de travailler avec eux à des avancées dans ces domaines.

Quelles sont ces priorités ? Tout d'abord, l'ouverture. Nous devons continuer d'ouvrir les marchés à nos entreprises et veiller à ce que le commerce soit le plus fluide possible. Toutefois, cette évolution ne doit pas se faire moyennant le sacrifice du développement durable. C'est pourquoi notre deuxième priorité est de renforcer les outils nous permettant d'assouvir nos ambitions dans ce domaine, tant en matière d'environnement que de droits sociaux et de droits humains. Par ailleurs, nous devons nous montrer plus fermes pour mieux protéger nos entreprises et nos intérêts, encourager une concurrence loyale – le fameux level playing field –, lutter contre les pratiques coercitives et défendre la réciprocité auprès de nos différents partenaires.

Sont d'abord inscrites à l'ordre du jour de cette réunion les questions relatives à l'Organisation mondiale du commerce, qui doit être à l'avenir plus efficace et plus réactive. Si les efforts de la directrice générale, qui a su insuffler une nouvelle dynamique à l'organisation, sont indéniables, nous avons désormais besoin de résultats concrets en matière de négociations, de transparence ou d'arbitrage. J'ai du reste évoqué ces différents points avec Mme Ngozi Okonjo-Iweala la semaine dernière, lorsqu'elle nous a fait l'honneur de venir à Paris pour participer à un colloque que j'organisais sur le développement durable et le commerce.

Sur la question très sensible des relations entre santé et commerce, donc des vaccins, des brevets et de la propriété intellectuelle, des positions très antagonistes s'expriment au sein de la communauté internationale : certains sont favorables au maintien en l'état du cadre juridique, d'autres veulent lever les brevets qui permettent de protéger les innovations et les vaccins.

Nous défendons, quant à nous, une troisième voie, estimant que la priorité des priorités est l'accès aux vaccins et, plus largement, aux traitements, accès qui suppose un volume de production, une distribution facilitée et une production plus localisée, notamment dans les pays en développement. Le dispositif actuel permet à ces derniers de mettre en place des dispositifs de production locale de vaccins, grâce notamment à l'utilisation des licences volontaires ; c'est le cas, par exemple, en Afrique du Sud, au Rwanda et au Sénégal. Il faut cependant aller plus loin et bâtir un cadre qui permettrait à l'avenir d'être plus efficace et plus rapide.

Il convient par ailleurs, d'une part, de lever les barrières à l'exportation qui freinent l'accès aux traitements et aux vaccins, d'autre part, de maintenir les brevets, qui constituent des éléments clés d'incitation à l'innovation, tout en facilitant l'accès aux licences volontaires ou obligatoires des accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) à l'OMC, notamment en simplifiant et en accélérant les procédures administratives. Telle est l'approche globale défendue par le Président de la République lors de son audition devant le Parlement européen.

Nous évoquerons ensuite les négociations en cours. Celles sur la pêche avancent bien. Nous tenons à ce qu'elles favorisent la lutte contre la pêche illégale, une meilleure gestion des ressources halieutiques et la protection de la biodiversité – ces deux derniers objectifs étant également ceux des mécanismes à l'œuvre dans le cadre de la politique européenne de la pêche. Il s'agit de la seule négociation multilatérale en cours ; nous avons bon espoir qu'elle débouche sur un accord, même si certains pays, comme l'Inde, campent sur des positions très dures.

Le commerce numérique fait également l'objet de négociations, auxquelles participent 86 membres de l'OMC. Si la dynamique est positive pour tout ce qui concerne la facilitation de ce commerce, les discussions sont plus difficiles sur la propriété, la protection et la gestion des données, notamment dans le cloud. Le Japon et le Brésil font beaucoup pour que les discussions – dont la localisation du stockage des données est le point le plus sensible – aboutissent à un accord entre les différentes positions.

Créé par plus de vingt juridictions, le mécanisme plurilatéral intérimaire d'appel, qui vise à faciliter l'arbitrage en cas de contentieux au niveau de l'OMC, couvre le même périmètre que celui que couvrirait l'organe d'appel s'il fonctionnait. Ce mécanisme pourrait connaître d'un certain nombre de recours ; je pense en particulier au très lourd contentieux commercial entre la Chine et l'Australie, qui pénalise notamment le vin australien. Mais la tâche essentielle consiste à réformer l'OMC pour recréer un système de règlement des différends comportant un niveau d'appel opérationnel.

S'agissant des relations avec l'Afrique, nous avons organisé, au début du mois de janvier, un colloque consacré aux relations commerciales et à l'investissement. La relation entre l'Union européenne et l'Union africaine et, plus largement, entre les deux continents constitue l'une des priorités de la présidence française. Sur le plan commercial, cette priorité se traduit par le soutien que nous apportons à la création de la zone de libre-échange continentale et par la volonté d'approfondir et d'accélérer un certain nombre d'accords régionaux bilatéraux.

Nous souhaitons également nouer avec l'Afrique des partenariats renouvelés, gagnant-gagnant. J'y travaille, à l'échelle nationale et européenne, en m'attachant à repenser certaines chaînes de valeur. Nous souhaitons en effet, vous le savez, accroître notre autonomie stratégique. À cette fin, nous devons analyser et réorienter nos chaînes d'approvisionnement et de valeur, afin qu'elles soient plus résilientes. Cette réorientation passe par une relocalisation en France et en Europe mais aussi par une colocalisation dans un certain nombre de pays partenaires dont nous sommes proches sur le plan géographique, culturel, linguistique et historique. Je pense bien entendu à l'Afrique du Nord – on voit ce qui a été fait au Maroc dans le secteur de l'aéronautique ou en Tunisie dans celui de l'automobile – et à l'Afrique subsaharienne pour le secteur agroalimentaire, en particulier le cacao et la noix de cajou. Tout cela doit conduire à terme à une vision commune à l'Union africaine et l'Union européenne, qui pourra se traduire notamment par des accords commerciaux.

Troisième point à l'ordre du jour du Conseil : la relation transatlantique, qui a connu des avancées très nettes en matière de commerce. Ainsi, le moratoire de cinq ans obtenu dans le cadre du contentieux Boeing-Airbus permet à nos exportateurs non seulement du secteur aéronautique mais aussi du secteur viticole de ne plus être pénalisés par les tarifs douaniers. De même, l'accord sur l'acier et sur l'aluminium nous a permis d'éviter une escalade tarifaire. Nous n'avons pas pris les mesures prévues dans le cadre de la deuxième phase de rééquilibrage parce que les États-Unis ont levé leur tarif douanier sur un quota historique d'exportation d'acier et d'aluminium européen.

Ces deux contentieux ne sont pas clos pour autant : la Commission européenne continue de discuter avec l'administration de Katherine Tai de la manière dont nous pourrions, premièrement, soutenir nos industries aéronautiques respectives, deuxièmement, lever définitivement les tarifs douaniers sur l'acier et l'aluminium si nous parvenions à mieux gérer au niveau international la surcapacité de production et la question très complexe des subventions que certains pays utilisent sans vergogne.

Nous comptons aborder ces questions dans le cadre du Conseil de commerce et de technologie, le fameux TTC, dont la première réunion a eu lieu à Pittsburgh. Sa deuxième réunion, qui doit se tenir en France, vraisemblablement au mois de mai ou de juin, nous permettra de discuter également de la lutte contre le changement climatique, en particulier du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, de la résilience des chaînes de valeur, du rôle des technologies dans la transformation numérique et, bien entendu, de l'usage des technologies émergentes. Deux règlements européens importants, Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), encadrent l'activité des acteurs du numérique en Europe, tant en matière de concurrence qu'en matière de protection des droits des utilisateurs. Mais nous devons discuter avec les États-Unis de la manière dont nous pouvons mieux prendre en compte les conséquences des technologies émergentes afin d'éviter, demain, des tensions commerciales. Le TTC est, à cet égard, un bel outil. J'ajoute qu'il nous faudra également avancer avec eux – peut-être dans un autre cadre que celui de ce conseil – sur la question des mesures extraterritoriales, à laquelle je sais certains d'entre vous particulièrement attentifs.

Nous aurons l'occasion d'évoquer quelques sujets parallèles, comme la relation avec la Chine, qui a pris des mesures commerciales et économiques très fortes en réaction à la décision politique de la Lituanie d'autoriser l'ouverture par Taïwan d'un bureau sur son territoire. Cette intimidation, qui consiste à user de l'outil économique et commercial à des fins politiques, est inacceptable. La Commission a d'ailleurs lancé une procédure de consultation à l'OMC, car la décision chinoise de bloquer toutes les importations lituaniennes – et même les produits incorporant des composants produits en Lituanie – est contraire tant au droit du commerce international qu'au droit international public.

Nous devons prendre en considération cette situation dans la préparation de l'instrument anticoercition que la Commission a proposé il y a quelques semaines et que le Conseil doit encore examiner – nous travaillons, bien entendu, à l'élaboration d'un consensus sur ce texte. L'exemple de la relation entre la Chine et la Lituanie doit nous inciter à adopter un outil puissant.

Nous aurons enfin l'occasion d'aborder avec Bernd Lange, président de la commission du commerce international (INTA) du Parlement européen, l'actualité et l'agenda parlementaire européen. Nous évoquerons bien évidemment l'instrument international sur les marchés publics (IPI), qui permet d'exiger de nos partenaires commerciaux la réciprocité dans l'ouverture de ces marchés. De fait, celle-ci n'est nulle part aussi large qu'en Europe : si 95 % de nos marchés publics sont ouverts à nos partenaires, ces derniers n'ouvrent, en moyenne, que la moitié des leurs à nos entreprises – la Chine n'en ouvre aucun, les États-Unis et le Japon en ouvrent environ un tiers –, ce qui n'est plus acceptable. Cet instrument permettra de forcer nos partenaires à ouvrir leurs marchés publics à nos produits, quels que soient les secteurs concernés, faute de quoi nous refermerions les nôtres à leurs produits.

Est également inscrite à l'ordre du jour la révision des chapitres de nos accords commerciaux consacrés au développement durable. Cette révision doit nous permettre de ne plus signer, à l'avenir, de tels accords que si nos partenaires s'engagent à faire du respect de l'accord de Paris une clause essentielle et de préciser nos exigences à leur égard en la matière. Elle nous permettrait également de passer, dans bien des cas, d'une obligation de moyens à une obligation de résultat, s'agissant par exemple de la signature de certaines conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) – la question a été souvent évoquée à propos de la Chine et du travail forcé –, et de recourir, après les arbitrages, à des sanctions si nos partenaires commerciaux n'ont pas respecté les engagements pris dans les accords.

La révision du système des préférences généralisées (SPG) est également en cours. Il s'agit, là encore, de mieux prendre en compte des objectifs plus ambitieux en matière de développement durable dans nos relations avec des pays en développement. Je pense, par exemple – la filière commerce n'est pas la seule concernée –, à l'instrument de limitation de la déforestation importée, qui permet de bloquer l'importation en Europe de produits issus de la déforestation, à l'instrument destiné à lutter contre les subventions octroyées par certains pays à leurs entreprises pour racheter des entreprises européennes ou candidater de façon déloyale à des marchés publics européens et, enfin, au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui est très important en matière de lutte contre les fuites de carbone dans les secteurs concernés par ce mécanisme.

Je ne qualifierai pas le momentum actuel d'historique, car le terme est galvaudé, mais il est à coup sûr exceptionnel, grâce à l'alignement des planètes dont témoignent la nouvelle stratégie de l'UE en matière de politique commerciale, présentée par la Commission au printemps 2021, les positions défendues par la France depuis le discours de la Sorbonne du Président de la République et l'évolution de certains pays qui avaient montré jusqu'alors peu d'affinités avec nos convictions ; je pense aux Pays-Bas, avec lesquels nous partageons désormais beaucoup de positions sur le développement durable – rappelez-vous le papier envoyé à la Commission en 2020 – et à l'Allemagne, où la nouvelle coalition est bien plus alignée sur nos positions que la précédente.

Ainsi, nous pourrons, au cours de la présidence française, accélérer le développement d'un grand nombre d'instruments et de politiques chers à notre cœur pour continuer d'ouvrir l'Europe à des échanges commerciaux utiles à la croissance et à l'emploi. Mais, encore une fois, cette ouverture ne doit pas se faire au détriment de la protection de nos entreprises et de la défense d'un commerce équitable et loyal – et sûrement pas au détriment de la planète et de nos valeurs, notamment des droits sociaux et des droits humains.

Le moment est particulièrement opportun pour faire avancer des combats que la France mène bien souvent depuis des années.

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