M. Jean-Marie Fiévet interroge M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur les inquiétudes des pêcheurs face à la prolifération des cormorans. En voie de disparition dans la seconde moitié du XXe siècle, l'espèce est protégée depuis les années 1970 par une directive européenne. À cette époque, l'oiseau était cantonné sur les côtes et son apparition à l'intérieur des terres remonterait au début des années 1980. Depuis, le cormoran ne cesse de proliférer en France ; on dénombrait ainsi en France plus de 11 000 couples de cormorans sur le territoire national en 2021, soit 16 % de plus qu'en 2018, selon le rapport Marion publié par le ministère de la transition écologique. Cette prolifération inquiète grandement les pêcheurs de la région Nouvelle-Aquitaine, dans la mesure où cette espèce d'oiseau a une alimentation exclusivement basée sur les poissons (environ 500 grammes par jour). Une telle consommation du cormoran met en péril l'activité des pêcheurs qui voient leurs aquacultures dépouillées, mais constitue aussi un réel danger pour la biodiversité aquatique. Si les associations de pêcheurs ont obtenu la possibilité de déroger à la directive européenne 2009/147/CE de 2009 concernant les oiseaux sauvages, la destruction des grands cormorans est régie par l'arrêté du 19 septembre 2022 fixant les plafonds départementaux, considérés bien souvent trop bas pour faire face à la menace que représentent les cormorans. Dans ce contexte, il lui demande quelles mesures le Gouvernement envisage afin de réguler la population de cormorans.
Le grand cormoran est une espèce autochtone protégée au niveau national, qui bénéficie également au niveau européen du régime général de la protection de toutes les espèces d'oiseaux (directive oiseau). Son régime alimentaire est piscivore. La population de la sous-espèce Phalacrocorax carbo sinensis s'était significativement réduite jusque dans les années 1970. Depuis lors, le nombre moyen de grands cormorans a augmenté jusqu'à atteindre un niveau relativement stable depuis 2013 et oscillant autour de 100 000 individus présents. Afin de contrôler l'impact que le grand cormoran occasionne sur les piscicultures et, le cas échéant, les poissons sauvages, un système dérogatoire à la protection stricte permet de mener des opérations de régulation dans des conditions fixées par l'arrêté ministériel cadre du 26 novembre 2010. Un arrêté pris tous les trois ans fixe les plafonds départementaux dans les limites desquelles les dérogations peuvent être accordées. L'arrêté couvrant la période 2022/2025, a été publié le 1er octobre 2022. Il est lui-même décliné en arrêtés départementaux annuels ou triennaux définissant les personnes habilitées, les périodes et les zones de tir autorisées. L'élaboration de l'arrêté triennal 2022/2025 est intervenue dans le contexte particulier d'annulation d'arrêtés préfectoraux relatifs aux dérogations sur les cours d'eau et plans d'eau, suite à diverses requêtes déposées ces dernières années. Plus d'une quinzaine d'arrêtés ont été annulés et plusieurs contentieux sont en attente de jugement. Les décisions des tribunaux administratifs font état de motivations insuffisantes des arrêtés car ils ne démontrent pas la présence dans les cours d'eau d'espèces de poissons menacées, l'impact du grand cormoran sur les espèces protégées ou la mise en œuvre de solutions alternatives. Dès lors, les conditions de dérogation ne sont pas remplies. En conséquence, lors des travaux préparatoires à l'élaboration de l'arrêté, des réflexions ont été engagées avec l'ensemble des partenaires concernés par le grand cormoran (représentants des pisciculteurs et pêcheurs, associations de protection de la nature, experts, administration) afin de permettre la sécurisation des actes juridiques et d'éviter que les futurs arrêtés préfectoraux ne soient à nouveau annulés. Au terme de la période de consultation, il a été décidé de ne pas établir dans l'arrêté 2022/2025 de plafonds pour les cours d'eau et plans d'eau et de n'y rendre aucune dérogation possible. En effet, en l'état, les éléments disponibles ne permettaient pas de démontrer l'impact du grand cormoran sur les espèces piscicoles menacées et de remplir les conditions de dérogation. L'arrêté du 19 septembre 2022 permet donc que les dérogations soient accordées pour protéger les seules piscicultures, dans 58 départements, avec un plafond annuel de 27 892 individus autorisés à la régulation. Les craintes des pêcheurs et de leurs fédérations de ne plus bénéficier de dérogations, notamment lorsque certaines rivières présentent des enjeux particuliers en raison de la présence de certaines espèces piscicoles patrimoniales et sensibles, ont été signalées. Aussi, si des études étaient produites localement et démontraient l'impact de l'espèce sur l'état de conservation des espèces de poissons protégées ou menacées, l'arrêté 2022/2025 pourrait être complété au cours de la période triennale, afin de mettre en place des plafonds sur les cours d'eau et plans d'eau concernés dans les départements. La justification de cet impact local permettrait en effet de remplir les conditions nécessaires à l'octroi des dérogations. Un protocole-cadre national a été discuté avec la Fédération nationale de la pêche en France (FNPF) et quatre départements pilotes ont été retenus pour le mettre en œuvre. Les premiers résultats de ces études sont attendus au cours des prochains mois. Enfin, au regard des menaces qui pèsent sur les milieux aquatiques, une vigilance est nécessaire pour que soit mis en œuvre l'ensemble des moyens permettant de restaurer et maintenir leur équilibre. En effet, au-delà de la prédation exercée par le grand cormoran sur les espèces piscicoles, d'autres enjeux importants, tels que la continuité écologique, la lutte contre les pollutions et les espèces exotiques envahissantes, doivent faire l'objet d'une attention particulière.
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