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Alexis Corbière
Question N° 9314 au Ministère des ministère de l’Europe et des affaires étrangères


Question soumise le 27 juin 2023

M. Alexis Corbière interroge Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur le rôle de la France quant au projet d'autoriser, dans un cadre flou, l'espionnage de journalistes sur le simple prétexte de sécurité nationale. En juillet 2021, le consortium coordonné par Forbidden Stories regroupant 17 rédactions dont Le Monde, ont eu accès à des dizaines de milliers de numéros de téléphone potentiellement ciblés par Pegasus, un logiciel espion israélien, pour le compte d'une dizaine d'États dont des membres de l'UE. Parmi les personnes ciblées se trouvaient notamment des journalistes, des avocats, ou encore des responsables politiques de nombreux pays, y compris la France. En avril 2022, le média numérique grec Inside Story révélait que de nombreux journalistes, dont le journaliste anti-corruption Thanasis Koukakis, ainsi que des responsables politiques - notamment de l'opposition - grecs mais aussi étrangers étaient sur écoute, grâce au logiciel espion Predator. À la suite de ces scandales d'ampleur majeure, une commission du Parlement européen chargée d'enquêter sur l'utilisation de Pegasus et de logiciels espions de surveillance équivalents a été créée. Dans une résolution adoptée ce jeudi 15 juin 2023, le Parlement a mis en lumière les réformes nécessaires, pour encadrer ces outils numériques et limiter les abus liés à l'utilisation de logiciels espions par des États membres. En parallèle, le 16 septembre 2022, toujours au Parlement européen, a été présenté un projet de règlement sur la liberté des médias pour « renforcer l'indépendance des médias et des journalistes, la stabilité des médias de service public et à limiter les concentrations ». L'article 4 devait consacrer la protection des journalistes en interdisant toute mesure coercitive visant à pousser un journaliste à révéler ses sources, de même que la surveillance de leurs communications ou encore l'utilisation de logiciels espions sur leurs outils numériques. Pourtant, d'après des documents consultés par Investigate Europe, plusieurs pays à commencer par la France, feraient pression sur les négociations pour donner la possibilité aux États de surveiller les communications des journalistes si la « sécurité nationale » l'exige. Ainsi, d'après le procès-verbal de la réunion du 14 mars 2023, le gouvernement français a proposé d'introduire une exemption pour les situations où la sécurité nationale serait engagée, ce qui reviendrait à neutraliser partiellement la portée de l'article 4. Dans la foulée de cette proposition, la Suède, qui préside le Conseil de l'UE, a donc ajouté l'alinéa suivant audit article : « Le présent article est sans préjudice de la responsabilité des États membres en matière de sauvegarde de la sécurité nationale ». Aucun des 27 ne se serait ainsi opposé à cette réécriture. Or la sécurité nationale est une notion aux frontières extrêmement vagues et aisément malléables par n'importe quel responsable politique souhaitant regrouper des informations sur le travail d'un journaliste ou sur la personne en elle-même. Ainsi, Sophie in 't Veld, l'eurodéputée néerlandaise qui a dirigé la commission d'enquête du Parlement européen sur Pegasus, considère que le concept vague de « sécurité nationale » est un « blanc-seing », sans « cadre juridique clair ». Pour le journaliste grec indépendant Thanasis Koukakis, son histoire « montre à quel point il est facile d'utiliser la sécurité nationale comme prétexte pour menacer les journalistes et leurs sources ». En 2020, RSF rendait publiques ses 10 recommandations pour imposer des garanties démocratiques dans l'espace numérique de l'information et de la communication. Parmi celles-ci étaient notamment citée le renforcement de la protection des journalistes contre la surveillance étatique. En 2016, la France était à l'origine de la création au siège de l'ONU à New York, du Groupe des amis des Nations unies pour la protection des journalistes. La France en assure d'ailleurs aujourd'hui en assure la co-présidence avec la Grèce et la Lituanie. À l'initiative de la France, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté pour la première fois le 26 novembre 2013 une résolution portant sur la sécurité des journalistes et la lutte contre l'impunité. Dans celle-ci, l'Assemblée générale « demande aux États Membres de créer des conditions de sécurité permettant aux journalistes de faire leur travail de façon indépendante et sans être soumis à des pressions ». Toutefois et malgré ces promesses les services diplomatiques ainsi que le Gouvernement ont été relancés à plusieurs reprises par le consortium à l'origine des révélations sur les pressions qui auraient eu lieu lors des négociations sur le projet de règlement européen sur la liberté des médias. Or tous refusent pour l'instant de donner suite à ces interpellations et se murent dans le silence. M. le député demande à Mme la ministre, de confirmer ou d'infirmer le fait que la France ait proposé, lors de débats, d'autoriser l'espionnage de journalistes, sur un fondement plus que perméable à la subjectivité de l'exécutif et sans cadre juridique transparent. Il lui demande si elle pourrait assurer aux Français que le pays ne prend pas une pente autoritaire en autorisant la mise sous surveillance des journalistes, y compris l'utilisation de logiciels espions ou de tout autre moyen d'obtention d'informations sur une enquête journalistique, alors là-même que la liberté de la presse devrait être la pierre angulaire d'institutions justes et impartiales.

Réponse émise le 20 février 2024

L'acte européen relatif à la liberté des médias, dit European Media Freedom Act (EMFA), a vocation à devenir le principal instrument législatif communautaire visant à conforter l'indépendance et le pluralisme des médias pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle au service de la démocratie en Europe. La France a apporté de manière appuyée son soutien à cette initiative essentielle pour le bon fonctionnement de la vie démocratique européenne. Elle l'a appelée de ses vœux dès sa Présidence du Conseil de l'Union européenne et a soutenu les Présidences tchèque et suédoise dans leurs efforts pour dégager un consensus sur ce texte. Le renforcement du pluralisme des médias figurait en effet dans le programme de trio adopté par la France, la République tchèque et la Suède. La France se réjouit donc de l'accord obtenu en juin dernier au Conseil, qui ouvre la voie à la mise en œuvre d'un cadre commun propice au pluralisme des médias, à la consolidation de leur indépendance et au renforcement de leurs modèles économiques. L'EMFA, en son article 4, garantit la protection des sources des journalistes, permettant ainsi d'étendre au niveau européen un principe consacré de longue date en droit français et auquel la France est pleinement attachée. Comme le prévoit le droit national (article 2 de la loi du 29 juillet 1881), la protection des sources ne peut être efficace que si elle est garantie à ceux qui, dans le cadre de leurs relations avec le journaliste, peuvent avoir accès à des informations permettant une identification de leurs sources. Ne pas protéger ces personnes reviendrait à créer une faille juridique qui affaiblirait considérablement la protection recherchée. La France, aux côtés de nombreux Etats membres, a donc souhaité en préciser les bénéficiaires afin d'assurer l'effectivité de ce droit, en le fondant sur la connaissance effective des sources des journalistes et de leur travail plutôt que sur des critères relationnels arbitraires. Il va de soi que cette protection des sources est d'application générale et concerne également les logiciels de surveillance. A ce sujet, la France, avec ses partenaires, a souhaité travailler à une dénomination technologiquement neutre et susceptible de conserver une pertinence dans la durée, dans un contexte d'évolution technologique rapide. De la même manière, la clause d'exclusion de la sécurité nationale soutenue par la France a uniquement pour objectif d'assurer la conformité du texte à la répartition des compétences prévue par le Traité sur l'Union européenne, afin d'éviter tout risque d'empiètement sur les compétences nationales dans le plein respect de la hiérarchie des normes, à l'instar de la rédaction de plusieurs autres textes européens, tels que le Règlement général sur la protection des données (RGPD) ou la directive ePrivacy. N'ayant d'autre objectif que de rappeler le droit existant, elle n'altère en rien le cadre juridique qui garantit la protection des sources des journalistes, dont la France se réjouit de l'extension à l'échelle communautaire. Le souci de la France a ainsi été d'assurer une rédaction juridiquement conforme au droit primaire, adéquatement calibrée et correspondant aux réalités opérationnelles et techniques des dispositions du texte, afin de garantir l'effectivité des droits qu'il consacre. Il ne peut donc, en aucun cas, être soutenu que l'implication de la France a visé à favoriser la surveillance des journalistes, pratiques que la France a vivement condamnées et condamne le plus fermement. La France restera par ailleurs engagée en faveur de la liberté de la presse, la protection des journalistes et l'information libre et de qualité dans toutes les enceintes multilatérales, comme elle l'a toujours fait. La France parraine notamment le "Partenariat information et démocratie", en lien avec RSF.

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