M. Antoine Léaument alerte M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur l'émission par l'agence France Trésor d'obligations assimilables au trésor indexées sur l'inflation (OATi) ce jeudi 18 août 2022. Cela signifie que les financiers qui prêtent à la France auront des remboursements qui pourront évoluer en fonction de l'inflation. Pour eux, aucun risque : ils seront gagnants dans tous les cas. Aussi, alors que, selon son propre site internet, la mission de l'agence France Trésor est de « gérer la dette et la trésorerie de l'État au mieux des intérêts du contribuable et dans les meilleures conditions possibles de sécurité », une telle émission interroge et inquiète. Comment comprendre qu'elle puisse avoir lieu alors que l'inflation est au plus haut et que les tendances lourdes qui pèsent sur l'augmentation des prix ont peu de chances de se modifier, qu'il s'agisse de la guerre d'Ukraine ou des effets du changement climatique sur les prix des matières premières agricoles ? Une telle émission d'obligations dans le contexte actuel est hautement spéculative et risquée pour l'État. Elle ne permet donc de remplir aucun des objectifs de l'agence France Trésor : ni d'assurer la « sécurité », ni de défendre les « intérêts du contribuable ». Pire ! Alors que les travailleurs se sont vus refuser l'augmentation du Smic et des salaires et vont donc perdre du pouvoir d'achat, une telle émission d'OATi offre aux rentiers les moyens de s'enrichir à mesure que les prix augmentent. M. le ministre, il faut défendre le travail par l'augmentation des salaires et non pas l'oisiveté par l'augmentation de la rente ! M. le député voudrait donc connaître les raisons qui ont motivé cette décision de l'agence France Trésor et aimerait que le ministre lui précise en quoi elle est conforme aux missions de l'agence. S'il est sans doute trop tard pour empêcher l'émission de ces OATi, il, lui demande s'il peut s'engager à ce que d'autres ne soient plus émises à l'avenir afin de gérer correctement les finances publiques.
Les obligations indexées à l'inflation (OAT indexées) sont des titres dont les flux, intérêts annuels et principal à maturité, dépendent de l'inflation réalisée qu'elle soit française pour les OATi ou européenne pour les OAT€i. Cette caractéristique est justement la raison pour laquelle les investisseurs sont prêts à accepter de recevoir un taux d'intérêt plus faible, appelé taux d'intérêt réel. Le taux d'intérêt réel moyen à l'émission de l'adjudication d'OAT indexées du jeudi 18 août 2022 s'est par exemple élevé à -1,56 %, contre un taux moyen à l'émission de +1,16 % pour l'adjudication d'obligations nominales classiques de moyen-terme du même jour. Lorsque l'État émet ce type d'obligations, l'écart entre le taux d'intérêt réel d'un titre à l'émission et le taux d'un hypothétique titre à taux fixe équivalent reflète l'anticipation d'inflation de la part des acteurs de marché et le prix qu'ils sont prêts à payer pour se couvrir contre le risque inflationniste. Il est donc inexact de dire que l'État « spécule » ou que les investisseurs ne prennent aucun risque ou « seront gagnants dans tous les cas ». À titre d'exemple, le jeudi 18 août 2022, l'OAT€i du 25 juillet 2032 a été émise à un niveau de taux réel reflétant une anticipation d'inflation moyenne de 2,6 % sur la durée de vie de l'obligation, anticipation fixée dans le cadre d'une adjudication, après enchère. Dans cet exemple, si l'inflation annuelle moyenne réalisée dans les 10 prochaines années est inférieure à ce niveau (qui se situe par ailleurs nettement au-dessus de la cible de la BCE) ce titre coûtera moins à l'État qu'une OAT à 10 ans à taux fixe qui aurait été émise au même moment. À l'inverse, si l'inflation moyenne sur cette période est supérieure à 2,6 %, elle coûtera plus cher qu'une OAT à 10 ans à taux fixe. L'État ne prend pas de pari lorsqu'il émet une partie de sa dette sous forme de titres indexés. En diversifiant les produits, il diversifie ses canaux de financement, afin de pouvoir limiter le choc d'offre de titres sur chacun d'entre eux, et donc leur coût. Il diversifie aussi ses risques : n'emprunter qu'à taux fixe lorsqu'il existe une demande pour des titres indexés, c'est implicitement prendre le pari que l'inflation sera toujours supérieure aux anticipations. Enfin, s'il était besoin de montrer que l'investisseur n'est pas gagnant dans tous les cas, l'adjudication du 18 août 2022 nous en fournit un excellent exemple : lors de l'émission, l'État a reçu 1 599 M€ pour les titres adjugés. Il a depuis versé 28 M€ d'intérêts et les titres valent sur le marché secondaire 1 476 M€ au 25 juillet 2023. Un investisseur qui aurait acheté ces titres à des fins purement spéculatives enregistrerait donc à ce stade une perte de 6 %.
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