M. Hadrien Clouet appelle l'attention de Mme la Première ministre sur l'offensive qui menace l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES) en particulier, ainsi que sur les organismes de recherche sur le marché du travail en général. Depuis plus de quarante ans, l'IRES a pour mission d'éclairer le débat public, par le biais de publication d'études, de rapports et d'analyses sur les questions économiques, sociales, environnementales et sociétales. À cette fin, il finance et publie des études statistiques, des enquêtes de terrain ou des projets de recherche pluridisciplinaires. Or le 7 avril 2023, la Cour des comptes a dégainé un rapport sur l'IRES intégralement à charge, qui dépeint une image faussée de l'organisme. Dans son texte, la Cour en critique la gestion, le financement, la qualité de la recherche, allant jusqu'à remettre en cause la pertinence des sujets traités. Dans ses recommandations, elle propose même de réduire considérablement le budget de l'organisme. À cette fin, elle suggère de plafonner les frais généraux de l'Agence d'objectifs (AO) de l'IRES à 10 %, alors même que la loi de programmation pluriannuelle de la recherche académique préconise un montant des frais généraux à hauteur de 22 %. De plus, la Cour des comptes recommande un rattachement du Centre commun de recherche (CCR) de l'IRES à un établissement de recherche universitaire, remettant ainsi en cause la nature spécifique et les missions singulières et non-exclusivement académiques de l'organisme. En effet, l'IRES assure un dialogue entre les chercheurs et les organisations syndicales, qu'elle restitue au grand public. Elle joue un rôle décisif pour les jeunes chercheuses et chercheurs, qui soumettent leurs travaux simultanément au regard de collègues et de syndicalistes. Cette recommandation menace donc les fondements mêmes de l'IRES : la placer sous tutelle d'un grand centre de recherche académique mettrait en péril la sélection des équipes, le contenu des travaux, le pluralisme méthodologique et les débats d'idées qu'elle est un des derniers organismes à accueillir. Il ne s'agit pas d'un épiphénomène : depuis plus de dix ans, les gouvernements successifs ont mis à mal les sources d'information sur le marché du travail et tentent de liquider les organismes publics producteurs de données scientifiques. En 2016, le gouvernement Valls avait décidé la fermeture du Centre d'études de l'emploi (CEE), établissement public de recherche unique en France, qui unissait des chercheurs issus de diverses disciplines telles que la sociologie, le droit ou encore l'économie. Devenu le Centre d'études de l'emploi et du travail (CEET) et rattaché au Conservatoire national des arts et métiers, il a connu une fragilisation de ses programmes de recherche, une précarisation du personnel et un intérêt moins marqué pour l'accessibilité du plus grand nombre, engendrant un affaiblissement de la recherche de pointe dans le domaine de l'emploi et du marché du travail. En mars 2023, le Gouvernement actuel a exprimé son hostilité envers le Conseil d'orientation des retraites (COR), qu'il tient responsable de ses propres échecs politiques et de son ignorance en la matière. Pourtant, le COR représente un organisme envié à l'étranger, qui publie des scénarios variables, contradictoires et alternatifs afin d'accompagner l'action publique. C'est grâce à son rapport annuel sur le système des retraites que l'on a pu débusquer les mensonges du Gouvernement concernant le montant des pensions, le nombre d'annuités requises ou encore sur la nécessité de réformer un système soit disant déficitaire. Ces organismes publics de recherche représentent un atout considérable dans l'élaboration des politiques publiques, que l'on doit préserver et pérenniser. Leur liquidation priverait la population d'une source de données fiables de grande qualité. Elle empêcherait les acteurs publics de disposer des éléments nécessaires à la compréhension et à la bonne tenue des débats et permettrait à l'exécutif de gouverner à l'aveugle. Ainsi, M. le député interroge Mme la Première ministre sur ses intentions. Comment préservera-t-elle l'IRES et le COR ? Quelles dotations prévoit-elle pour renforcer les espaces de recherche mutualisée entre mondes universitaires et syndicaux ? Plus généralement, il souhaite savoir comment elle envisage de soutenir le pluralisme des institutions de recherche et de la diversité méthodologique de leurs productions.
Créé en 1982 afin de doter les organisations syndicales d'un institut d'analyse économique indépendant, l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES), dont les membres fondateurs et bénéficiaires sont la CFDT, la CFE-CGC, la CGT, la CGT-FO et l'UNSA Education, a pour objet de nourrir les débats de nature économique et sociale et d'apporter un soutien à la qualité du dialogue social. Constatant des insuffisances dans la gestion des études réalisées par l'institut et dans le pilotage des crédits qui lui sont alloués, lesquels s'élèvent à hauteur de 2, 9 millions d'euros pour l'année 2022, la Cour des comptes a formulé plusieurs recommandations afin de renforcer son organisation et les outils de suivi de son activité, d'améliorer l'évaluation de la qualité de ses travaux et d'assurer une meilleure maîtrise de ses dépenses. Par un courrier du 31 mai 2023, la Première ministre a adressé au Premier président de la Cour des comptes une réponse au référé sur l'IRES, librement accessible sur le site de la Haute juridiction financière. Il en ressort, d'une part, que si le Gouvernement partage l'objectif de renforcer la transparence du financement des organisations syndicales, lequel a conduit la Cour à recommander le transfert de l'agence d'objectifs à l'association de gestion du fonds pour le financement du paritarisme (AGFPN), cette piste requiert une instruction approfondie ; tout élargissement du périmètre d'intervention de l'AGFPN ne pouvant se faire qu'avec l'accord des partenaires sociaux. D'autre part, eu égard aux constats dressés par les magistrats financiers quant aux difficultés de gestion de l'IRES, toutes mesures allant dans le sens d'un réexamen des conventions actuelles entre l'IRES et les organisations syndicales dans le cadre de l'agence d'objectifs, qui, aujourd'hui, ne prévoient pas de compte-rendu financier, ni de plafonnement des frais généraux, ni même de suivi d'exécution des contrats, sont favorablement accueillies par le Gouvernement. A cet égard, le nouveau règlement intérieur de l'IRES, adopté par l'assemblée générale du 12 avril 2023, prévoit, d'ores-et-déjà, un plafonnement des frais généraux intégrant l'ensemble des frais liés aux activités de conception, d'animation et de valorisation des recherches conduites au sein des organisations syndicales dans le cadre de l'agence d'objectifs. En deuxième lieu, le gouvernement est attaché à ce que l'IRES demeure un outil de recherche à disposition des syndicats dans un cadre de suivi et d'évaluation rénové. Ainsi, le scénario d'un rattachement du centre commun de recherche de l'institut à un organisme de recherche recommandé par les magistrats financiers fera l'objet d'une réflexion approfondie. A ce propos, Messieurs Jean-Luc Tavernier et Nicolas Véron se sont vus confier par la Première ministre une mission générale portant sur l'ensemble des centres d'expertise économique en France afin, notamment, d'en dresser un panorama, d'examiner leurs modèles de fonctionnement et de proposer des pistes d'amélioration, le cas échéant à travers certains rapprochements. L'IRES fait partie du champ d'investigation de cette mission dont les conclusions permettront utilement d'alimenter la réflexion. Pour autant, l'adossement de l'IRES à une structure de l'enseignement supérieur, s'il était envisagé, devrait permettre de maintenir sa gestion directe par les organisations syndicales. Enfin, la recommandation de la Cour visant à confier à une commission scientifique, composée de personnalités scientifiques indépendantes, la mission d'évaluer la qualité des travaux de l'IRES, tant ceux du centre de recherches que de l'agence d'objectifs va dans le bon sens et rapprocherait l'institut des modes de fonctionnement des grands organismes de recherche. En tout état de cause, l'ensemble des évolutions précitées devraient nécessairement faire l'objet d'une concertation préalable approfondie avec les organisations syndicales.
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