Mme Gisèle Lelouis alerte M. le ministre des armées sur le débat actuel relatif au projet de loi de programmation militaire (LPM) « Potemkine » dont on voit les nombreuses failles pour les armées dans le futur - même si elle la votera faute de mieux - et notamment pour « avoir une guerre d'avance » qui privilégie une fumeuse « cohérence » sur la « masse » au sein d'un modèle d'armée lui permettant de devancer tout type de menace. La guerre conventionnelle qui se déroule en Ukraine, depuis plus d'une année, démontre au contraire que la masse est prépondérante en matière d'effectifs humains, de chars lourds, d'engins blindés, de canons, de défenses antichar et antiaérienne, de stocks de munitions de tous les calibres. L'emploi et l'utilisation de cette masse n'exclut pas la cohérence dans la pertinente coordination interarmes et interarmées. Au sein de l'armée de terre, la création de deux nouveaux états-majors, le renforcement d'autres et l'accroissement du nombre de personnels dédiés à la cyberdéfense en particulier ont provoqué une attrition significative des effectifs opérationnels déjà insuffisants. Ainsi, les régiments d'infanterie ont perdu une compagnie de combat et il n'est pas exclu qu'à court terme des régiments entiers ne soient supprimés. Mais on le sait, M. le ministre aura probablement des tours de passe-passe pour masquer cela en fusionnant ou en gardant une compagnie de figuration pour un seul régiment. Et tout cela, sans parler des pertes de matériels en temps de paix à travers les fameuses « donations à l'étranger » ou de temps humains à travers les « formateurs ». En ce qui concerne la marine, si elle se contente depuis des années d'un effort minimal, c'est-à-dire de remplacer un pour un des bâtiments en service sans déploiement de moyens supplémentaires (!!) de haut niveau : SNA, frégates, corvettes, porte-avions, avions et hélicoptères de surveillance, drones sous-marins et des effectifs portés à 80 000 personnels, elle montrera une extrême faiblesse. Avec la deuxième ZEE du monde, des outre-mer abandonnés, le pays ne peut être crédible face à ses « alliés » ou ses compétiteurs. La France n'est pas qu'une nation européenne fermée sur ce continent mais une nation mondiale ! Cette extrême faiblesse dans un monde marqué par le retour à la guerre navale classique étendue à tous les océans et mers du globe et le primat de la force sur le droit, expose la marine au déclassement et aux menaces (entrave du commerce international, sabotage de gazoducs et câbles de communication, actions accrues de piratage) auxquelles elle ne pourra pas répondre simultanément avec le maximum d'efficacité. Le format actuel de la marine et même celui envisagé par la LPM 2024-2030 n'ont pas à l'évidence la « dimension » du domaine maritime français notamment dans l'Océan indien et l'Océan pacifique. Il y a quelques années, le patrouilleur « le Malin » a été conçu à partir d'un chalutier réformé. Ne serait-il pas souhaitable de s'inspirer de cet exemple en multipliant, à moindre coût, le nombre de patrouilleurs opérant outre-mer ? Pour ce qui est de l'armée de l'air, elle n'a pas la « quantité » pour soutenir un choc dans la durée. Son format a souffert au profit de l'export. En outre, la livraison d'une centaine de Rafale perçus en 15 ans s'est avérée insuffisante en volume et en rythme. La cible fixée à 185 appareils pour 2030 est un minimum à comparer aux 600 chasseurs-bombardiers disponibles en 1991. Actuellement, le volume est de 159 appareils répartis entre aéronavale et armée de l'air avec un taux de disponibilité de 60 pour 100. C'est jouer avec le feu, M. le ministre, car en cas de guerre, la moitié de cette flotte serait sanctuarisée pour la dissuasion et on n'aurait plus alors la supériorité aérienne. Les forces terrestres et navales seraient neutralisées avant même de pouvoir intervenir et sans réserve, les conséquences pour la France seraient apocalyptiques. Un général d'armée en activité déclarait : « L'armée possède un matériel de première qualité. Nous bénéficions d'une dissuasion de premier ordre. Le Haut-commandement est remarquable. Nos soldats ont un moral excellent. Nous agissons dans un contexte d'opérations militaires et non de guerre ». Il s'agissait du Général Weygand en juillet 1939... Quelques mois plus tard, la France subissait, lors d'un combat de haute intensité mais très bref, la plus grande et humiliante défaite militaire de son histoire. Elle lui demande donc s'il est prêt, avec cette LPM, à assumer une possible défaite future.
La loi de programmation militaire adoptée définitivement par l'Assemblée nationale à une large majorité le 12 juillet a été pensée pour doter les armées françaises de moyens à la hauteur des menaces auxquelles notre pays devra faire face dans les années à venir. En cela, le modèle français est unique. Il tient compte à la fois de notre héritage militaire et des réels enjeux de sécurité qui peuvent peser sur notre souveraineté. Tout d'abord, la France est aujourd'hui un pays doté de l'arme nucléaire, ce qui prémunit contre une attaque étatique conventionnelle sur son sol. Clé de voûte de notre stratégie de défense, la crédibilité de notre dissuasion est assurée, reconnue et reste la garantie ultime de la sécurité, de la protection et de l'indépendance de la Nation. Elle assure en permanence notre autonomie de décision et notre liberté d'action dans le cadre de nos responsabilités internationales. Voilà pourquoi un investissement massif dans la modernisation de notre dissuasion, nécessaire à sa robustesse et à sa crédibilité, est au cœur de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030. Ensuite, il demeure l'ensemble des menaces « sous la voûte nucléaire » et des menaces hybrides auxquelles nos armées devront être en capacité de répondre. Pour cela, la France devra pouvoir agir dans de nouveaux champs de conflictualité comme le cyber, l'espace ou encore les fonds marins. Il ne s'agit donc pas uniquement de se doter des mêmes équipements qu'hier en plus grandes quantités. Il s'agit de se préparer à la guerre de demain en assumant des pivots technologiques adaptés aux menaces. Là aussi, la loi de programmation militaire est au rendez-vous avec un investissement massif dans le cyber (4 milliards d'euros), l'espace (6 milliards d'euros), les drones (5 milliards d'euros) et l'innovation (10 milliards d'euros). En outre, si la guerre en Ukraine démontre que le critère de « masse » auquel l'honorable députée est attachée redevient déterminant, elle montre aussi qu'il demeure inefficace s'il ne s'inscrit pas dans une cohérence d'ensemble. Sans soldats formés et entraînés, sans munition, sans maintien en condition opérationnelle ni pièces détachées, un équipement seul perd tout intérêt militaire. Là encore, c'est le pari de cette loi de programmation militaire qui consacre 16 milliards d'euros aux munitions et 49 milliards au maintien en condition opérationnelle sur la période 2024-2030. Cela n'est pas incompatible avec un effort marqué pour la masse avec un budget consacré aux programmes à effet majeur qui passera de 59 milliards d'euros à 100 milliards d'euros sur cette LPM, soit une hausse considérable de 70%. Cela permettra de renforcer nos capacités d'action dans tous les milieux. Enfin, la loi de programmation militaire vise à conforter la place de la France comme puissance mondiale. D'une part sur le terrain des alliances en réaffirmant l'engagement de notre pays au sein de l'OTAN et de l'Union Européenne et notre volonté d'en être un moteur. Il n'est pas de puissance isolée qui puisse prétendre au rang de puissance mondiale. D'autre part, sur le terrain militaire en se dotant des capacités pour assumer un rôle de nation-cadre au sein d'une coalition. A cet égard, le nouveau porte-avions et son groupe aéronaval sera un agrégateur de nations partenaires. L'armée de terre sera également capable de conduire des opérations conjointes au niveau d'une division. Aussi, le commandement Joint Force Air Component Commander (JFACC) est capable de coordonner et conduire plusieurs centaines de missions aériennes par jour avec des moyens de surveillance et de ravitaillement provenant de plusieurs pays alliés. La capacité de nos armées à répondre aux menaces qui pèsent sur nos concitoyens ne peut pas uniquement se mesurer au nombre d'aéronefs, de bateaux et de blindés. Il convient également de s'adapter aux nouvelles menaces avec des capacités d'action modernes, de s'assurer de l'entretien des matériels et de la disponibilité des munitions ou encore de bâtir la résilience de notre modèle avec la montée en puissance des réserves et de notre industrie de défense souveraine. Avec le vote au Parlement de cette loi de programmation militaire par une large majorité, nos armées seront dotées de moyens humains, capacitaires, technologiques et budgétaires à la hauteur des menaces qui pèsent sur notre pays.
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