Mme Hélène Laporte interroge M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, sur le modèle de répartition des cotisations sociales en fonction du niveau de salaire. La France se distingue des autres pays développés par le taux exceptionnellement haut des cotisations sociales prélevées sur le travail salarié, faisant en 2020 du pays le premier d'Europe, à égalité avec le Danemark en matière de niveau des prélèvements obligatoires rapporté au PIB (d'après l'Insee). Mais au-delà de ce point régulièrement commenté - et qui est un corollaire du modèle social français -, se pose aussi la question de la répartition de ces cotisations en fonction du niveau de salaire. Sur ce point, la France se distingue résolument de ses voisins. En effet, la plupart d'entre eux obéissent à une logique de proportionnalité des cotisations au salaire, à laquelle s'ajoute un plafonnement, ce qui se traduit par un taux dégressif à partir d'un certain niveau de salaire : c'est ainsi le cas de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Espagne, des Pays-Bas ou de la Suède. Au cours de la décennie 1990, la France a abandonné ce modèle afin de lutter contre le chômage des personnes peu qualifiées. Les cotisations patronales ont alors bénéficié de réductions de plus en plus massives en bas de l'échelle des salaires, logiquement compensées par une hausse aux salaires les plus élevés. Ainsi, en 2023, la somme des cotisations salariales et patronales représente environ 20 % du salaire net d'un travailleur rémunéré au SMIC à temps plein contre 52 % pour 1,6 SMIC et jusqu'à 60 % pour 3,5 SMIC. Le Royaume-Uni fonctionne également suivant un système progressif, mais à un niveau beaucoup plus bas, ce qui ne permet par une comparaison pertinente avec la France. Ce choix politique, en rendant les augmentations salariales extrêmement coûteuses pour les employeurs, a eu pour conséquence une véritable spécialisation de la France dans les bas salaires. La France était ainsi en 2018 le deuxième pays de la zone Euro et le cinquième de l'UE en matière de pourcentage des travailleurs rémunérés à moins de 105 % du salaire minimum. Ce taux était en effet de 12 % contre 6,5 % en Allemagne et aux Pays-Bas, 5 % au Luxembourg et 1 % en Belgique, pays où le montant du salaire minimum était pourtant plus élevé. De 49 % en 1995, le pourcentage de travailleurs rémunérés à hauteur de moins d'1,6 s'est élevé à 56 % en 2015. Dans ce contexte et alors que 59 % des travailleurs rémunérés au SMIC sont des femmes, elle souhaite savoir si le Gouvernement envisage de revenir sur ce modèle de répartition des cotisations sociales, afin d'encourager davantage les hausses de salaires.
Les dispositifs d'exonérations de cotisations et de contributions sociales patronales ont pour finalité d'aboutir à un coût du travail quasi nul au niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Depuis 1993, et suite aux réformes de 2014 (réduction d'1,8 point du taux de la cotisation patronale d'allocations familiales) et de 2019 (transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi en baisse pérenne de 6 points du taux de la cotisation patronale d'assurance maladie), leur impact sur l'emploi et la compétitivité des entreprises françaises a été significatif. De nombreuses études montrent d'ailleurs que les exonérations de cotisations patronales ciblées sur les bas salaires sont utiles. Une des composantes de cet ensemble, la réduction générale prévue à l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale, est maximale au niveau du SMIC puis dégressive jusqu'à 1,6 SMIC. L'objectif est donc de préserver un coût du travail réduit au niveau des bas salaires, tout en garantissant à la sécurité sociale des recettes de cotisations pour financer la protection sociale. Il est vrai que la dégressivité de cette réduction implique que l'augmentation du salaire brut d'un salarié diminue de fait le coefficient de réduction dont l'employeur bénéficiait avant l'augmentation. Il s'agit concrètement du phénomène que vous mentionnez. L'objectif et l'action du Gouvernement depuis 2017 sont d'accroître le pouvoir d'achat des salariés, et de réduire le coût du travail. Les dispositifs d'exonérations de cotisations patronales répondent à ces deux enjeux : l'employeur bénéficiant d'une réduction sur ses cotisations, il peut davantage rémunérer ses salariés. Ces dispositifs ne doivent toutefois pas aboutir à l'absence totale de cotisations patronales ; c'est tout l'intérêt d'une dégressivité de la réduction générale. Il serait difficilement acceptable (tant au regard des finances publiques que de la conception de contribution au financement de la protection sociale) qu'un salaire d'1,6 SMIC ouvre droit aux mêmes réductions qu'un salaire d'1 SMIC. À titre d'exemple, étendre le coefficient maximal d'exonération jusqu'à 1,2 SMIC coûterait à l'État près de 17 Md €, alors que l'ensemble des dispositifs de baisse des cotisations engendre d'ores et déjà un coût avoisinant les 80 Md €, et pour un même point de sortie de l'exonération, renforcerait la dégressivité de la réduction et l'augmentation du coût du travail au-delà de 1,2 SMIC. Par ailleurs, nous tenons à rappeler l'efficacité des dispositifs d'exonération des bas salaires. Ainsi, une récente note du Conseil d'Analyse Economique (*) a montré l'effet positif sur l'emploi des vagues successives d'allégements. Si la France a développé ces politiques d'exonérations sur les bas salaires, c'est précisément parce que le chômage a toujours été concentré sur les travailleurs les moins qualifiés. Le Gouvernement partage toutefois la nécessité d'évaluer l'efficacité des dispositifs d'exonération également à l'aune de l'impact sur la progression des salaires, ce qui rejoint la démarche d'évaluation des niches sociales, initiée suite à l'entrée en vigueur de la loi organique sur les lois de financement de la sécurité sociale. (*) Baisses de charges : stop ou encore. Notes du CAE 2019/1 (n° 49).
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.