Mme Géraldine Grangier interroge M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires à propos du grand cormoran et de son impact sur les milieux naturels. En effet, l'arrêté ministériel pris par l'État en septembre 2022 interdit les tirs de régulation de cette espèce piscivore et de ce fait engendre des conséquences préjudiciables sur les rivières déjà en mauvais état, notamment à cause des diverses pressions anthropiques. Une étude sur les contenus stomacaux des grands cormorans à l'échelle départementale du Doubs a été décidée. Malheureusement, les conditions météorologiques ayant été défavorables durant le mois de janvier 2022, les prélèvements ont dû être annulés et reportés. La Fédération nationale pour la pêche en France a fait part de son inquiétude sur les attaques de la Ligue de protection pour les oiseaux contre les arrêtés préfectoraux à l'échelle Nationale. La DDT du Doubs a confirmé la transmission en vue du prochain arrêté triennal, d'une proposition de maintien du quota pour 400 oiseaux par an en eaux libres pour la période 2022-2025. Mais un arrêté ministériel supprimant la totalité des tirs de régulation du grand cormoran (hors piscicultures pour lesquelles les tirs sont maintenus) a été pris par l'État. La FNPF a décidé d'attaquer ce dernier devant les juridictions compétentes, par un recours contentieux classique. Elle a décidé également de réquisitionner la redevance pour les milieux aquatiques et le règlement des baux de pêche, pour un montant approximatif de 8 millions d'euros. D'un côté, on interdit aux associations de protection de l'environnement, reconnues d'utilité publique, de faire face à la prédation d'une espèce invasive comme le grand cormoran sur le domaine piscicole ; de l'autre, cet arrêté autorise les propriétaires de piscicultures ou d'enclos piscicoles privés à continuer des campagnes de tirs de régulation sans fournir la preuve de l'impact des prélèvements de l'espèce grand cormoran sur leurs territoires privés. Ces campagnes de régulation du grand cormoran réalisées depuis des années contribuaient à participer à la protection du patrimoine piscicole et des milieux aquatiques. Il devient de plus en plus difficile de faire face aux obligations réglementaires en matière de protection du patrimoine et des milieux aquatiques. Aussi, elle lui demande si sera abrogé cet arrêté ministériel qui va à l'encontre de la protection de du patrimoine piscicole commun face à la dégradation de la biodiversité des rivières et lacs afin d'améliorer la qualité des cours d'eau et non pas l'inverse, comme tel est le cas dans ce dossier de la gestion de l'impact du grand cormoran sur le patrimoine naturel.
Le grand cormoran est une espèce autochtone protégée au niveau national, qui bénéficie également au niveau européen du régime général de la protection de toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er de la Directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 relative à la conservation des oiseaux sauvages. Son régime alimentaire est piscivore ; aussi sa prédation sur les espèces ichthyennes est un phénomène naturel. La sous-espèce autorisée à la destruction est inféodée aux eaux douces, et son aire de répartition s'était progressivement réduite en raison des tirs importants dont il faisait l'objet, jusqu'à ce que l'espèce soit protégée dans les années 1970. Depuis lors, le nombre moyen de grands cormorans a augmenté jusqu'à atteindre un niveau relativement stable depuis 2013, oscillant autour de 100 000 individus présents. Cependant, afin de contrôler l'impact que le grand cormoran occasionne sur les poissons, un système dérogatoire à la protection stricte permet de mener des opérations de destruction si les conditions de la dérogation sont réunies. Le grand cormoran fait ainsi l'objet d'une politique nationale cohérente depuis les années 1990, où les opérations de destruction ont débuté. Actuellement, l'arrêté ministériel cadre du 26 novembre 2010 fixe ainsi les conditions et limites dans lesquelles les dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées. Il est complété par un arrêté pris tous les 3 ans, qui fixe les plafonds départementaux dans les limites desquelles les dérogations peuvent être accordées. L'arrêté triennal 2019/2022 étant arrivé à échéance l'été dernier, un nouvel arrêté, couvrant la période 2022/2025, a été publié le 1er octobre 2022. Il est lui-même décliné en arrêtés départementaux annuels ou triennaux définissant les personnes habilitées, les périodes et les zones de tir autorisées. L'élaboration de l'arrêté triennal 2022/2025 est intervenue dans le contexte particulier d'annulation d'arrêtés préfectoraux relatifs aux dérogations sur les cours d'eau et plans d'eau, suite à diverses requêtes déposées ces dernières années. A ce jour, plus d'une quinzaine d'arrêtés ont été annulés et plusieurs contentieux sont en attente de jugement. Les décisions des tribunaux administratifs font état de motivations insuffisantes des arrêtés car ils ne justifient pas de la présence dans les cours d'eau d'espèces de poissons menacées, de l'impact du grand cormoran sur les espèces protégées, ni de la mise en œuvre de solutions alternatives ; aussi les conditions de dérogation ne sont pas remplies. En conséquence, lors des travaux préparatoires à l'élaboration de l'arrêté, des réflexions ont été engagées avec l'ensemble des partenaires concernés par le grand cormoran (représentants des pisciculteurs et pêcheurs, associations de protection de la nature, experts, administration) afin de permettre la sécurisation des actes juridiques et d'éviter que les futurs arrêtés préfectoraux ne soient à nouveau annulés. Au terme de la période de consultation, il a été décidé de ne pas établir dans l'arrêté 2022/2025 de plafonds pour les cours d'eau et plans d'eau et de n'y rendre aucune dérogation possible. En effet, en l'état, les éléments disponibles ne permettent pas de justifier de l'impact du grand cormoran sur les espèces piscicoles menacées et de remplir les conditions de dérogation. L'arrêté du 19 septembre 2022 permet donc que les dérogations soient accordées pour protéger les seules piscicultures, dans 58 départements, avec un plafond annuel de 27 892 individus autorisés à la destruction ; il peut ainsi être décliné par des arrêtés préfectoraux délivrant des dérogations dès lors que les conditions sont réunies, notamment le besoin de prévention des dommages à l'élevage piscicole. Les craintes des pêcheurs et de leurs fédérations de ne plus bénéficier de dérogations, notamment lorsque certaines rivières présentent des enjeux particuliers en raison de la présence de certaines espèces piscicoles patrimoniales et sensibles, ont été signalées. Aussi, si des études étaient produites localement et démontraient l'impact de l'espèce sur l'état de conservation des espèces de poissons protégées ou menacées, l'arrêté 2022/2025 pourrait être complété ultérieurement, dans la période triennale, afin de mettre en place des plafonds sur les cours d'eau et plans d'eau concernés dans les départements. La justification de cet impact local permettrait en effet de remplir les conditions nécessaires à l'octroi des dérogations. Un protocole-cadre national robuste a été discuté avec la Fédération Nationale de la Pêche en France (FNPF) et quatre départements pilotes ont été retenus pour le mettre en œuvre. Les premiers résultats de ces études sont attendus avant la fin de l'année. Enfin, le ministère rappelle que, au regard des menaces qui pèsent sur les milieux aquatiques, une vigilance est nécessaire pour que soit mis en œuvre l'ensemble des moyens permettant de restaurer et maintenir leur équilibre. En effet, au-delà de la prédation exercée par le grand cormoran sur les espèces piscicoles, d'autres enjeux d'impact plus important, tels que la continuité écologique, la lutte contre les pollutions et les espèces exotiques envahissantes, doivent faire l'objet d'une attention particulière.
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