M. Meyer Habib attire l'attention de M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, sur les règles applicables en matière de succession internationale. D'après la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021, serait réintroduit un droit de prélèvement sur les successions internationales à compter du 1er novembre 2021 « lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès ». Or, d'après l'article 22 du règlement européen n° 650/2012, « une personne ayant plusieurs nationalités peut choisir la loi de tout État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès ». En effet, dans le cas d'un individu possédant une double nationalité, si celui-ci établit son testament dans son second pays à l'étranger, dont il possède la nationalité, est-il préservé de l'application de la loi nationale même s'il décédait en France ? Si ce même individu souhaite déshériter l'un de ses deux enfants et si la loi du pays dans lequel il l'a établi le permet, quelle difficulté cela pose-t-il dans sa situation ? L'actuelle jurisprudence semble enfin établir, d'après un arrêt de la Cour de cassation du 27 décembre 2017, que la réserve héréditaire n'était pas un principe d'ordre public. Enfin, il lui demande s'il n'y a pas une atteinte aux libertés individuelles en refusant à un individu possédant la double nationalité de déshériter quelqu'un de sa famille.
Les successions ouvertes depuis le 17 août 2015 sont soumises au règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen (ci-après « Règlement Successions »). En application de l'article 4 de ce Règlement, les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession si le défunt avait sa résidence habituelle en France au moment du décès. Le règlement de la succession sera soumis à la loi française (article 21 du Règlement), sauf si le défunt a choisi de le soumettre à la loi de l'Etat dont il possède la nationalité (article 22 du Règlement). Dans ce dernier cas, dès lors que le défunt ou au moins l'un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne ou y réside habituellement, les juridictions françaises feront application de l'article 913 alinéa 3 du code civil qui prévoit, lorsque la loi étrangère choisie par le défunt ne connaît aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, que chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause pourront effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. L'objectif de cette disposition introduite par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021« confortant le respect des principes de la République » est d'éviter que le défunt discrimine ses enfants issus de différentes unions, ou évince certains de ses enfants en raison de leur sexe, de l'ordre des naissances, de la nature de la filiation ou encore de la religion. Ainsi, en permettant aux enfants évincés d'une succession qui n'est pas régie par la loi française de récupérer une part successorale sur les biens situés en France, le législateur est revenu sur la jurisprudence de la Cour de cassation (1re Chambre civile, 27 septembre 2017, pourvoi n° 16-13.151, Publié au bulletin) et a fait de la réserve héréditaire un principe d'ordre public international. En conséquence, si cette disposition constitue une exception à l'application normale d'une règle de conflit de loi, elle entre toutefois, comme le souligne le Conseil d'Etat dans son avis sur le projet de loi confortant le respect, par tous, des principes de la République du 9 décembre 2020, dans les prévisions de l'article 35 du Règlement Successions, qui prévoit la possibilité d'écarter les dispositions de la loi applicable au règlement de la succession si cette application est manifestement incompatible avec l'ordre public de l'Etat qui statue sur le règlement de la succession. Le Conseil d'Etat a également considéré que cette disposition ne soulevait pas de difficultés d'ordre constitutionnel. Au vu de l'ensemble de ces éléments, l'article 913 alinéa 3 du code civil assure un juste équilibre entre, d'une part, la liberté du défunt de disposer de ses biens, et, d'autre part, la nécessaire protection des proches du défunt contre les discriminations dont ils pourraient être l'objet.
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.