Mme Élisa Martin souhaite alerter M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur la teneur des propos qu'il a tenu le 6 avril 2023 au Sénat à l'encontre de la Ligue des droits de l'Homme. Ce dernier y était auditionné par les sénateurs, dans le cadre de l'usage de la force manifestement disproportionné par la Brav-M à l'égard de manifestants pacifistes à Sainte-Soline. Ainsi, alors qu'un sénateur déclarait : « La Ligue des droits de l'Homme est financée sur fonds publics. Il faut cesser de financer des associations qui mettent en cause gravement l'État », M. le ministre rétorquait : « Effectivement, ça mérite d'être regardé dans le cadre des actions qu'ils ont pu mener », avant d'enfoncer le clou de sa menace : « Je rappelle que beaucoup de collectivités locales les financent. Je le dis aux représentants des collectivités locales que vous êtes ». C'est donc non sans une certaine inquiétude que Mme la députée constate le tournant autoritaire des mesures prises par M. Darmanin ces derniers mois. Une fois n'est pas coutume, son intervention récente s'inscrit en dehors de l'arc républicain s'attaquant à l'un des fondements de l'État de droit. La liberté d'association, principe fondamental à valeur constitutionnelle, est largement reconnue et établie en droit français. Socle du droit français et de tout pays démocratique, elle a été constitutionnalisée par une décision historique du Conseil constitutionnel le 16 juillet 1971, historique en ce que le conseil des sages est, par cet arrêt capital, devenu « gardien des droits et des libertés », décidant pour la première fois depuis sa création « de contrôler la loi, non plus seulement au regard des règles de procédure prévues par la Constitution de 1958, mais également au regard des droits et libertés consacrés par les textes auxquels renvoie le Préambule de la Constitution de 1958 » (source : site du Conseil constitutionnel). Ce fondement démocratique, jamais remis en cause sous la Ve République, a néanmoins subi une première brèche de par la mise en place du contrat d'engagement républicain issu de la loi dite « séparatisme », puisque ce CER a depuis lors, été utilisé surtout « pour limiter la liberté d'expression et d'interpellation d'associations et leur capacité à faire vivre le débat » (source : « Le Mouvement associatif » et « Maison des droits de l'Homme 87 »). En s'attaquant à la LDH, organisme d'intérêt général œuvrant depuis 1898, « acteur civique libre et indépendant des partis politiques, des syndicats et des associations » (source : site de la LDH), M. le ministre semble bien déterminé à détricoter encore plus les acquis démocratiques du pays. Pour rappel, outre les nombreuses attaques de l'extrême-droite, l'unique gouvernement ayant remis en cause les actions de la LDH était celui de Vichy sous l'égide du maréchal Pétain. Elle interroge donc le caractère républicain de l'action gouvernementale de M. le ministre qui s'illustre tristement par ses propos du 6 avril 2023 et lui demande comment il entend articuler respect de la démocratie et menace aux associations garantes du contre-pouvoir.
Le reproche de « tournant autoritaire » fait au Gouvernement est aussi grave que mensonger. À Sainte-Soline les 25 et 26 mars dernier, les forces de sécurité intérieure ont assuré de manière proportionnée la sécurité des personnes face à 1 000 opposants cherchant l'affrontement sans aucun lien avec la cause environnementale, tandis que 800 armes ou armes par destination ont été saisies dont des couteaux, des haches ou hachettes, des matraques et battes de base-ball, des cocktails Molotov, des bidons d'essence, des aérosols ou bonbonnes de gaz, des mortiers, des boules de pétanque, des barres de fer, tous éléments qui ont assez peu de lien avec l'équipement habituel de « manifestants pacifistes ». La Brav-M à laquelle il est fait référence n'était en outre en aucune façon mobilisée à Sainte-Soline. Notre État de droit et notre République reposent sur des libertés fondamentales dont le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer est l'un des premiers garants, dans le respect de l'ordre public. S'agissant de la liberté de réunion, la Cour européenne des droits de l'homme reconnaît elle-même que les États peuvent y apporter des restrictions lorsque que peuvent y être légitimement soupçonnés des intentions violentes (Stankov et a. c/Bulgarie, n° 29221/95 et 29225/95, 2 octobre 2001, § 90 et § 111). La Cour européenne considère même que les autorités ont le devoir de prendre les mesures nécessaires pour garantir le bon déroulement de toute manifestation légale et la sécurité de tous les citoyens (V. not. CEDH 20 févr. 2003, Djavit An c/ Turquie, req. n° 20652/92, § 56-57 ; CEDH 1er déc. 2011, Schwabe et M. G. c/ Allemagne, req. n° 8080/08 et 8577/08, § 110-113 ; CEDH 15 nov. 2012, Celik c/ Turquie, req. n° 34487/07, § 88). Nul ne peut contester sérieusement que, dans notre pays, les associations de défense des libertés publiques et des droits de l'homme ont la capacité de prendre position et de s'exprimer librement, pleinement et sans restriction. D'une manière générale, rien ni personne ne remet en question leur rôle de vigie ni leurs actions essentielles dans une société démocratique, actions d'ailleurs largement financées par l'État et les collectivités territoriales dont il n'est pas question de diminuer ou supprimer, par principe, le niveau. L'État est toutefois bien fondé à contrôler l'usage de financements publics, sans qu'un tel contrôle ne constitue une atteinte à la liberté d'association. Conformément à l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, les associations « peuvent » recevoir des subventions, l'administration n'étant nullement tenue de leur fournir des moyens de fonctionnement. À cet égard, l'octroi et le maintien d'une subvention à une association est désormais conditionné au respect des principes figurant au contrat d'engagement républicain introduit par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (principes ancrés dans la tradition républicaine tels que la liberté de conscience, l'égalité et la non-discrimination, etc.) sans que cette obligation constitue une restriction de la liberté d'association (Conseil constitutionnel, décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, considérant 23). S'agissant de la Ligue des droits de l'homme, certaines de ses prises de position récentes ne manquent pas d'interroger. Pour n'en rester qu'aux événements de Sainte-Soline, il sera rappelé que cette association a contesté devant le tribunal administratif l'arrêté de la préfète des Deux-Sèvres portant interdiction temporaire du port et du transport d'armes, de munitions et d'objets pouvant constituer une arme par destination au cours de la manifestation de mars 2023, justement en vue de préserver tout trouble à l'ordre public et garantir le droit à manifester. Le référé a été rejeté par le juge administratif ; de même, la Ligue a dépêché des observateurs dans le cadre de cette manifestation et, par l'intermédiaire de ses sections locales, soutenu cette manifestation, nonobstant l'arrêté d'interdiction de manifestation prononcé par la préfète. Là encore, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté la requête contestant le refus d'accéder à sa demande, au motif qu'il ne portait aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'expression, compte tenu notamment du fait que, loin de leur indépendance revendiquée, les sections locales de la Ligue des droits de l'homme avaient apporté leur soutien aux rassemblements en cause et que l'exercice de la liberté d'expression pouvait en tout état de cause être garanti par les journalistes présents sur les lieux.
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