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Thomas Ménagé
Question N° 7083 au Ministère des armées


Question soumise le 11 avril 2023

M. Thomas Ménagé interroge M. le ministre des armées sur les suites données à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en date du 15 juillet 2021 ainsi qu'à celle du Conseil d'État en date du 17 décembre 2021, qui entérinaient l'applicabilité aux militaires des dispositions de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Alors que le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire avait estimé le 9 avril 2021 que la disponibilité « en tout temps et en tout lieu » des forces armées est un élément structurant de l'organisation et du fonctionnement d'une armée d'emploi telle celle dont s'est dotée la France pour assurer la défense de la patrie et les intérêts supérieurs de la Nation, ces décisions ont gravement remis en cause ce principe ainsi que celui de la libre disposition des forces armées. Elles ont en effet confirmé que le temps de travail des militaires pouvait être limité sauf exceptions liées à des opérations du champ de bataille, des entraînements opérationnels, des missions des unités spéciales ou des contraintes insurmontables. La France avait fait part aux institutions européennes, après la décision rendue par la CJUE, de l'inadaptation d'une telle réglementation à ce secteur et s'était engagée dans la voie d'une négociation d'une exemption à celle-ci. L'état du droit tel qu'il résulte des décisions de 2021 est donc de nature à remettre en cause, par extension, des caractéristiques fondamentales du statut des militaires, notamment en termes de protection sociale, et à mettre en péril la structure humaine des armées et de la gendarmerie. Il lui demande donc quelles évolutions ont été constatées dans le traitement de cette problématique et, le cas échéant, quelles sont les actions engagées par son ministère pour rassurer les militaires français.

Réponse émise le 27 juin 2023

La France, à l'instar de plusieurs États membres de l'Union européenne, n'a pas transposé la directive 2003/88/CE du Parlement et du Conseil relative au temps de travail du fait des stipulations du droit primaire, qui n'attribuent pas de compétence à l'Union européenne en matière d'organisation militaire et plus largement de sécurité nationale. En effet, le ministère des armées reste fermement opposé à une telle transposition, qui se heurterait à de lourdes difficultés. La directive 2003/88/CE prévoit un décompte individualisé du temps de travail et un plafonnement de celui-ci à 48 heures, dont le respect peut être apprécié sur une période de quatre mois, alors que l'armée française ne peut, pour assurer la permanence de sa mission, qu'organiser collectivement ses activités. Le niveau d'engagement des forces françaises est particulièrement élevé et repose sur un continuum formation-entraînement-déploiement. Le contexte stratégique et la violence croissante qu'affrontent les armées sur les théâtres extérieurs rappellent combien sont importants le maintien de forces armées disponibles en tout temps et en tout lieu et la préservation de l'esprit militaire. Par contraste, les États européens qui ont transposé la directive aux militaires payent un lourd tribut en termes de disponibilité, de combativité, d'interopérabilité et de cohésion. Cette transposition aurait surtout pour effet d'entamer l'unité de sort des militaires, qui se traduit par l'unicité et la singularité du statut et qui est au coeur de la cohésion et de l'efficacité de nos forces armées. L'arrêt du 15 juillet 2021 rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans le cadre d'une question préjudicielle slovène a jugé par principe la directive applicable aux militaires. Bien qu'elle ménage certaines exceptions, la décision de la CJUE n'apparaît pas conciliable avec le modèle d'une armée disponible en tout temps et en tout lieu, comme c'est le cas pour l'armée française. Le raisonnement suivi par le Conseil d'État dans sa décision d'Assemblée du 17 décembre 2021 n'a pas pour effet de remettre en cause le principe de libre disposition des forces armées qui implique que soit garantie, en tout temps et en tout lieu, la disponibilité des forces armées pour assurer la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, au premier rang desquels figurent l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire. Quelles que soient les exceptions à l'application de la directive 2003/88/CE dégagées par la CJUE, cette exigence ne bénéficie pas d'une protection équivalente dans le droit de l'Union. Sans affirmer que la directive 2003/88/CE s'applique en l'espèce à la gendarmerie départementale, le Conseil d'État a constaté que l'organisation du temps de travail dans cette force armée ne méconnaissait pas les dispositions de cette directive. La France fait valoir que son droit national est suffisamment protecteur de la santé et la sécurité des militaires, qui constitue l'un des objectifs de la directive. Les règles en la matière prévoient un certain nombre de dispositifs spéciaux qui compensent les sujétions inhérentes à l'état militaire s'agissant du temps de service, comme le régime des permissions. Pour toutes ces raisons, les autorités françaises restent décidées à poursuivre leurs échanges constructifs avec la Commission européenne afin de parvenir à une révision ciblée de la directive par une clause permettant à ceux des Etats membres qui le souhaitent d'exclure expressément le personnel militaire de son champ d'application.

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