Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho appelle l'attention de M. le ministre des armées sur la désindustrialisation de la France en matière de fabrication d'armes et de munitions de petit calibre (moins de 20 mm) et l'intention de l'Europe d'investir 2 à 4 milliards d'euros dans la fabrication d'armes et de munitions à la suite du retour des guerres de haute intensité. En effet, la volonté de faire des économies à court terme lancée sous le gouvernement Jospin a abouti à un certain nombre de défaillances dont l'armée française a fait les frais. Depuis la fermeture de l'établissement Giat Industries au Mans, à la fin des années 1990, la France ne dispose plus de filière industrielle capable de produire des munitions de petit calibre, obligeant ainsi le ministère des armées à s'approvisionner auprès de fournisseurs étrangers et à recourir à ses stocks de réserve dans sa gestion des munitions de petit calibre, notamment, pour ne pas affaiblir les forces déployées sur des théâtres d'opération extérieurs. Les munitions fabriquées sous licence étrangère se sont révélées moins performantes et même, dans certains cas, défaillantes. La spécificité de la munition française destinée au FAMAS et l'abandon de cette filière en France a été un premier cas d'école négatif. Toutefois, en 2016, constatant que les munitions destinées aux armées françaises étaient parfois défaillantes et surtout importées en totalité, le ministre de la défense Jean-Yves le Drian déclarait vouloir relancer une filière de production sur le territoire national en s'appuyant sur trois groupes nationaux : Thalès, LobelSport et Manurhin. Pour autant, l'idée de rétablir en France une telle capacité de production n'a jamais pu s'imposer, parce que la quantité de munitions consommées par les armées est insuffisante pour qu'une telle solution soit économiquement viable, d'autant plus qu'il faudrait composer avec la concurrence étrangère. Or la manière dont a été géré le cas de l'entreprise Manurhin est un second cas d'école négatif. En effet, son PDG accusait les banques de ne pas jouer le jeu : « Le secteur de la défense suscite la réticence des banques et cette tendance augmente quand il s'agit de PME dans l'armement » tant il est vrai qu'en France, les armes ont mauvaise presse et leur réglementation compliquée. Les réticences des banques françaises obligèrent la société à trouver des solutions de financement à l'étranger. En 2016, les deux actionnaires publics se retirèrent unilatéralement du capital et suite à une perte de 16 millions d'euros, la Banque populaire et Bpifrance exigèrent de connaître l'identité exacte de chaque actionnaire de Manurhin. Or la société ne put obtenir de ses actionnaires européens les informations exigées dans les délais requis. Finalement, en 2018, Manurhin fut placée en redressement judiciaire dans l'indifférence générale. De leader mondial dans la fabrication de machines de production de munitions de petits calibres (de 5,56 à 12,7 mm) et de moyens calibres (jusqu'à 40 mm), ce qui restait de la société française Manurhin fut vendue pour presque rien au groupe Emirates Defence Industries Company (EDIC), révélant ainsi les incohérences du pouvoir politique français en matière de politique industrielle de défense et la répulsion des milieux financiers français à financer des activités malheureusement trop souvent dénigrées par les médias et qu'une administration tatillonne a rendu trop risquée. Elle eut également comme effet collatéral la décision d'arrêter la production du FAMAS et de le remplacer par le HK416F allemand, faisant perdre au passage des milliers d'emplois en France. Combien d'autres exemples faudra-t-il pour démontrer que la notion de dépendance extérieure dans le domaine de l'approvisionnement en munitions et de la fabrication d'armes légères est une erreur stratégique majeure dans un monde de plus en plus chaotique ? D'autant plus que suivant les recommandations du rapport parlementaire de deux députés de bords opposés (Nicolas Bay et Nicolas Dhuicq), la mise en place d'une telle filière nationale nécessitait seulement un investissement de 100 millions d'euros et la production annuelle d'environ 60 millions de cartouches militaires et civiles (chasse, tir sportif, ball-trap, etc.). Ces chiffres sont confirmés par un rapport d'information sur les stocks de munitions qui précise que « la rentabilité pourrait être assurée à partir d'une production annuelle de 80 à 100 millions de munitions, avec un fonctionnement de l'usine en 2x8 ». D'autant que ce rapport ajoute que le ministère de l'intérieur aurait un projet de création d'une filière pour les munitions de 9 mm à partir de la réhabilitation d'anciennes usines. En effet, « initialement destinée aux forces de sécurité intérieure (gendarmerie et police nationale), ainsi qu'à d'autres acteurs de sécurité (administration pénitentiaire, douanes, police municipale, sécurité privée), avec un appui interministériel, cette filière pourrait par la suite, ou en cas d'urgente nécessité, coupler sa production de 9 mm avec celle de 5,56 mm plus spécifiquement destinés aux forces armées. Le ministère de l'intérieur estime qu'au vu de la hausse des prix et des conséquences du conflit ukrainien, un tel projet national lui permettrait d'acquérir des munitions pour 6 centimes d'euros moins cher que le prix du marché ». Or il apparaît que dans une réponse ministérielle du 18 janvier 2022 à une question parlementaire n° 42059, les services de M. le ministre ont indiqué que pour les seules armées de terre et de l'air (à l'exclusion donc de la marine nationale, la gendarmerie, la police, les douanes, les services pénitentiaires, etc.), la consommation annuelle de munitions de petit calibre était d'environ 79 377 450, ce qui laisse supposer que la fabrication en France de munitions et d'armes de petit calibre est parfaitement viable. L'arrêt de la filière et la casse du marché civil par l'administration relève d'un choix de politique industrielle. Aussi, Mme la députée demande à M. le ministre s'il entend créer, dans le contexte de réindustrialisation du pays à la suite de la crise du coronavirus et du risque de conflit de haute intensité, les conditions permettant l'émergence d'une industrie nationale de fabrication d'armes et de munitions légères concurrentielle car pouvant bénéficier à la fois aux forces armées et aux forces de l'ordre (marché public ou militaire), ainsi qu'aux honnêtes citoyens français dans le cadre de leurs loisirs ou de leur légitime défense (marché civil ou privé), les deux allant de pair pour assurer un avenir à cette filière stratégique et renforcer la résilience du pays, sachant que, comme l'a dit le général Burkhard (CEMAT), « en cas de conflit nos adversaires feraient tout pour nous empêcher de nous ravitailler en munitions et pièces de rechange ». En effet, comme l'affirmait Charles de Gaulle dans son discours de Bayeux du 16 juin 1946 : « La défense ! C'est la première raison d'être de l'État. Il ne peut y manquer sans se détruire lui-même ». Elle lui demande sa position sur ce sujet.
Les armes de petit calibre équipant les forces armées françaises sont pour la plupart en cours de renouvellement. Trois contrats ont été conclus ces dernières années pour l'acquisition de fusils d'assaut, de pistolets automatiques et de fusils de précision, respectivement auprès des entreprises européennes Heckler & Koch, Glock et OIP. La question de leur remplacement ne se posera donc pas avant plusieurs décennies. Concernant les munitions associées, avec l'arrêt des activités de GIAT industries dans ce domaine à la fin des années 1990, le ministère des armées a décidé de s'approvisionner sur le marché mondial car le maintien d'une filière nationale n'était pas économiquement viable. Au printemps 2017, un groupement industriel composé des sociétés Thales et Sofisport (ainsi que sa filiale Nobelsport SA, champion mondial de la poudre et des cartouches de chasse) a proposé de reconstituer une filière nationale de production de munitions de petit calibre implantée à Pont-de-Buis (Finistère). L'analyse alors menée par le ministère a confirmé les études préalables en constatant que ce projet ne serait pas compétitif au niveau mondial, malgré un investissement important de l'Etat. Or, la taille du marché national n'étant pas suffisante pour entretenir un tel outil industriel, il est indispensable qu'un projet de cette envergure soit compétitif à l'export. De plus, la sécurisation juridique des commandes à passer de gré à gré pour permettre le démarrage d'un tel projet n'était pas assurée. Actuellement, les approvisionnements en munitions de petit calibre s'effectuent auprès de nombreux fournisseurs présents sur un marché européen concurrentiel. Dans le contexte des travaux sur l'économie de guerre, le conflit de haute intensité et la préparation de la loi de programmation militaire, le ministère des armées a de nouveau évalué les analyses précédemment menées. Le ministère est pleinement disposé à examiner tout nouveau projet d'implantation en France porté par les industriels de cette filière.
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