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Caroline Colombier
Question N° 6986 au Ministère de la culture


Question soumise le 4 avril 2023

Mme Caroline Colombier alerte Mme la ministre de la culture sur la vente par l'Université catholique de Lille de « L'Évangéliaire de Saint-Mihiel » au J. Paul Getty Museum de Los Angeles, vente dont s'est récemment faite l'écho la presse. Considéré comme l'un des manuscrits médiévaux les plus importants du monde, cet évangéliaire était, selon l'avis de la Commission consultative des trésors nationaux, « l'un des plus beaux témoins de l'ultime période de création de l'école de Reichenau ». En effet, cet ouvrage, réalisé vers 1040 à l'abbaye de Reichenau sur le lac de Constance, est un chef-d'œuvre de l'enluminure médiévale, composée de 254 feuillets et de 15 rarissimes enluminures peintes en pleine page, ce qui lui a valu d'être classé « trésor national » en mars 2020. Il était la propriété, depuis 1881, de la bibliothèque de l'Institut catholique fondé quelques années plus tôt. Pourtant, il a été vendu dans la totale discrétion, sans que les pouvoirs publics aient réussi à rassembler les fonds nécessaires à son rachat, laissant échapper ce joyau du trésor national pour de simples raisons de rentabilité lucrative. Dans ce contexte, le ministère de la culture aurait pu empêcher cette vente en classant le manuscrit comme monument historique, ce qui aurait eu pour effet d'empêcher l'université privée de vendre ce trésor. Mais tant le ministère de la culture et plus particulièrement sa direction générale des médias et des industries culturelles et son service du livre et de la lecture, que la Bibliothèque nationale de France ont totalement renoncé à la mise en place d'un tel dispositif, se rendant responsables d'un échec majeur de la politique culturelle française et du patrimoine plus généralement. Aussi, elle lui demande de lui communiquer le montant exact de cette vente, les raisons qui ont motivé l'inaction du ministère dans le processus d'acquisition de l'œuvre par les pouvoirs publics. Elle lui demande ensuite s’il envisage de renforcer le label « trésor national » afin d'éviter la réitération de ce genre de drames. Enfin, elle lui demande la liste complète de toutes les œuvres classées en « trésor national » et qui font actuellement l'objet d'une procédure de vente.

Réponse émise le 20 juin 2023

L'Évangéliaire dit « de Saint-Mihiel » a été vendu en 2020 par son propriétaire, l'Institut catholique de Lille, à la société Dr. Jörn Günther Antiquariats und Verwaltungs AG, maison de vente de manuscrits établie à Bâle. Le bien a fait l'objet d'une demande de certificat d'exportation qui a été refusée au motif qu'il constituait un trésor national. En conséquence, un arrêté du 21 février 2020 a interdit la sortie du territoire pour une durée de 30 mois, durant laquelle l'État a cherché à réunir les financements nécessaires à son acquisition au profit des collections nationales. Au terme de ce délai, il n'a malheureusement pas été possible de mobiliser le budget de l'État au niveau requis par le vendeur, ni les ressources philanthropiques ou le mécénat, traditionnellement moins attirés par le patrimoine écrit que par les œuvres d'art destinées aux musées. Aussi, le ministère de la culture a dû renoncer, dans un contexte de forte concurrence internationale pour un bien culturel de cette importance, en laissant la maison Jörn Günther finaliser les négociations engagées avec le musée Getty de Los Angeles, acquéreur de l'Évangéliaire de Saint-Mihiel en 2023. Le prix d'acquisition n'a pas été communiqué par les parties à la vente, qui n'ont pas davantage commenté les chiffres divulgués par voie de presse. Un classement au titre des monuments historiques n'aurait pas eu l'effet escompté. Selon toute probabilité, une mesure de classement d'office aurait été nécessaire, ouvrant droit à une demande indemnitaire qu'une jurisprudence bien établie fixe a minima au différentiel entre la valeur du manuscrit sur le marché international et celle sur le marché domestique sans que l'État n'en devienne pour autant propriétaire. Le statut de trésor national obtenu à la suite d'un refus du certificat d'exportation n'offre qu'une protection temporaire, certes, mais ne semble pas nécessiter d'ajustement. L'augmentation du nombre de biens relevant de cette catégorie qui pourraient faire l'objet d'une acquisition au bénéfice des collections publiques dépend surtout des ressources financières disponibles pour atteindre cet objectif et notamment de l'engagement des mécènes bénéficiant du dispositif fiscal dédié prévu à l'article 238bis 0A du code général des impôts. Parmi les dix œuvres soumises actuellement au refus temporaire d'exportation, trois font l'objet d'une procédure d'acquisition avec détermination du prix par expertise : les deux panneaux latéraux d'un polyptyque attribués à Giovanni Bellini et représentant « Saint Etienne et Saint Laurent », vers 1460 1470, le tableau de Cimabue, « La Dérision du Christ », vers 1280 et le dessin de Victor Hugo, « Marine Terrace », 1855. Pour les sept autres, la procédure d'acquisition n'a pas encore été initiée et des recherches de financement sont conduites pour permettre à l'État de formuler une offre d'achat avant l'échéance de délai. Il s'agit des œuvres suivantes : André Breton, « Objet à fonctionnement symbolique », 1931 ; Ensemble de dix-neuf œuvres exposées aux Arts incohérents ; « Livre d'heures à l'usage des Chartreux » (Horae ad usum ordinis Cartusiensis), enluminure attribuée au maître flamand Simon Bening, vers 1515 1520 ; Manufacture royale de Sèvres, « Pot à lait à anse relevée et sucrier rond pour le service de la laiterie de Rambouillet », porcelaine, 1787 ; Jean Siméon Chardin, « Le panier de fraises des bois », huile sur toile, 1761 ; Antoine Watteau, « Le bal champêtre », huile sur toile, vers 1713-1715, et Théodore Géricault, « Étude de chevaux à l'écurie : vingt-quatre croupes et un poitrail », dit aussi « Les Croupes », huile sur toile, vers 1813. Sans préjuger à ce stade de l'issue des dix dossiers encore en cours, on peut néanmoins relever que, sur les 266 mesures de refus de certificat prononcées depuis l'origine (concernant une ou plusieurs œuvres, voire des fonds complets d'archives), on comptabilise 166 opérations d'acquisitions, 2 classements au titre des monuments historiques consentis par les propriétaires et 2 œuvres reconnues après refus comme relevant du domaine public, ce qui représente un taux de maintien définitif sur le territoire de près de 64 %. Le ministère de la culture œuvre en permanence, en lien avec les établissements concernés, à améliorer ce ratio en dégageant les moyens nécessaires. Cependant, les montants en jeu, notamment dans les périodes où se concentrent des trésors nationaux très coûteux, rendent parfois difficile de faire aboutir les acquisitions envisagées et conduisent à renoncer à certaines d'entre elles.

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