Mme Manon Meunier alerte M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur les calamités agricoles et le régime d'indemnisation des agriculteurs. En 2022, la sécheresse qu'a connue la France a été historique. Après la sécheresse hivernale que le pays vient de vivre, il est à craindre que l'été 2023 soit encore pire. Comme l'indiquait Stéphane Loriot, directeur de l'EPTB Vienne, 45 % des cours d'eau du département étaient à sec mi-septembre 2022. Une sécheresse inédite, un coup de massue supplémentaire pour les éleveurs, dans un contexte de crise énergétique et de hausse du coût des matières premières. Les conséquences de cette sécheresse sont nombreuses. Parmi elles, des bilans fourragers en forte baisse mettant les éleveurs en grande difficulté. Pourtant, la DDT de la Haute-Vienne préconisait de classer tout le département en calamité agricole, mesurant une perte en fourrage supérieure à 32 %. Le Comité national de gestion des risques agricoles n'a pas tenu compte des données produites par la DDT. Il a fait reposer son choix sur les analyses du satellite Airbus, statuant à un zonage. Ce faisant, les enquêtes de terrain et le travail réalisé au cours des comités départementaux d'expertise, mobilisant l'ensemble de la profession et la DDT, ont été ignorés. Le choix d'ignorer les données du terrain préfigure le nouveau système assurantiel entré en vigueur au 1er janvier 2023. Le déclenchement des indemnisations pour calamité dépend donc désormais des analyses du satellite Airbus et de la comparaison de ses données avec la moyenne dite « olympique » des récoltes sur les 5 dernières années. Avec l'aggravation du changement climatique, le point de référence va glisser progressivement, l'état de sécheresse ne sera plus reconnu comme tel car finira par être considéré comme la norme. Le taux de perte calculé en comparaison à cette moyenne olympique sera donc mécaniquement toujours moins important d'année en année, conduisant à terme à une possible négation de l'état de sécheresse et de son impact sur les éleveurs. Ce nouveau système, couplé au zonage au lieu de l'indemnisation départementale, conduira les agriculteurs à se tourner vers des assurances privées, aggravant encore un peu plus leur santé financière. C'est pourquoi elle lui demande s'il va accéder à la demande des agriculteurs d'indemniser les calamités agricoles au niveau départemental.
Dès le début de l'été 2022, le Gouvernement s'est pleinement mobilisé dans un contexte de baisse des rendements et face à des situations individuelles difficiles et hétérogènes. À ce titre, le comité de suivi de la situation de sécheresse dans le monde agricole a été réuni à plusieurs reprises et le Gouvernement a, dès le 5 août 2022, réuni la cellule interministérielle de crise afin de suivre de près la situation sur l'ensemble du territoire national. Dans ce contexte, plusieurs mesures destinées à soutenir les agriculteurs ont été mises en œuvre. Les avances de la politique agricole commune (PAC) payées au 16 octobre 2022 ont été portées à 70 % pour les aides découplées et 85 % pour l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), afin de faire face aux problèmes de trésorerie des exploitations, et notamment des élevages, ce qui représente 1,6 milliard d'euros d'avance de trésorerie. Par ailleurs, les dispositifs de droit commun, à savoir les exonérations de taxe sur le foncier non-bâti (TFNB) et de cotisations sociales, ont été activées. Enfin, le régime des calamités agricoles a été mobilisé pour les cultures éligibles avec un assouplissement des conditions d'accès, au travers de l'abaissement du seuil d'éligibilité de 13 % à 11 % de pertes de produit brut et d'une accélération exceptionnelle de la procédure au profit des éleveurs les plus affectés par les effets de la sécheresse afin d'éviter une décapitalisation non contrôlée. C'est ainsi que les zones recouvrant tout ou partie des douze départements les plus touchés ont pu faire l'objet d'une reconnaissance partielle du comité national de gestion des risques en agriculture (CNGRA) du 28 octobre 2022, de manière à initier des versements d'acomptes dès le mois de novembre pour les agriculteurs concernés, au fur et à mesure de l'instruction des dossiers par les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM). Cette accélération importante du calendrier a permis un premier apport de trésorerie crucial au bénéfice des éleveurs les plus affectés. Par la suite, le CNGRA du 9 décembre 2022 a permis d'arrêter les zones et les taux de pertes définitifs pour les 12 départements susmentionnés, afin d'initier le versement des soldes avant la fin de l'année 2022 et en a reconnu 5 autres. Ainsi, ont été concernés par un traitement définitif des dossiers les 17 départements suivants : l'Ardèche, l'Aveyron, le Cantal, la Corrèze, la Creuse, la Drôme, l'Isère, la Haute-Loire, la Haute-Vienne, la Loire, le Lot, la Lozère, le Rhône, le Puy-de-Dôme, les Pyrénées-Atlantiques, le Tarn et le Tarn-et-Garonne. Dans ce cadre, le CNGRA du 9 décembre 2022 a émis un avis favorable à la reconnaissance de 39 communes situées au Nord-Est du département de la Haute-Vienne, le niveau de pertes sur les prairies, établi par le faisceau d'indices du niveau de la pousse des prairies cumulée sur l'ensemble de l'année de production, étant supérieur au seuil de reconnaissance de 30 % par rapport à un historique de la moyenne olympique sur 5 ans. Ce faisceau d'indices est constitué de l'estimation de la perte affectant les prairies réalisée lors des missions d'enquête conduites sous l'égide des DDTM, recoupée avec l'évaluation du niveau de pousse des prairies par des indices basés sur des modèles agrométéorologiques ou sur des mesures satellitaires. Le CNGRA a en revanche émis un avis défavorable à la reconnaissance du reste du département. En effet, si la mission d'enquête y estime les pertes à 32 %, les indices de pousse des prairies évaluent de façon concordante que le niveau des pertes en 2022 sur l'Ouest et le Sud du département est inférieur à 25 % en 2022 sur cette partie du département, ne permettant pas donc d'établir que la perte de récolte ayant affecté les prairies sur la zone considérée dépasserait le seuil de reconnaissance de 30 % par rapport à la référence réglementaire. Le CNGRA s'est enfin réuni le 18 janvier 2023 pour statuer sur les autres demandes de reconnaissance des départements touchés par la sécheresse déposées au 1er décembre 2022. C'est ainsi que les zones de 27 départements supplémentaires ont été reconnues, à savoir pour les départements du Jura, de l'Ain, de la Savoie, de la Haute-Savoie, des Hautes-Alpes, du Vaucluse, du Gard, de l'Hérault, de l'Aude, des Pyrénées-Orientales, de la Haute-Garonne, des Hautes-Pyrénées, du Gers, du Lot-et-Garonne, de la Dordogne, de la Charente, des Deux-Sèvres, de la Vienne, du Maine-et-Loire, de la Sarthe, du Loir-et-Cher, de l'Yonne, de la Meuse, des Vosges, du Bas-Rhin, de la Meurthe-et-Moselle et de la Moselle. L'accélération de la procédure a donc permis de gagner jusqu'à plus de 4 mois sur le calendrier habituel de versement des calamités sécheresse. Par ailleurs, face à l'intensité de l'épisode de sécheresse et des difficultés auxquelles font face les éleveurs, le Gouvernement a pris la décision exceptionnelle de relever le taux d'indemnisation de 28 % à 35 %. Au-delà de cette réponse d'urgence, à l'avenir, la réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture permettra d'améliorer l'accompagnement des exploitants face à ces événements climatiques toujours plus intenses et fréquents. Cette réforme est indispensable pour préserver la souveraineté alimentaire de la France et favoriser la résilience de son agriculture face à ces nouveaux défis. Ainsi, la loi n° 2022-298 du 2 mars 2022, entrée en vigueur en 2023, a institué de nouvelles modalités d'indemnisation des pertes de récoltes résultant d'aléas climatiques, reposant sur le partage équitable du risque entre l'État, les agriculteurs et les entreprises d'assurances. Cette loi instaure une couverture universelle contre les risques climatiques accessible à tous les agriculteurs. À cette fin, elle institue un dispositif de couverture des risques climatiques à trois étages, prévoyant une absorption des risques de faible intensité à l'échelle individuelle de l'exploitation agricole, une mutualisation entre les territoires et les filières des risques d'intensité moyenne, par le biais de l'assurance multirisque climatique (MRC) dont les primes font l'objet d'une subvention publique, et une indemnisation directe de l'État contre les risques dits catastrophiques. S'agissant plus particulièrement des modalités d'indemnisation des pertes sur prairies, l'utilisation d'un indice est la seule façon de mesurer la production annuelle des prairies de façon à la fois simple et stable dans le temps. Sans système indiciel, les entreprises d'assurance ne pourraient pas tarifer et proposer des contrats d'assurance en prairie. L'indice est également le meilleur moyen d'avoir une indemnisation rapide et correspondant le mieux à la situation individuelle de chaque éleveur. En outre, la réforme prévoit que les méthodes de calcul des pertes soient similaires entre les agriculteurs assurés et ceux non assurés. Le versement de l'indemnisation de solidarité nationale aux éleveurs non-assurés est ainsi également réalisé par un système indiciel. C'est pourquoi s'il n'est pas possible de revenir à un système d'expertise terrain basé sur des bilans fourragers, il est en revanche primordial de conforter dans la durée la confiance de tous les acteurs et en particulier des éleveurs dans l'approche indicielle et d'améliorer en continu l'indice. C'est ainsi que le décret n° 2022-1716 du 29 décembre 2022 prévoit qu'un réseau d'observation de la pousse de l'herbe selon un protocole scientifique strict sera mis en place pour vérifier la bonne cohérence entre les résultats des indices et la pousse de l'herbe observée sur le terrain. Par ailleurs, le décret n° 2023-229 publié le 30 mars 2023 prévoit, conformément à l'objectif fixé par le législateur dans la loi du 2 mars 2022, que les réclamations qui pourraient être formulées quant aux indemnisations fondées sur des indices devront faire l'objet d'un examen approfondi permettant de vérifier l'absence de toute erreur manifeste dans le fonctionnement ou la mise en œuvre opérationnelle de l'outil indiciel. Cet examen mobilisera au besoin un comité d'expert constitué par le ministère chargé de l'agriculture. L'approche indicielle a pu susciter une certaine incompréhension sur l'indemnisation des pertes des prairies. Il convient ainsi de rappeler que l'encadrement des règles d'indemnisation impose que la perte affectant les prairies soit appréciée sur l'ensemble de la période de pousse de l'herbe, soit du début du printemps à la fin de l'automne, et pas uniquement sur la période estivale où l'effet de la sécheresse se fait le plus ressentir. En outre, il est nécessaire réglementairement de calculer les indemnisations par rapport à un historique de production correspondant à la moyenne triennale ou « quinquennale olympique », référence qui a été fortement dégradée dans certains territoires du fait des sécheresses 2018, 2019 et 2020. Cette question de la « moyenne olympique », c'est-à-dire quant à la référence de production historique prise en compte pour le calcul des pertes indemnisables par l'assurance récolte, renvoie à des discussions qui dépassent le cadre de la mise en oeuvre de la réforme et concernent des règles qui ont été définies au niveau européen en application des accords agricoles de l'organisation mondiale du commerce. Dans le cadre immédiat de la réforme, la loi a prévu que les exploitants auront le choix pour leur référence de production historique, entre leur moyenne olympique quinquennale ou leur moyenne triennale. Les agriculteurs pourront ainsi choisir, s'ils le souhaitent, la plus favorable des deux. Par ailleurs, l'encadrement réglementaire de l'assurance récolte offre la possibilité aux entreprises d'assurance de proposer des garanties non subventionnables permettant aux agriculteurs qui le souhaitent de souscrire des contrats pour des rendements assurés plus élevés que ceux qui résulteraient de l'application stricte de la « moyenne olympique ». Dans une perspective de plus long terme, le Gouvernement porte ces préoccupations sur la référence historique auprès des enceintes européennes, afin de faire évoluer sa définition pour l'adapter au contexte d'accélération du changement climatique. Le Gouvernement doit rendre dans les prochaines semaines un rapport au Parlement à ce sujet, tel que prévu par la loi du 2 mars 2022 pour rendre compte des initiatives qu'il a menées à ce sujet. Toutefois, dans certaines situations, l'augmentation de la fréquence des aléas climatiques peut conduire à ce que la référence à un potentiel de rendement « historique » perde sa réalité agronomique du fait du changement climatique et entraîne une dégradation de la référence de production historique quelle qu'en soit sa définition. C'est pourquoi conformément aux conclusions des travaux du Varenne, conjointement à l'amélioration des dispositifs de protection et de gestion des aléas climatiques engagée au travers de la réforme de l'assurance récolte, le Gouvernement met également en place des mesures pour accompagner l'adaptation des systèmes de productions pour les rendre plus résilients et pour développer des solutions de gestion des besoins et de l'accès aux ressources en eau mobilisables pour l'agriculture.
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