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Cécile Untermaier
Question N° 6317 au Ministère de la santé


Question soumise le 14 mars 2023

Mme Cécile Untermaier attire l'attention de M. le ministre de la santé et de la prévention sur la prise en charge psychiatrique dans l'administration pénitentiaire et sur l'incarcération de détenus présentant des troubles psychiatriques. Alors contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan déclarait en 2019 que «70 % des personnes détenues avaient au moins un trouble psychologique ou mental et 25 % un trouble psychotique grave ». D'après l'étude « santé mentale en population carcérale sortante », publiée en 2022 « les deux tiers des hommes et les trois quarts des femmes présentent au moins un trouble psychiatrique ou lié à une addiction à leur libération ». Le passage à l'acte suicidaire est six fois plus élevé chez les personnes détenues que dans la population générale, selon l'Observatoire international des prisons. Les agressions entre détenus et celles sur le personnel pénitentiaire sont régulières, à l'instar de celle ayant eu lieu à la prison de Varennes-le-Grand (71) début mars 2023. Une violence qui a entraîné une incapacité de travail d'une durée de 21 jours pour un agent et de trois jours pour deux autres agents pénitentiaires. L'agresseur présentait un « profil totalement déséquilibré depuis plusieurs semaines ». Ces constats et ces incidents interrogent sur deux points, à savoir le développement des maladies mentales en prison et leur prise en charge, ainsi que l'incarcération de personnes dont la place relève de la psychiatrie. Si les experts psychiatres s'accordent à dire que la prison ne crée pas à proprement parler de maladie mentale, elle favorise chez des personnes vulnérables, l'éclosion de pathologies. La gestion des détenus souffrant d'un mal psychiatrique majeur, le danger manifeste comme l'abandon d'un objectif de réinsertion, sont autant de grandes difficultés pour les surveillants pénitentiaires. Ces questions maintes fois posées ne peuvent trouver de solution sans une politique de santé mentale, remettant la prévention et le traitement des maladies psychiatriques au cœur des priorités. La France forme 20 fois moins de psychiatres qu'il y a 15 ans. La spécialité n'attire plus les internes et la répartition sur le territoire fait que des départements sont quasiment privés de ces spécialistes. Il y a déjà une quinzaine d'années, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'alarmait quant au déplacement de l'hôpital psychiatrique vers la prison : « l'incarcération de personnes atteintes de maladies mentales graves ne peut qu'entraîner une perte de repères et de sens : perte du sens même de la peine et de l'emprisonnement » mais aussi « perte du sens même du soin et du rôle de soignant ». Aussi, elle lui demande de bien vouloir lui indiquer les mesures que compte prendre le Gouvernement pour d'une part, garantir que l'état de la psychiatrie en France permette de prendre en charge les patients et d'autre part, assurer un meilleur suivi et accompagnement des troubles mentaux en détention.

Réponse émise le 3 octobre 2023

La feuille de route santé des personnes placées sous-main de justice traduit les actions portées à l'échelle interministérielle, en faveur de la prise en charge sanitaire de ce public, avec un principe d'équivalence d'accès aux soins entre celui-ci et la population générale. Cette feuille de route, en vigueur de 2019 à 2022 et en cours d'actualisation, a mis en exergue le fort enjeu de la prise en charge psychiatrique des personnes détenues. L'une de ses actions est ainsi dédiée à l'amélioration du parcours de soins en santé mentale de la personne détenue, sur les trois niveaux de prise en charge. niveau 1 : prise en charge ambulatoire (consultations, entretiens…) au sein des unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) et des services médico-psychologiques régionaux (SMPR). Des prises en charge de groupes peuvent être développées au sein de centres d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) présents au sein de l'USMP ; niveau 2 : prise en charge à temps partiel, assurée par les hôpitaux de jour. Les cellules d'hébergement se trouvent au sein des USMP et des SMPR ; niveau 3 : prise en charge à temps complet, au sein des unités d'hospitalisation spécialement aménagées (UHSA) ou en établissements de santé autorisés en psychiatrie selon les dispositions prévues par l'article R. 6111-40-5 du code de la santé publique (CSP). Un état des lieux des dispositifs de niveau 1 et de niveau 2 est en cours d'élaboration. Celui-ci permettra de redéfinir les rôles, missions et places de chacun de ces dispositifs afin d'en favoriser l'articulation. Concernant le niveau 3, une seconde tranche de construction de 3 UHSA est en cours de déploiement et permettra la création de 160 places s'ajoutant aux 440 places existantes (9 unités en service à ce jour). Ces trois nouvelles UHSA seront implantées en Ile-de-France, en Normandie et en Occitanie. Cette prise en charge de niveau 3 fait par ailleurs l'objet d'échanges avec les partenaires concernés (directions d'administrations centrale, agences régionales de santé, professionnels de santé exerçant en milieu pénitentiaire, commission nationale de psychiatrie, UNAFAM…). Ceux-ci permettront d'identifier les difficultés rencontrées aujourd'hui dans le cadre de ce type de prise en charge et d'identifier les bonnes pratiques permettant d'y répondre. Au-delà de la prise en charge, la prévention et la promotion en santé mentale représentent des enjeux importants, qui sont aussi intégrés dans la future feuille de route pour la santé des personnes placées sous-main de justice. La prévention du suicide pour les personnes détenues majeures et mineures est un axe essentiel de cette feuille de route et elle s'inscrit dans la feuille de route santé mentale et psychiatrie de 2018 pour la population générale. Celle-ci s'est fixée pour objectif la réduction du nombre de décès par suicide en population générale grâce à la mise en œuvre dans les régions d'un ensemble d'actions intégrées. Les différentes actions de la stratégie nationale de prévention du suicide, pilotées par le ministère chargé de la santé et présentées dans l'instruction N° DGS/SP4/2022/171 du 6 juillet 2022, ont vocation à être déployées en faveur de la population des personnes détenues en les adaptant à ce milieu : le maintien du contact avec les suicidants (expérimentation VigilanS) ; la mise en place du numéro national de prévention du suicide (3114) ; l'adaptation des formations en prévention du suicide ; la prévention de la contagion suicidaire ; l'information du public. Aussi, une expérimentation du programme de recontact des personnes suicidaires (VigilanS) a été initiée en juin 2021 dans deux établissements pénitentiaires des Hauts-de-France et fera l'objet d'une évaluation en 2023 afin d'envisager une éventuelle généralisation. Des travaux ont été initiés dès novembre 2021 afin d'organiser l'accès au 3114, le numéro national gratuit de prévention du suicide, pour les personnes détenues. Les modalités précises de ce déploiement en milieu pénitentiaire sont en cours de définition. En outre, des projets de promotion de la santé mentale en milieu pénitentiaire sont menés localement par les USMP, par l'administration pénitentiaire, ainsi que par la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) dans le cadre de la démarche « PJJ promotrice de santé ». Ils ont vocation à être amplifiés et pérennisés dans le cadre de partenariats avec les associations. Le déploiement de sessions de formation et de sensibilisation à la santé mentale pour le personnel pénitentiaire constitue également un levier de promotion du mieux-être en santé mentale. L'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM) conçoit des programmes de sensibilisation et de formation de différents formats sur la santé mentale et les troubles psychiques, à l'attention des personnels pénitentiaires, à la faveur d'une convention avec le ministère de la justice. La connaissance de l'état de santé mentale des personnes détenues est également nécessaire afin d'adapter les actions portées par les différentes administrations concernées. L'étude nationale santé mentale en population carcérale sortante (SPCS), menée par la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France (F2RSM Psy) à la demande du ministère chargé de la santé et publiée en février 2023, a en ce sens permis de confirmer le constat d'une santé mentale dégradée pour une majorité de personnes détenues qui présentent un trouble psychiatrique ou lié à une substance. Ses résultats ont conforté les orientations retenues dans le cadre de l'actualisation de la feuille de route santé des PPSMJ. Une autre étude relative à la santé mentale des personnes détenues majeures, portée par le ministère de la Justice, intitulée « Épidémiologie PSYchiatrique Longitudinale en prisON (EPSYLON) » est en cours. Cette étude prospective permettra d'évaluer de manière longitudinale la santé mentale des personnes incarcérées en maison d'arrêt au cours des 9 premiers mois passés dans un établissement. L'objectif secondaire est d'analyser les enjeux sociaux relatifs à l'organisation des soins de santé mentale sur cette même période. Ses résultats sont attendus pour janvier 2025.

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