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Murielle Lepvraud
Question N° 5719 au Ministère de l’agriculture


Question soumise le 21 février 2023

Mme Murielle Lepvraud attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur le besoin d'encadrement du développement des méthaniseurs dans les exploitations agricoles. Si, dans l'absolu, la méthanisation agricole peut être un processus pertinent pour valoriser certains déchets agricoles, notamment dans une perspective d'autonomie énergétique des fermes, on observe néanmoins de nombreux effets pervers dans le développement de ces installations. Il appartient donc au législateur de l'encadrer. En premier lieu, sur le plan de l'impact sanitaire, les données sur les conséquences de ces installations pour la santé publique, concernant tant la pollution de l'air que celle de l'eau, manquent. De même, l'inocuité des digestats issus de la méthanisation n'est pas démontrée : ils peuvent contenir par exemple des antibiotiques consommés par les porcs (dont les lisiers servent à l'alimentation de ces digesteurs), des bactéries pathogènes ou encore des métaux lourds. Cela ne peut être sans conséquences sur les sols sur lesquels ils sont épandus. De plus, ces digesteurs sont bruyants et peuvent occuper une emprise importante sur le foncier des exploitations agricoles : cela occasionne des nuisances environnementales, sans parler des risques d'accidents qui se multiplient avec le nombre de méthaniseurs en fonction. D'autre part, l'essor de la méthanisation agricole risque de déséquilibrer l'économie de l'agriculture. En effet, par les contrats avec les énergéticiens, courant sur quinze ou vingt ans, la méthanisation constitue désormais une source de revenus plus rentable financièrement et plus stable dans le temps qu'une production agricole soumise aux variations des marchés. Le cadre légal actuel indique que cette production d'énergie doit rester un complément de revenu pour les agriculteurs, avec 15 % maximum de cultures dédiées à la méthanisation dans l'exploitation agricole : cela ne fait pourtant que l'objet de déclarations, sans contrôles. Or il peut être tentant financièrement de passer par exemple un élevage de porcs, dont le lisier est moins méthanogène, en une production de maïs, destinée directement au digesteur. Cette absence de contrôles indépendants met donc l'élevage en compétition avec les cultures méthanogènes. Cela entraîne également une pression sur le foncier ainsi que sur le fourrage, qui elle-même entraîne une augmentation des prix du maïs d'ensilage. Force est de constater également que l'installation de méthaniseurs, attractive financièrement, suscite les convoitises. Ce phénomène influe sur l'économie agricole et, au fil du temps, participe de la tendance à l'agrandissement des installations... et des méthaniseurs. Les agrandissements des méthaniseurs ne font d'ailleurs pas toujours l'objet d'enregistrements en préfecture, mais de régularisations a posteriori, ce qui interroge sur l'usage des dispositifs de concertation locale. Le manque de régulation du développement des méthaniseurs agricoles engendre donc des risques de détournement de la destination des cultures, alors même que le secteur agricole est fondamental pour le pays, à bien des égards : rôle prépondérant dans l'adaptation au changement climatique, autonomie alimentaire, secteur économique de premier plan dans certaines régions, tant dans les exportations que dans l'emploi. Alors même que la loi Egalim a facilité l'installation de méthaniseurs en créant un droit à l'injection, le rôle nourricier des terres agricoles doit être préservé. Il convient donc d'encadrer le développement des méthaniseurs agricoles, notamment en matière de : bruits générés par ces installations, nature et volume de matières méthanogènes absorbées, taille de l'installation, autorisations d'agrandissements, plafonnement et dégressivité des subventions publiques pour limiter les installations de grandes tailles. Il convient également que le contrôle de la limite de 15 % de la production dédiée à la méthanisation soit assuré par un organisme indépendant. Les acteurs de l'agriculture, dont les organisations représentantes des agriculteurs, doivent être associés à cette réflexion. Considérant ces éléments, elle lui demande ce qu'il compte faire pour encadrer le développement de la méthanisation agricole, stopper leur propagation chaotique et engager une réelle planification, notamment dans la perspective de la prochaine Programmation pluriannuelle de l'énergie : objectifs chiffrés d'installation de méthaniseurs, dispositifs de concertation avec la population, etc.

Réponse émise le 4 juillet 2023

Le Gouvernement est attaché à un développement durable de la filière de la méthanisation agricole, qui contribue activement à la politique nationale de développement des énergies renouvelables, tout en assurant un complément de revenus pour les agriculteurs et des externalités positives pour l'agriculture. C'est pourquoi d'une part, ont été prises des mesures pour soutenir son développement (notamment au travers de tarifs d'achat de l'électricité et du biométhane produits, et de subventions à l'investissement), et d'autre part, ont été prises des dispositions pour réduire les éventuelles nuisances et sécuriser les filières. Ainsi, les installations de méthanisation sont encadrées par des règles précises issues de la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), qui les soumet à autorisation, enregistrement ou déclaration selon les quantités de déchets entrant pour traitement dans l'installation. Les arrêtés ministériels de prescriptions générales applicables aux installations de méthanisation ont été révisés et publiés le 30 juin 2021 au Journal officiel, à l'issue d'une vaste concertation préalable. Parmi les changements apportés par cette réforme, en particulier, la distance minimale entre le méthaniseur et les habitations tierces a été porté de 50 mètres (m) à 100 m pour les installations soumises à déclaration, et à 200 m pour les installations soumises à enregistrement ou autorisation. La problématique des odeurs a été prise en compte de façon renforcée, avec notamment des obligations de couverture des stockages de digestats, l'obligation de tenir à jour un registre des plaintes concernant les odeurs, et de remédier à toute situation donnant lieu à plainte. L'encadrement des risques de pollution des eaux par déversement accidentel a été renforcé, par l'obligation de disposer de capacités de rétention suffisantes et d'assurer une surveillance renforcée de l'installation. La présence d'une torchère est obligatoire, afin d'éviter tout relargage de méthane dans l'atmosphère. Un suivi rigoureux des digestats épandus sur les sols est également assuré dans ce cadre. En fonction de la taille des projets, des études d'impacts ou d'incidences sont réalisées, et le trafic routier est bien intégré dans ces études. Les services de l'État sont particulièrement attentifs à ces enjeux. De plus, les projets de méthanisation soumis à autorisation nécessitent, après une première phase d'examen par les services de l'État, une procédure intégrant une phase d'enquête publique et de concertation, préalablement à la décision finale de l'administration d'autoriser ou non le projet. À cette occasion, chaque citoyen est informé et peut faire valoir son avis qui sera repris dans l'avis du commissaire enquêteur. La réglementation ICPE encadre les risques et nuisances environnementales, mais ne peut répondre totalement à elle seule à toutes les questions d'acceptabilité posées par les riverains. C'est pourquoi il est important de diffuser les bonnes pratiques visant à informer et dialoguer autour d'un projet de méthanisation. À cette fin, l'agence de la transition écologique (ADEME) a diffusé un kit citoyen grand public « La méthanisation en dix questions », ainsi qu'un guide à l'attention des agriculteurs porteurs de projets pour les sensibiliser aux enjeux de la concertation territoriale et leur donner les conseils et outils appropriés. Ces outils, disponibles sur le site internet de l'ADEME, doivent contribuer à consolider la confiance et la concertation entre tous, et faire que la méthanisation agricole se développe dans les meilleures conditions possibles. La question de l'approvisionnement des installations de méthanisation a été identifiée comme fondamentale pour éviter la concurrence de la production d'énergie à partir de biomasse avec les usages alimentaires, à la fois en ce qui concerne les productions elles-mêmes, mais aussi les surfaces agricoles. Il s'agit d'encourager un modèle de méthanisation basé sur l'économie circulaire et la transition agro-écologique, valorisant en priorité des effluents d'élevage selon les objectifs fixés par le plan énergie méthanisation autonomie azote (EMAA). Aussi, cette question a été prise en compte depuis la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui prévoit à son article 112 que : « Les installations de méthanisation de déchets non dangereux ou de matières végétales brutes peuvent être approvisionnées par des cultures alimentaires dans la limite de seuils définis par décret. Les résidus de cultures associés à ces cultures alimentaires et les cultures intermédiaires à vocation énergétique sont autorisées ». Le décret n° 2016-929 du 7 juillet 2016 initialement pris pour l'application de cet article a été publié le 8 juillet 2016, après une concertation approfondie avec les parties prenantes. Ce décret a été modifié par le décret n° 2022-1120 du 4 août 2022 relatif aux cultures utilisées pour la production de biogaz et de biocarburants. Ce nouveau décret maintient un plafond maximal de 15 % en tonnage brut des intrants pour l'approvisionnement des installations de méthanisation par des cultures, alimentaires ou énergétiques, cultivées à titre de culture principale : il permet de clarifier les définitions et de renforcer l'encadrement de l'utilisation de cultures alimentaires. En ce qui concerne aussi bien les filières de cogénération que d'injection, il est prévu une prime « Pef » fonction de la proportion d'effluents d'élevage utilisés comme intrants de l'installation, cette prime étant maximale pour une proportion d'effluents d'élevage supérieure à 60 %. La politique européenne encadre également le changement d'affectation des terres, c'est-à-dire les situations dans lesquelles des cultures destinées à la production d'énergie occupent des terres auparavant consacrées aux cultures alimentaires, lesquelles risquent alors d'être déplacées dans des zones non exploitées jusque-là. L'entrée en vigueur en 2023 de la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, dite « Directive RED II », apportera un renforcement de ces orientations, en soumettant l'ensemble des installations de production de bioénergies à des exigences de durabilité et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En matière de durabilité, les exigences portent, selon les types de biomasse, sur le suivi de la qualité des sols et de la teneur en carbone de ces derniers, sur la préservation des terres riches en biodiversité, des terres présentant un important stock de carbone ou des tourbières. En matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les exigences portent sur l'atteinte de niveaux de réduction d'émissions définis en fonction de la date de mise en service des installations, la réduction des émissions étant calculée « en cycle de vie » (sur l'ensemble de la chaîne de production) et par rapport à un combustible fossile de référence. La directive exige des États membres qu'ils soumettent les opérateurs à des obligations de justification et de transparence incluant notamment l'utilisation d'un système de « bilan massique » (permettant d'assurer la traçabilité des critères de durabilité), la mise à disposition des données utilisées pour attester du respect des exigences RED II, la soumission à un contrôle indépendant. Des systèmes dits nationaux portés par les États peuvent être mis en place, mais il est également possible pour les filières de structurer des systèmes privés dits « schémas volontaires » devant être reconnus par la Commission européenne.

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