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Philippe Pradal
Question N° 5601 au Ministère de la justice


Question soumise le 14 février 2023

M. Philippe Pradal attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur le mandat de protection future et plus spécifiquement sur la vente du logement de la personne protégée. Dans la mesure où la stabilité du cadre de vie revêt une importance considérable dans le traitement de la maladie et parce qu'il apparaît primordial d'éviter toute décision hâtive, l'article 426, alinéa 3, du code civil prévoit que l'accord du juge des tutelles est nécessaire pour qu'il soit disposé quant aux droits relatifs au logement de la personne protégée et aux meubles qui le garnissent et ce, qu'il s'agisse d'une résidence principale ou secondaire. La question s'est posée de savoir si ce texte avait vocation à s'appliquer dans le cadre du mandat de protection future, donc à prévaloir sur les dispositions du premier alinéa de l'article 490 du code civil qui posent pour principe, s'agissant du mandat établi par acte authentique, que, « par dérogation à l'article 1988, le mandat, même conçu en termes généraux, inclut tous les actes patrimoniaux que le tuteur a le pouvoir d'accomplir seul ou avec une autorisation ». La majorité des auteurs le pensent, dans la mesure où la règle est située dans les dispositions générales applicables à l'ensemble des mesures juridiques de protection, en ce compris, en conséquence, le mandat de protection future. Mais jusqu'ici, cette question n'a pas été tranchée par les tribunaux. Dès lors que l'on se range à l'idée selon laquelle le mandataire a l'obligation d'obtenir une ordonnance d'autorisation aux fins de pouvoir disposer du logement de la personne vulnérable et de son mobilier - ce qui tempère les larges pouvoirs dont il dispose par principe dans le cadre d'un mandat de protection future notarié -, on peut encore se demander si le texte est d'ordre public ou s'il est possible de le contourner en insérant une clause contraire dans le mandat. Au regard de l'objectif poursuivi par le législateur à travers l'article 426 du code civil, on peut penser que, dans l'état actuel des textes, les dispositions protectrices du logement de la personne protégée s'imposent impérativement aux parties et qu'il ne saurait y être dérogé. L'article 426, qui vise le logement de la personne protégée en général, a pour finalité de protéger cette dernière contre les initiatives malheureuses de son représentant. Or cette approche est celle des règles relatives à la tutelle ou l'habilitation familiale, qui constituent également des situations juridiques subies par la personne protégée et que celle-ci n'a pas anticipées. Dans le mandat de protection future, la situation est autre : le mandant, au moment où il signe l'acte, dispose en effet de toutes ses facultés. Il entreprend du reste cette démarche pour éviter de devoir, un jour, être placé sous tutelle ou faire l'objet d'une habilitation familiale. Sa démarche est guidée par la volonté d'avoir la main sur son éventuelle perte d'autonomie, de l'organiser personnellement et sans l'intervention d'un juge. Il voit dans le mandat, à l'image des directives anticipées de fin de vie, l'expression de l'autonomie de sa volonté et il se sent en mesure de décider s'il accorde une confiance suffisante à son mandataire pour le laisser décider, dans les circonstances redoutées de la perte de son autonomie, si un maintien à domicile est possible ou si la vente de sa résidence principale est nécessaire pour entrer dans une maison de retraite. Aussi, quand le notaire explique au mandant qu'il faudra tenir compte de l'application des dispositions de l'article 426 du code civil relativement à la vente de ses résidences principale ou secondaire (qui composent le plus souvent l'essentiel de son patrimoine), on peut imaginer que le mandant se sente dépossédé de son libre choix dans l'appréhension de son éventuelle dépendance. Ainsi s'explique qu'il renonce souvent à son projet. Les notaires constatent régulièrement que l'on touche ici à l'une des faiblesses les plus importantes du mandat de protection future. En parallèle, les notaires constatent également que l'obligation d'obtention d'une ordonnance autorisant la vente constitue un frein, voire un obstacle, à la vente du bien, laquelle exige une réactivité et une célérité incompatibles avec le dispositif judiciaire mis en place. À l'évidence, eu égard aux délais et aux incertitudes inhérents au recours au juge des tutelles, le risque est grand de dissuader un potentiel acquéreur. Ainsi, dans son rapport « Lever les freins au développement du mandat de protection future » (octobre 2022), le Conseil supérieur du notariat propose, dans l'esprit du mandat de protection future tel qu'il est perçu par les clients des notaires et dans l'intérêt du mandant ayant perdu ses facultés, de permettre à ce dernier, s'il le souhaite, d'autoriser expressément, dans le mandat, le mandataire à procéder à la vente de son logement ou de sa résidence secondaire sans avoir à solliciter une autorisation judiciaire. Il lui demande son avis sur cette proposition.

Réponse émise le 9 mai 2023

Le logement de la personne vulnérable, qu'il s'agisse de sa résidence principale ou secondaire, est particulièrement protégé par l'article 426 du code civil. Cette disposition, incluse dans la section « dispositions générales » du chapitre relatif aux mesures de protection juridique des majeurs, s'applique à toutes les mesures de protection juridique, dont le mandat de protection future fait partie. Si la Cour de cassation n'a pas eu à se prononcer sur cette question, plusieurs cours d'appel ont considéré que le mandat de protection future était soumis aux dispositions de l'article 426 du code civil (par exemple : CA Rennes, 6e ch. B, 29 oct. 2013, n° 13/00748 ; CA Paris, pôle 3, ch. 7, 2 mars 2021, n° 19/18583). Par son emplacement dans le code civil et son objectif de protection des droits fondamentaux de la personne vulnérable, l'article 426 du code civil déroge donc aux dispositions de l'article 490 du même code, qui donne pouvoir au mandataire, dans le cadre d'un mandat notarié, pour réaliser seul tous les actes patrimoniaux que le tuteur a le pouvoir d'accomplir seul ou avec une autorisation du juge. La protection du logement de l'adulte protégé prévue à l'article 426 du code civil est caractérisée par le contrôle du juge. En effet, l'autorisation du juge est nécessaire pour disposer des droits relatifs au logement de l'intéressé, c'est-à-dire le vendre ou résilier le bail. Dans ce cadre, le juge vérifie que l'acte de disposition portant sur le logement est nécessaire ou dans l'intérêt de la personne. Dans le cas où la vente ou la résiliation a pour finalité l'accueil de l'intéressé dans un établissement, le juge vérifie également l'existence d'un avis médical indiquant que le maintien à domicile n'est plus possible. Ce contrôle judiciaire est indispensable puisqu'il a pour objet de protéger le lieu de vie de personnes vulnérables. Il s'inscrit dans le respect des engagements internationaux de la France et notamment de l'article 19 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, qui protège le droit des personnes handicapées à choisir leur lieu de résidence. La proposition du Conseil supérieur du notariat, qui a pour objet d'autoriser le mandant à intégrer dans le mandat de protection future l'autorisation de vendre la résidence principale ou secondaire sans autorisation du juge, aurait nécessairement pour effet d'accélérer la vente du logement ou la résiliation du bail. Toutefois, cette proposition risquerait de porter une atteinte importante aux intérêts fondamentaux des personnes vulnérables. De plus, l'objectif d'accélération de la vente du logement ou de la résiliation du bail peut être atteint par d'autres moyens moins attentatoires aux droits et libertés fondamentaux des adultes vulnérables, notamment par le biais de bonnes pratiques visant à traiter prioritairement ces requêtes. Bien que la proposition du Conseil supérieur du notariat soit intéressante, il n'est toutefois à ce stade pas prévu de mise en oeuvre.

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