Mme Pascale Martin interroge Mme la ministre de la culture sur le devenir du groupe CGR, numéro 2 des salles de cinéma en France. Depuis avril 2022, le groupe CGR est en vente avec ses 74 cinémas représentant 708 salles. Le groupe a été créé en 1974 à La Rochelle et est très présent en Nouvelle-Aquitaine. En plus de son activité dans l'exploitation de complexes cinématographiques, le groupe est actif dans le secteur de l'hôtellerie, de la restauration et du tourisme et emploie environ 3 000 personnes. Il semble aujourd'hui que des fonds de pension et des sociétés extra-européennes se positionnent pour racheter le groupe. De telles intentions motivées par des raisons de pure rentabilité économique, si elles devaient être confirmées, feraient peser de nombreux risques pour le cinéma français dont le modèle est envié en Europe et dans le monde : affaiblissement de la souveraineté européenne par la fuite d'actifs culturels dont la valeur a été portée par l'argent public ; risques pour l'emploi local ; affaiblissement certain des circuits de diffusion du cinéma dans les villes moyennes de France. En novembre 2022, Mme la ministre a exprimé sa volonté de protéger des capitaux étrangers les « actifs culturels stratégiques ». Lors des rencontres de l'ARP, la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs, au Touquet, elle a déclaré : « Aujourd'hui, il y a ce risque de voir des sociétés de production, leurs catalogues d'œuvres ou encore des réseaux de salles de cinéma [ ] rachetés par des entreprises, d'ailleurs souvent éloignées de tout objectif culturel, comme des fonds d'investissement extra-européens ». Elle lui demande si elle peut garantir la ferme volonté du Gouvernement de veiller à ce que les conditions de rachat du groupe CGR soient compatibles avec les objectifs de préservation de l'indépendance du cinéma français, de renforcement de l'écosystème national de production et de diffusion du cinéma fondé sur le principe de l'exception culturelle française, de préservation de l'emploi local et de développement de la vitalité culturelle des territoires.
Les propriétaires du réseau CGR avaient récemment décidé de le mettre en vente, faisant naître le risque de rachats de la part d'entreprises extra-européennes dépourvues de préoccupations culturelles. Ils ont cependant fini par y renoncer. Il n'en demeure pas moins que les questions qui se posaient alors restent pertinentes. Le groupe CGR constitue le deuxième circuit de salles de cinéma en France en nombre d'écrans (705 écrans actifs en 2021) et en nombre d'établissements (74 cinémas actifs en 2021) et se place en troisième position en termes de fréquentation (25 millions d'entrées en 2019 et 10,8 en 2021). Dans la perspective tracée notamment par les articles 30 à 32 de la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique, la protection de l'accès du public aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles est reconnue comme un enjeu culturel stratégique par les Conclusions adoptées à plusieurs reprises par le Conseil de l'Union européenne (UE), en dernier lieu le 4 avril 2022 sous présidence française de l'UE. Ainsi, le Conseil a appelé à renforcer les actifs culturels stratégiques européens, qui englobent notamment les capacités indépendantes de distribution et de présentation des œuvres. Il a invité les États membres et la Commission européenne à préserver et promouvoir l'autonomie stratégique de ces actifs, tant afin de garantir aux publics un accès effectif à la diversité des expressions culturelles en Europe qu'afin de soutenir l'écosystème industriel créatif européen dans le maintien et le renforcement de son avantage concurrentiel. Dans ce contexte, le ministère de la culture et le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ont souhaité que Monsieur Bruno Lasserre, dans le cadre de la mission « cinéma et régulation » qu'ils lui ont conjointement confiée en septembre dernier, se penche sur cette question. À cette occasion, Monsieur Lasserre a réfléchi notamment à la façon dont les exigences associées au principe de libre circulation des capitaux, invocables par des acteurs extérieurs à l'UE, pourraient être tempérées s'agissant des actifs culturels stratégiques. Il convient de rappeler les éléments de complexité de ce débat, liés à la spécificité du secteur de l'exploitation cinématographique comparé à celui de la production de catalogues d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles.D'une part, la régulation applicable aux salles – en matière d'urbanisme, de diversité de la programmation, ou encore de fiscalité – s'attache à tous les cinémas implantés en France, indépendamment de la nationalité de leurs propriétaires : elle offre donc aux pouvoirs publics des leviers et des garanties à l'égard de ces équipements qui n'existaient pas dans le cas des catalogues. En outre, une mesure de contrôle administratif exercée sur un tel achat, quelle que soit sa forme, pourrait nuire à l'attractivité des salles auprès de capitaux étrangers, au moment où le secteur de l'exploitation fait face à la nécessité de mener des investissements importants pour répondre, entre autres, à la concurrence des plates-formes de vidéo à la demande et aux exigences de rénovation énergétique. Monsieur Bruno Lasserre a remis ses conclusions aux deux ministres le 4 avril dernier. Le rapport estime que l'encadrement doit répondre au risque et estime qu'il peut être mieux prévenu par le renforcement des engagements de programmation que par un contrôle des investissements en conditionnant le soutien exploitant au respect des aspects quantifiés des engagements de programmation. Le CNC va lancer un processus de consultation d'ici à la fin de l'année, afin de mettre en œuvre les préconisations du rapport après concertation avec les acteurs du secteur.
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