M. Thomas Portes interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur « le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes » (SCA). Le 25 janvier 2022, le journal Le Canard enchaîné mettait en lumière une mission d'expertise confidentielle commandée par le ministère de l'Économie, portant, entre autres, sur les péages autoroutiers. Le rapport qui en a découlé en février 2021 a été rédigé par l'Inspection générale des finances (IGF) et par le service de l'inspection du ministère de l'Écologie. Les experts pointent les profits démesurés réalisés par les concessionnaires d'autoroutes et préconise de baisser les tarifs de 60 % sur près de deux tiers du réseau. Selon le rapport, les sociétés d'autoroutes disposent d'une « rentabilité très supérieure à l'attendu » ce qui irait « contre le principe de rémunération raisonnable ». Les concessions ASF-Escota (groupe Vinci) et APRR-Area (Eiffage), qui exploitent près de deux tiers du réseau routier, présentent une rentabilité de 12 %, soit un niveau « très supérieur » à celui « ciblé » par l'État lors de la privatisation des autoroutes en 2006. Ainsi, les rapporteurs préconisent un « réalignement de la rentabilité » et suggèrent trois options. La première consiste en une « fin anticipée » des concessions APRR et ASF dès 2026, soit respectivement neuf et dix ans plus tôt. La deuxième alternative proposée était celle de baisser drastiquement les tarifs des péages dès 2022. Les experts préconisaient une baisse de « 58 % pour le réseau ASF-Escota et de 59 % pour APRR-Area », ce qui, à titre d'illustration, représenterait une économie de 35 euros pour un trajet Paris-Lyon. Enfin, le rapport proposait un prélèvement par l'État à hauteur de 63 % de l'excédent brut d'exploitation dégagé par les deux sociétés les plus rentables, dès 2021 et jusqu'à la fin de la concession (ce qui aurait représenté près de 55,4 milliards d'euros). En 2021, Vinci Autoroutes a engrangé 1,9 milliard d'euros de bénéfices sur 5,5 milliards de chiffre d'affaires (soit plus de 30 % de marge), Sanef affichait 690 millions d'euros de résultat pour 1,7 milliard de chiffre d'affaires et APRR a dégagé 932 millions de bénéfices pour 2,5 milliards de chiffre d'affaires. Selon un rapport de l'Autorité de régulation des transports (ART), les bénéfices des sociétés concessionnaires ont augmenté d'environ 47 % en 2021, atteignant 3,9 milliards d'euros. Cette hausse s'explique notamment par la diminution de l'impôt sur les sociétés (28 % en 2020 contre 26,5 % en 2021), une baisse qui est continue puisque le taux d'impôt est de 25 % en 2022. La commission d'enquête du Sénat sur les concessions autoroutières menée en 2020 pointait déjà la rentabilité « hors norme » de 40 milliards d'euros d'ici 2036 et dénonçait le manque à gagner de 7,8 milliards d'euros pour l'État lors des privatisations de 2006. À l'heure où nous traversons une période marquée par de multiples crises et par une baisse préoccupante du pouvoir d'achat, une hausse moyenne de 4,75 % des tarifs des péages est prévue pour le 1er février 2023. Parce que notre modèle économique des concessions autoroutières n'est plus viable, M. le député demande à M.le ministre s'il envisage de sortir de ce statu quo. Il interroge également M.le ministre sur les suites qui ont été données à ce rapport.
Les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont chargées de l'entretien et de l'exploitation du réseau autoroutier dit « concédé ». Cette gestion est opérée par voie contractuelle selon un mode concessif. Les hausses tarifaires sont inscrites dans les contrats et sont plafonnées, pour les sociétés concessionnaires historiques (SANEF, SAPN, APRR, AREA, ESCOTA, ASF, Cofiroute), à 70 % du niveau d'inflation de l'année précédente hors nouveaux travaux demandés par le concédant au concessionnaire. Ainsi, le niveau des péages évolue moins vite que l'inflation. Ces péages couvrent (i) les coûts d'exploitation et d'entretien du réseau, (ii) le remboursement des dettes contractées par le concessionnaire et les coûts de financement afférents et (iii) la rémunération du concessionnaire au titre du capital investi. Le rapport de l'IGF montre que le TRI projet est proche de celui anticipé par l'État lorsqu'il a cédé le capital qu'il détenait dans les sociétés concessionnaires d'autoroutes à des acteurs privés. En revanche, s'agissant du TRI actionnaire, qui avait été estimé à 7,7 % pour l'ensemble des sociétés d'autoroutes, l'écart par rapport aux anticipations s'est révélé à ce stade du déroulement de la concession plus significatif, avec une différence allant de 1 à 4 points de pourcentage. Ces chiffres doivent néanmoins être considérés avec beaucoup de précaution. D'une part, il n'était pas possible, au moment de la privatisation, d'anticiper la politique monétaire qui serait menée pendant les années 2010-2020 et qui a eu pour effet de permettre aux concessionnaires de bénéficier de conditions financières particulièrement favorables. D'autre part, le TRI actionnaire ne peut s'apprécier que sur l'ensemble de la durée d'une concession, c'est-à-dire, s'agissant des sociétés concessionnaires historiques, jusqu'à leur date d'échéance, comprise, selon les concessions, entre 2031 et 2036. L'écart actuellement constaté n'est donc pas définitif. L'État n'est pas resté inactif face à l'augmentation de la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes : le rapport que vous mentionnez a été commandé ; la hausse du prix des péages a été contenue à 2 % en 2022 ; enfin, le choix d'indexer la taxe d'aménagement du territoire sur l'inflation a permis de rapporter plus d'un milliard d'euros à l'État. Par ailleurs, j'ai saisi le Conseil d'Etat afin qu'il étudie les voies juridiques permettant d'éviter l'apparition d'une situation de rente. Parmi les pistes étudiées figurent l'augmentation de la fiscalité pesant sur les sociétés concessionnaires détenues par le groupe et la réduction de la durée des contrats de concession autoroutière.
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