M. Christophe Blanchet attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les attaques des chasseurs de brevets et l'utilisation détournée qu'ils font des règles de protection de la propriété intellectuelle auprès des tribunaux. Les chasseurs de brevets sont des entités qui n'ont aucune activité de production et ont pour objet exclusif de détourner les règles de protection de la propriété industrielle dans le seul but d'obtenir des réparations financières. Leurs stratégies de prédation présentent un risque réel pour les entreprises françaises et européennes, en mettant à mal leur capacité à innover et à se développer, en particulier pour les PME et les start-up les plus prometteuses, plus vulnérables à ces attaques. L'un des principaux déséquilibres qui crée un terreau favorable pour ces chasseurs de brevets réside dans le fait que les tribunaux accordent automatiquement des injonctions lorsqu'ils constatent une contrefaçon de brevet, sans procéder à une évaluation de la proportionnalité comme l'exige la législation européenne. En France, sur 24 cas entre 2018 et 2020, 22 ont abouti à une injonction automatique et sans qu'aucun test de proportionnalité ne soit effectué (d'après une analyse de Darts-ip, qui a analysé les 284 décisions de justice relatives aux brevets prises en Europe entre janvier 2018 et décembre 2020 et dans lesquelles une infraction a été constatée et une injonction permanente demandée). Par ailleurs, le risque pesant sur les entreprises françaises ne fera que s'accentuer, notamment à la suite la récente réforme mise en place par l'Allemagne qui implique pour les juges de procéder à une évaluation de la proportionnalité lorsqu'une mesure injonctive représenterait un préjudice disproportionné. Si cette réforme constitue une véritable avancée dans l'application du principe de proportionnalité, on peut toutefois craindre que les patent trolls ne se déplacent désormais vers la France, si les conséquences de ces pratiques néfastes ne sont pas suffisamment anticipées. Mais une action isolée au niveau national, si elle est essentielle, ne sera pas suffisante. Une application plus homogène et effective du principe de proportionnalité dans les procédures contentieuses en contrefaçon de brevet en Europe est indispensable, ce qui implique une action par la Commission européenne pour garantir une application homogène de la directive européenne n° 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (dite « IPRED »). De plus, si les objectifs de la Juridiction unifiée des brevets (JUB) sont satisfaisants, certains aspects la rendent vulnérable aux pratiques litigieuses abusives, et en particulier la disponibilité d'une injonction à l'échelle européenne si elle est accordée automatiquement et sans examen de la proportionnalité - comme l'exige pourtant le droit européen. En outre, les patent trolls chercheront à contourner la compétence de la JUB (brevets opt-out , etc.), ce qui est d'autant plus préoccupant que la France accueillera le siège de la division centrale du tribunal de première instance de la JUB. Une meilleure prise en compte du principe de proportionnalité dans la résolution des contentieux en droit des brevets, comme le préconise la directive européenne n° 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, paraît donc indispensable. Si celui-ci doit faire respecter les droits de la défense dans l'attente d'une décision au fond concernant l'atteinte au droit de la propriété intellectuelle, les mesures provisoires qui se doivent de mettre en balance les spécificités de chaque espèce entre ces deux objectifs pourraient être plus équilibrées. Il lui demande si et comment le Gouvernement entend agir pour mieux protéger les détenteurs de droits et les sociétés exploitantes face à cette utilisation dévoyée des tribunaux, notamment en garantissant une application effective et harmonisée du principe de proportionnalité et en restreignant l'automaticité de ces injonctions à l'échelle nationale et européenne, et sous quel calendrier.
La finalité du droit de la propriété industrielle est de favoriser l'innovation, notamment s'agissant des brevets. A ce titre, la lutte contre la contrefaçon est une priorité du Gouvernement et consiste notamment à mettre à disposition des titulaires de droits des procédures efficaces et adaptées aux particularités de la matière telles que la saisie-contrefaçon ou l'injonction de retrait des produits contrefaisants. Les termes « patent trolls », ou « chasseurs de brevets », désignent les personnes qui acquièrent des brevets ou des portefeuilles de brevets sans avoir l'intention de les exploiter, dans le seul but de récupérer de l'argent auprès de tiers en les menaçant d'intenter une action en contrefaçon à leur encontre. Ce faisant, les chasseurs de brevets détournent la finalité du droit de la propriété industrielle. Les règles de droit de la propriété industrielle permettent d'assurer un équilibre entre les titulaires de droits et les autres parties. Ainsi, les textes français ne prévoient pas de mesures que les juges seraient amenés à prononcer de manière automatique. Une marge d'appréciation est laissée à ces derniers afin de leur permettre de prononcer des mesures nécessaires et proportionnées au regard des moyens des parties et des faits qui leur sont soumis. Ce souci émaille également le droit de l'Union européenne et les règles de la juridiction unifiée du brevet. Ainsi, le principe de proportionnalité est rappelé dans les considérants et dans le corps de l'accord relatif à une juridiction unifiée du brevet comme de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle. Par ailleurs, dans sa communication intitulée « Orientations sur certains aspects de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil relative au respect des droits de propriété intellectuelle du 29 novembre 2017 », la Commission européenne a rappelé son attachement à ce principe, ainsi qu'à un usage équilibré du système de protection des droits de la propriété intellectuelle. Il apparaît donc au Gouvernement que les textes actuellement en vigueur sont bien de nature à cantonner l'action préjudiciable des « chasseurs de brevets ». Il reste néanmoins particulièrement attentif à ce que cette situation d'équilibre demeure.
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