M. Sylvain Carrière interroge M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur l'évaluation économique des services écosystémiques. Dans le cadre de l'adaptation au changement climatique et particulièrement au niveau des littoraux, il est essentiel d'effectuer une analyse des écosystèmes présents. Les écosystèmes sont l'ensemble des êtres vivants et ne sont pas réductibles à leurs services rendus à l'humain. La biodiversité est aux abonnés absents dans la balance quand il s'agit de porter un projet. Tout au plus, sa conservation engendre des mesures compensatoires ou un aménagement particulier. Cependant, comment compenser réellement un écosystème détruit quand on n'arrive pas à estimer l'ensemble des services écosystémiques rendus par ce dernier ? Le ministère de l'environnement a mis en place en 2013 l'évaluation française des écosystèmes et services écosystémiques (EFESE) qui vise à évaluer monétairement les services rendus par les écosystèmes. La première mission du groupe d'étude fut de considérer la valeur de la pollinisation faite par les insectes. Ainsi, autour de 10 % de la valeur produite par l'agriculture française dépend entièrement des pollinisateurs. Dès lors, des politiques de conservation des pollinisateurs ont été mis en place, car essentielles pour maintenir l'activité économique. Aujourd'hui encore, la FNSEA met la pression pour maintenir des exceptions d'utilisation, jugeant qu'économiquement il est plus intéressant de continuer à utiliser des néonicotinoïdes que de protéger les pollinisateurs. Cette approche M. le député s'y oppose par nature car elle revient à attribuer une valeur monétaire pour estimer la valeur du vivant, comparable dès lors à tous les biens de consommation qui sont eux aussi évalués de manière similaire. Cependant, c'est l'échelle utilisée par les décideurs dans le cadre d'analyse coûts-bénéfices qui régissent la majorité des décisions. Dès lors, en considérant que le cadre est immuable dans un modèle économique néo-libéral, il est essentiel d'être capable d'estimer dans leur globalité les fonctions et services écosystémiques. L'EFESE travaille là-dessus de manière rigoureuse, avec un comité scientifique. Leur étude sur le littoral et la mer publiée en 2019 a permis de conclure sur plusieurs points essentiels dans la stratégie d'adaptation au changement climatique, la planification écologique. Les écosystèmes littoraux permettent de maintenir les sols, d'atténuer les évènements climatiques extrêmes mais sont aussi des berceaux de biodiversité et des zones de développement des planctons, à la base de la chaîne alimentaire marine. Mais ces fonctions écosystémiques qui peuvent être des services pour la population sont encore mal connues et donc compliquées à préserver. Leur préservation, essentielle pour la résilience du littoral au changement climatique est un sujet d'intérêt général et pourtant laissé en proie à la prédation foncière. Ainsi, dans les conclusions du rapport de l'EFESE on apprend qu'il y a un besoin de connaissances sur l'étendue, les interactions et la biodiversité des écosystèmes mais aussi que la gestion publique doit travailler de manière efficace avec la recherche fondamentale. Enfin, les services rendus par les écosystèmes dépendent de leur santé et de leur capacité à emmagasiner les chocs. L'ensemble de ces services écosystémiques sont au cœur de la stratégie d'adaptation au changement climatique. Ils ne sont que trop peu connus et les experts le disent. Il lui demande donc de créer un cadre de développement de politique publique basée sur les conclusions de la recherche afin d'établir la planification de la patrimonialisation et du développement des écosystèmes côtiers.
Initié en 2012, le programme Efese cherche à éclairer les multiples valeurs associées aux écosystèmes, pour mieux les intégrer dans la prise de décision. Dans ce cadre, le programme a produit des évaluations nationales de services écosystémiques pour chacun des six principaux types d'écosystèmes présents en France (agricoles, forestiers, littoraux et marins, aquatiques continentaux, montagnard et rocheux, et urbains), ainsi que des évaluations locales, ciblées sur certains services écosystémiques en particulier (pollinisation, séquestration du carbone, usages récréatifs en forêt notamment), ou sur certaines espèces sauvages (ongulés sauvages, réintroduction des vautours fauves). Lorsque cela est faisable et pertinent pour la décision, l'Efese fournit également une estimation de la valeur monétaire attachée à certains services écosystémiques, sur la base d'un ensemble varié de méthodes d'évaluation environnementale (facteurs de production, coûts de remplacement, expériences de choix, etc.). C'est par exemple le cas de l'évaluation du service de séquestration du carbone dans les écosystèmes (2019), du service de pollinisation, ou encore du service de récréation en forêt (2020). La nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité pour 2030 s'est donnée comme objectif de renforcer et de valoriser la connaissance sur la biodiversité (objectif 10), et à ce titre, a bien prévu de poursuivre les travaux d'évaluation des services écosystémiques menée dans le cadre du programme EFESE. Ces travaux auront vocation à être « diffusés à l'ensemble de la société pour permettre à chaque acteur de prendre connaissance de la valeur des services rendus par la nature (amélioration de la qualité de l'eau, lutte contre les effets d'îlots de chaleur en ville, etc.) ». Sur la période récente, le programme Efese s'est ainsi engagé dans une deuxième phase, à visée plus stratégique et opérationnelle. Dans ce cadre, l'Efese ambitionne de produire des nouvelles connaissances et outils qui pourront être mobilisés dans des processus de prise de décision. Ainsi, une expérimentation sur la prise en compte des services écosystémiques dans les décisions d'aménagement urbain a été menée de manière probante sur la région Ile-de-France (2020). Dans le cadre de la stratégie nationale pour les aires protégées, le premier plan d'actions prévoit également (mesure 18 de l'objectif 7) : d'élaborer un guide de bonnes pratiques de prise en compte des services écosystémiques dans la gestion des aires protégées, de lancer, dans le cadre d'une expérimentation dans une série d'aires protégées, des programmes visant à analyser les services écosystémiques présents, et à les préserver, valoriser, et restaurer le cas échéant. Enfin, comme prescrit par l'article 302 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, le gouvernement a confié une mission à l'IGF et à l'IGEDD, dont le rapport est attendu début 2023, pour identifier « les moyens d'améliorer l'évaluation de l'impact environnemental et climatique des projets de loi, et proposer une méthodologie permettant d'établir la valeur monétaire des aménités environnementales et des services rendus par les écosystèmes présents sur le territoire national ».
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