M. Nicolas Thierry interroge M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur le décret n° 2022-137 du 5 février 2022 relatif à l'interdiction de la mise à mort des poussins destinés à la production d'œufs de consommation et à la protection des animaux dans le cadre de leur mise à mort en dehors des établissements d'abattage. En janvier 2020, le Gouvernement a fait savoir sa volonté, en partenariat avec l'Allemagne, de mettre rapidement fin au broyage des poussins mâles, pratique inacceptable du point de vue de la protection animale et de développer et mettre en œuvre des alternatives durables au devenir d'environ 90 millions de poussins mâles issus de couvoirs dans les deux pays. Dans un entretien donné à France Inter le 23 novembre 2022, M. Gabriel Attal, ministre de l'action et des comptes publics affirmait encore avoir obtenu « l'interdiction du broyage des poussins mâles ». Pourtant, si l'Allemagne a bien interdit la pratique du broyage et du gazage à compter du 1er janvier 2022, M. le député attire l'attention de M. le ministre sur l'effectivité de la mesure française, prévue pour entrer en vigueur à compter du 1er janvier 2023. En effet, la mise en application de ces mesures, déjà repoussée d'un an en 2022, pourrait se retrouver limitée dans sa portée par des dérogations disproportionnées à son objectif. Dans le décret du 5 février 2022, une première dérogation est accordée pour les poussins destinés à l'alimentation animale, rendant ineffective l'obligation de sexage et l'interdiction de broyage pour toute une partie de l'industrie alimentaire. S'ajoute à cette première dérogation l'exclusion ab initio des canetons femelles de l'industrie du foie gras qui sont absents de la réforme. Pourtant, chaque année, environ 14,5 millions de canetons femelles sont broyés ou gazés dès le premier jour de leur vie au motif que le foie des femelles est indésirable dans la production de foie gras. Plus récemment, en octobre 2022, l'interprofession de l'œuf (CNPO) qui a annoncé être « prête » pour mettre en service, dès le 31 décembre 2022, ses machines d'ovosexage pour éliminer les mâles avant leur éclosion aurait cependant réussi à obtenir une dérogation pour les œufs blancs destinés à être transformés, pour « raison de compétition européenne ». Un motif peu convaincant alors que l'Allemagne, deuxième pays producteur d'œufs en Europe à interdit le broyage et le gazage depuis le 1er janvier 2022. Ainsi, ces œufs qui pourraient représenter pourtant jusqu'à 50 % du total des œufs produits en France (aujourd'hui 15 % d'après le CNPO) se verraient exemptés de l'obligation de sexage qui ne s'appliquerait donc pas non plus aux poussins mâles destinés à cette production. Aussi, il lui demande de bien vouloir faire connaître sa position sur cette nouvelle exemption et de réaffirmer sa volonté de mettre fin à toutes les pratiques de broyage et de gazage de poussins.
En juillet 2021, le Gouvernement a confirmé l'engagement pris en janvier 2020 de mettre fin à l'élimination des poussins mâles dans les filières d'élevage de poules pondeuses destinées à la production d'œufs et ce, de manière progressive sur l'année 2022. Le dispositif est aujourd'hui finalisé : le décret d'application a été publié en février 2022, un calendrier de mise en œuvre sur l'année a été assigné aux filières professionnelles, et un arrêté a été signé le 7 novembre 2022. Faute de valorisation et de débouché économique, 50 millions de poussins mâles d'un jour étaient jusqu'ici broyés chaque année en France dans la filière œufs. Soucieux de mettre fin à cette pratique et de répondre à une forte attente sociétale, le Gouvernement et les filières professionnelles ont travaillé en concertation pour tenir les objectifs fixés. Ainsi, des solutions alternatives peuvent être déployées au sein de la filière ponte : - principalement, le sexage dans l'œuf (ovosexage) permettant d'éliminer dès l'œuf ceux contenant des embryons de sexe mâle ; - l'élevage des frères de poules pondeuses (coquelets), élevage plus impactant pour l'environnement (car plus polluant, demandant plus de ressources alimentaires, plus long et donc plus coûteux à produire) ; - le développement de souches dites « duales », c'est-à-dire produisant des oiseaux pouvant être valorisés en filière ponte pour les femelles, en filière chair pour les mâles. Le décret ne promeut pas une alternative par rapport à une autre. Dans les faits, l'ovosexage étant la solution la plus rapide à mettre en œuvre dans le schéma économique actuel (pas de marché coquelet en France ; la sélection de souches duales n'est pas exclue mais vue comme une solution à moyen et long terme), les couvoirs ont décidé de s'équiper de matériel d'ovosexage. Le Gouvernement s'est alors mobilisé en accompagnant à hauteur de 10,5 millions d'euros (M€) les couvoirs pour mettre en place les machines permettant de déterminer le sexe des embryons dans les œufs. La filière professionnelle s'est également organisée pour mutualiser les surcoûts induits par ces nouvelles technologies par tous les maillons de la filière estimés à 45 M€ chaque année et ainsi répondre à une attente sociétale. En complément le décret prévoit : - une non remise en cause des matériels choisis par les couvoirs pendant 5 ans ; - une contravention pour réprimer les infractions à l'interdiction de la pratique de mise à mort des poussins mâles ; - des cas particuliers pour lesquels l'interdiction d'élimination ne peut pas s'appliquer tels que les protocoles scientifiques ou pour répondre aux enjeux de reproduction, de santé animale ou encore d'alimentation animale. Afin de limiter strictement la poursuite de la mise à mort des poussins pour l'alimentation animale, l'arrêté n'autorise dans ce cadre que la seule méthode de mise à mort par gazage, permettant d'obtenir des poussins entiers, demandés pour nourrir la faune sauvage captive (reptiles, rapaces, etc.). L'élimination par broyage demeure interdite sans exception possible. En outre, ne sont concernés par cette possibilité que les poussins issus de souches dont le sexe de l'embryon ne peut pas être déterminé selon une méthode basée sur la différence de couleur des plumes, soit exclusivement les souches de poules produisant des œufs à coquille blanche et les souches traditionnelles, qui représentent 15 % des poules pondeuses en France (source du comité national pour la promotion de l'œuf). Aussi, tous les œufs issus de poules de souche brune, qui produisent la quasi-totalité des œufs coquilles vendus au consommateur français, proviennent de filières pour lesquelles l'élimination des poussins mâles sera interdite, soit 85 % des effectifs de poules pondeuses en France. La France reste ainsi un des premiers pays au monde, avec l'Allemagne, à mettre fin à l'élimination systématique des poussins mâles en filière ponte. La révision de la législation européenne annoncée en 2020 par la Commission européenne constitue une fenêtre d'opportunité afin d'aller au bout du processus d'interdiction et d'harmoniser les pratiques au niveau européen et éviter toute concurrence déloyale pour les producteurs européens de poules pondeuses.
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