M. Arnaud Le Gall interroge Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la position de la France quant aux refoulements à la frontière, nombreux et violents, dont sont victimes les citoyens et citoyennes d'Haïti, par la République dominicaine. Plus généralement, M. le député souhaiterait savoir comment la France entend se positionner au regard de la situation tragique que traverse Haïti depuis des années. Depuis l'assassinat du Président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021, la situation, déjà déplorable, s'est encore dégradée. Chaque jour, le peuple est un peu plus livré à l'arbitraire des gangs proches de factions du pouvoir et lutte pour défendre ses droits. Les groupes violents détiennent ainsi près de 60 % du territoire de Port-au-Prince sur lesquels ils font régner la terreur. Depuis septembre 2022, ils contrôlent également le terminal pétrolier de Port Prince par lequel transitent 70 % du pétrole consommé sur l'île. Les prix de l'essence ont ainsi connu une hausse de 128 %. Parallèlement à l'explosion du coût de la vie, le contexte sanitaire s'est drastiquement détérioré. Le choléra a fait son retour alors que le pays ne dispose pas des structures nécessaires pour y faire face. Afin d'échapper à la faim et à l'arbitraire des gangs, des milliers d'Haïtiens et Haïtiennes s'exilent vers la République Dominicaine voisine. Or en dépit de cette situation d'extrême urgence, Saint-Domingue expulse massivement malgré les demandes de l'ONU pour surseoir à ces refoulements indignes. En octobre 2022, ce sont près de 14 800 reconduites à la frontière qui ont été prononcées. Pis, le 11 novembre, le Président L. A. Corona a adopté le décret 668-22 autorisant l'expulsion des Haïtiens et Haïtiennes vivant dans les campements de coupeurs de canne à sucre. Près de 200 000 hommes et femmes seraient concernés par ce dispositif. Il renforce l'arrêt 168-13 de 2013 qui, par un mécanisme rétroactif, rend apatrides les Dominicains et Dominicaines d'ascendance haïtienne. Ces mesures sont dénoncées par les ONG de défense des droits humains. Dans ce contexte, le Président haïtien par intérim Ariel Henri, dont les relations avec les gangs sont opaques et opportunistes, a demandé le 7 octobre 2022 une intervention armée des Nations unies à Haïti. Ce faisant, il s'est dérobé à ses engagements car il devait présenter, quelques jours plus tard, devant ces mêmes Nations unies, une feuille de route politique menant à la tenue d'un scrutin. Dans un premier temps, le Conseil de sécurité a répondu en adoptant la résolution 2653. Elle pose un cadre légal permettant de sanctionner les responsables de la violence, notamment Jimmy Cherizier. Connu sous le nom de « Barbecue », ce dernier est à la tête d'un aréopage de gangs appelé « Famille G9 et alliés », auteurs de nombreux massacres ces dernières années. Que les Nations unies mettent en œuvre des outils juridiques pour réprimer les criminels contribuant à la déstabilisation de l'état de droit est évidement souhaitable. En dépit de ses imperfections, l'ONU est la seule organisation universelle garante de la sécurité collective de l'humanité. En revanche, l'intervention militaire ne serait pas satisfaisante. D'une part, elle ne ferait que renforcer Ariel Henri dont le pouvoir est très critiqué par les citoyens et citoyennes. D'autre part, le souvenir des exactions de certains Casques bleus lors de leur intervention consécutive au tremblement de terre de 2010 est encore très vif. La population est donc largement opposée à une telle perspective. Enfin, elle ne propose aucune solution politique et ne ferait qu'internationaliser un état de quasi guerre civile. Mais une troisième voie émerge du peuple haïtien. Elle est aujourd'hui la moins entendue. Fin août 2021, de nombreuses organisations, hommes et femmes haïtiennes, ont formulé « l'Initiative du Montana » qui a recueilli près de 900 signatures de personnalités de l'île. Elle s'appuie sur les revendications sociales des grandes mobilisations citoyennes de 2018 et prévoit la mise en œuvre d'un comité de transition dans le but de réformer les institutions et renouveler la classe dirigeante, afin de tenir des élections libres d'ici deux ans. Quoique difficile et complexe, ce possible chemin vers la paix civile doit être exploité, car il est le fruit de l'initiative du peuple haïtien, en marge des interférences étrangères, étatsuniennes notamment. La France a une dette historique envers ce pays martyr et ce peuple frère. Malgré ses souffrances, le peuple haïtien a trouvé la force de fournir d'immenses intellectuels qui font honneur à la francophonie dans le monde entier. La France ne peut donc rester silencieuse face à une telle situation. Il lui demande ainsi de préciser sa position au regard de l'Initiative du Montana d'une part et de la demande d'intervention armée formulée par un président par intérim dont le soutien populaire est bien maigre, en dehors de ses prébendiers.
La situation en Haïti connaît depuis plus de deux ans une forte détérioration qui présente un caractère multidimensionnel. Cette crise est d'abord politique. Faute d'élections, le Parlement ne siège plus depuis janvier 2020, plongeant Haïti dans un vide institutionnel. L'assassinat du président Jovenel Moïse, en juillet 2021, a contribué à aggraver la situation. Les autorités haïtiennes sont confrontées à une érosion inquiétante de la sécurité. Malgré le rétablissement, le 6 novembre, du contrôle de l'État sur le terminal pétrolier de Varreux, bloqué par de puissants gangs pendant 45 jours, qui a permis la reprise des activités, la situation sécuritaire reste précaire. La police nationale d'Haïti (PNH) peine à juguler l'action des groupes criminels, qui pratiquent extorsions, enlèvements crapuleux, et dont certains sont accusés d'avoir commis des massacres de civils. Les luttes sans merci entre gangs affectent en premier lieu la population civile, victime d'exactions présentant un caractère systématique. Sortir de cette impasse suppose le rétablissement du fonctionnement démocratique des institutions, qui passe par l'organisation d'élections législatives et présidentielles crédibles, réunissant les conditions sécuritaires et techniques permettant la libre participation de tous les citoyens haïtiens. La France, avec ses partenaires, encourage les Haïtiens à conduire un dialogue politique inclusif en vue d'un accord de sortie de crise. C'est le message que nous avons porté à l'occasion des réunions des partenaires internationaux, regroupant, à l'initiative de la France, des États-Unis et du Canada, une vingtaine de pays et organisations internationales depuis novembre 2021. À l'occasion de la dernière rencontre, le 22 novembre 2022, la France a marqué son soutien à la mise en œuvre rapide de la résolution 2653 du Conseil de sécurité des Nations unies instaurant un régime de sanction contre les groupes criminels et souligné la nécessité urgente d'une mobilisation accrue de la communauté internationale dans tous ces domaines, ainsi que dans celui du renforcement des institutions judiciaires. La communauté internationale n'a aucun titre à s'immiscer dans le débat politique inter haïtien. Nous avons pris note de la signature, le 21 décembre 2022, par le gouvernement et nombre de groupes politiques et d'organisation de la société civile, d'un accord intitulé « Consensus national pour une transition inclusive et des élections transparentes » d'ici la fin 2023. Il est important que l'ensemble des sensibilités politiques puisse s'accorder sur une solution consensuelle. C'est le sens des priorités définies par la résolution 2645 du Conseil de sécurité des Nations unies du 15 juillet 2022, qui mentionne la « nécessité pour toutes les parties prenantes haïtiennes de parvenir à un accord urgent sur un cadre pérenne en vue d'un processus politique dirigé par les Haïtiens qui permette d'organiser des élections ». La France se tient prête, en particulier avec les institutions de la Francophonie et avec ses partenaires de l'Union européenne à assister Haïti dans l'organisation des scrutins. En matière de sécurité, la France a renforcé ses programmes de formation de la Police nationale d'Haïti pour accroître son efficacité dans la lutte contre les groupes armés dans le respect de la déontologie attendue de forces de l'ordre dans un État démocratique. Les autorités haïtiennes ont sollicité, le 9 octobre 2022, le déploiement d'une force d'assistance internationale immédiate en vue d'aider la Police nationale d'Haïti. La France se tient prête à en appuyer le déploiement si une telle initiative était adoptée sous le patronage des Nations unies. Nous sommes conscients que la résolution de cette crise est particulièrement complexe dans un contexte de crise humanitaire aigüe dont souffre une population durement éprouvée, vivant majoritairement dans la pauvreté, et qui est de surcroît confrontée à la résurgence du choléra, face à laquelle 850 000 euros d'aide bilatérale d'urgence ont été mobilisés. C'est pourquoi, la France continue d'accroître son aide humanitaire à la population haïtienne, notamment dans le cadre de l'aide alimentaire d'urgence (plus de 8,45 millions d'euros en 2022) et sur le plan du développement (environ 25 millions d'euros en dons par an, sans compter notre contribution aux fonds multilatéraux européens).
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