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Emmanuelle Ménard
Question N° 297 au Ministère de la justice


Question soumise le 26 juillet 2022

Mme Emmanuelle Ménard attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les conséquences des arrêts de la cour de cassation relatifs aux données de connexion pour la lutte contre la délinquance. Le 12 juillet 2022, la Cour de cassation a rendu quatre arrêts tirant les conséquences des décisions rendues par la Cour de justice de l'Union européenne relatives à la conservation des données et l'accès à celles-ci dans le cadre de procédures pénales. En effet, dans plusieurs affaires de meurtre ou de trafic de stupéfiant, des personnes mises en examen ont demandé l'annulation des réquisitions portant sur leurs données de trafic et de localisation délivrées par des enquêteurs agissant en enquête de flagrance sous le contrôle du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d'instruction ainsi que des actes d'exploitation de ces données. La Cour de cassation a confirmé que le procureur de la République, parce qu'il est une autorité de poursuite, ne peut pas être compétent pour ordonner de telles mesures qui sont alors jugées comme « attentatoires à la vie privée ». Les réquisitions visant les données issues de la téléphonie sont donc contraires au droit de l'Union européenne parce que la loi actuelle ne prévoit pas un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante et neutre. Par ailleurs, la Cour de cassation précise que ce même juge ou l'autorité administrative indépendante n'a la possibilité d'autoriser de telles investigations que dans le périmètre de la « criminalité grave », notion qu'elle ne définit que trop vaguement et qui n'obéit à aucune définition dans le droit pénal français. Quand on sait que la téléphonie est l'un des facteurs centraux dans la résolution des affaires - autant à charge qu'à décharge - et qu'elle est utilisée chaque jour par les parquets et les services enquêteurs, l'impression est grande de tomber dans une insécurité qui n'est hélas, pas que juridique. En effet, ces arrêts constituent des obstacles à l'identification des délinquants et des criminels et feront peser sur les juges d'instruction une charge de travail à laquelle ils ne pourront sans doute pas répondre. Face à ce constat, elle lui demande quelles mesures il compte prendre pour permettre à la justice française et aux enquêteurs de pouvoir faire au mieux leur travail en conjuguant le respect du droit européen et la possibilité de se servir de preuves sans alourdir outre mesure les procédures existantes.

Réponse émise le 7 mars 2023

Les éléments de preuves résultant de l'exploitation des données obtenues grâce aux réquisitions délivrées aux opérateurs de téléphonie mobile revêtent une importance majeure pour la manifestation de la vérité dans le cadre des investigations pénales. La question de la conservation et de l'accès de ces données pour les besoins des enquêtes pénales fait l'objet d'une jurisprudence restrictive de la Cour de justice de l'Union européenne depuis 2016, en raison des exigences inhérentes au droit de chacun au respect de sa vie privée. Les arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 juillet 2022 tirent les conséquences des décisions rendues par la Cour de justice de l'Union européenne. D'une part, la Cour de cassation énonce que les données de connexion ne peuvent être obtenues que dans le cadre d'enquête pénales relatives à des infractions d'une certaine gravité. Sur ce point, la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire avait déjà limité une telle possibilité aux enquêtes relatives à une infraction punie d'au moins trois ans d'emprisonnement en application notamment du nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale. L'appréciation du caractère grave de la criminalité par les juridictions est également effectuée au regard de la nature des agissements de la personne mise en cause, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue. D'autre part, la Cour de cassation précise que la délivrance de réquisitions relatives aux données de connexion doit faire l'objet d'un contrôle préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante au sens où l'entend la Cour de justice de l'Union européenne. Or, un tel contrôle, portant notamment sur la nécessité et la proportionnalité des réquisitions, est réalisé par les services du parquet selon les dispositions actuelles du code de procédure pénale relatives à l'enquête préliminaire et de flagrance. La Cour de cassation a toutefois jugé que les éléments de preuve ainsi obtenus ne peuvent être annulés que si une telle irrégularité portait concrètement atteinte aux droits de la personne poursuivie. Cette interprétation permet de limiter les cas dans lesquels la nullité des actes serait encourue et de sauvegarder la plupart des procédures pénales en cours. Dès le mois de juillet 2022, des guides à destination des juridictions pénales ont été diffusés afin d'exposer la portée des décisions de la Cour de cassation et de les accompagner dans la mise en œuvre de leurs conséquences. Par ailleurs, une réflexion approfondie est actuellement menée par les services du ministère afin d'apporter une solution juridiquement robuste et acceptable en pratique permettant de garantir l'efficacité de l'action des magistrats et des services enquêteurs en matière de lutte contre la criminalité.

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