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Ségolène Amiot
Question N° 2103 au Ministère de la justice


Question soumise le 11 octobre 2022

Mme Ségolène Amiot alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'affaire de M. Vincenzo Vecchi avant sa prochaine échéance juridique, à savoir l'audience de la Cour de cassation de Paris du mardi 11 octobre 2022. Le récent arrêt du 14 juillet 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) vient donner une interprétation très restrictive de la condition de double incrimination en abolissant toute limite à l'automaticité du mandat d'arrêt européen (MAE) dans l'espace juridique européen et en annihilant toute protection qu'assurait cette condition. La condition de la double incrimination d'un citoyen permet dans certains cas d'exception de refuser sa remise à l'état émetteur du MAE, dans le cas où l'infraction pénale pour laquelle cette personne est recherchée ou jugée ne constitue pas une infraction pénale dans l'État où celle-ci se trouve. Pour rappel, M. Vincenzo Vecchi a participé aux manifestations contre les décisions du sommet du G8 à Gênes en 2001. Il a été arrêté, comme 9 autres, pour l'exemple, en s'appuyant sur la loi « dévastation et pillage » promulguée sous le régime de Benito Mussolini, permettant de poursuivre n'importe quel manifestant pour « concours moral ». M. Vecchi se trouve dans la situation où la condition de la double incrimination ne s'applique pas puisque 2 des 7 faits pénalement répréhensibles en Italie ne le sont pas en France. À savoir que les 2 faits précédemment cités sont parmi ceux reprochés les plus graves et dont la responsabilité passive reste inconnue dans le droit français. L'arrêt de la CJUE remet en cause les droits et les principes fondamentaux comme le droit de manifester, la garantie à la défense élémentaire en matière pénale comme le respect de la présomption d'innocence ou n'être coupable que des faits que l'on a personnellement commis ou encore le respect du principe de légalité. La France est la patrie des droits de l'Homme depuis 1789 en raison de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, dont de nombreux articles résonnent dans cette affaire. Par le pourvoi en cassation du parquet général de la cour d'appel d'Angers le 7 novembre 2020, le Gouvernement se désolidarise des décisions rendues par son autorité judiciaire, notamment par la cour d'appel d'Angers et la Cour de cassation. Les institutions françaises reposent sur la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la justice. Par deux fois, la justice a refusé l'extradition vers l'Italie. Mme la députée souhaite donc que le ministre de la justice clarifie publiquement la position politique du Gouvernement sur l'affaire. Elle l'interroge sur la possibilité d'un désistement du pourvoi en cassation du parquet général de la cour d'appel d'Angers concernant l'arrêt rendu par la chambre d'instruction sur M. Vincenzo Vecchi.

Réponse émise le 27 décembre 2022

Il convient à titre liminaire de rappeler que la procédure relative à l'exécution du mandat d'arrêt européen, prévue aux articles 695-11 et suivants du code de procédure pénale et transposant la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil de l'Union européenne du 13 juin 2002, est une procédure entièrement judiciarisée. Or, l'article 1er de la loi du 25 juillet 2013 prohibe toute instruction du ministre de la justice aux parquets dans le cadre de dossiers individuels. En outre, la procédure du mandat d'arrêt européen a pour objectif principal la facilitation et l'accélération de la remise de personnes suspectées ou condamnées entre Etats membres de l'Union européenne, au titre du principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales, qui repose sur la confiance mutuelle entre Etats membres. Cet objectif d'efficacité et de célérité n'implique pour autant pas l'absence de contrôle par les autorités judiciaires françaises du respect des droits et garanties qui résultent tant du droit pénal national que, notamment, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce contrôle porte notamment sur le principe de la double incrimination des faits reprochés, encadré par l'article 695-23 du code de procédure pénale. Il dispose que l'exécution d'un mandat d'arrêt européen peut être refusée si le fait faisant l'objet dudit mandat ne constitue pas une infraction au regard de la loi française. Par dérogation au premier alinéa, un mandat d'arrêt européen est exécuté sans contrôle de la double incrimination lorsque les faits visés sont, aux termes de la loi de l'Etat membre d'émission, punis d'une peine d'emprisonnement d'au moins trois ans et inclus dans la liste des 32 catégories d'infractions établie à l'article 2 de la décision-cadre 2002/584/JAI, et listées à l'article 694-32 du code de procédure pénale. La procédure prévoit en outre à l'article 695-31 alinéa 4, que la décision de la chambre de l'instruction peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation, ce qui a en l'espèce été le cas. Ainsi, sur renvoi de la Cour cassation, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Angers a, par arrêt du 4 novembre 2020, refusé la remise de Vincenzo Vecchi aux autorités italiennes. Elle a considéré que pour deux des sept faits qualifiés « d'endommagements » retenus par les juridictions italiennes au titre du délit de dévastation et pillage, la condition de la double incrimination n'était pas constituée. Par arrêt du 26 janvier 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation, saisie sur pourvoi, a renvoyé à la Cour de justice de l'Union européenne trois questions préjudicielles portant, d'une part, sur la portée et les conséquences du contrôle de la double incrimination, et d'autre part, sur l'incidence du principe de proportionnalité des délits et des peines, prévu par l'article 49 paragraphe 3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 14 juillet 2022, a indiqué premièrement qu'une correspondance parfaite n'était pas requise entre les éléments constitutifs de l'infraction concernée dans l'Etat membre d'émission et dans l'Etat membre d'exécution « lorsque de tels faits font également l'objet d'une infraction pénale au regard du droit de l'État membre d'exécution pour laquelle l'atteinte à cet intérêt juridique protégé n'est pas un élément constitutif ». Deuxièmement, et par voie de conséquence, la Cour a considéré qu'il n'était pas possible de refuser d'exécuter un mandat d'arrêt européen émis pour l'exécution d'une peine privative de liberté, lorsque cette peine a été infligée dans l'Etat membre d'émission pour la commission d'une infraction unique composée de plusieurs faits dont seule une partie constitue une infraction pénale dans l'Etat membre d'exécution. Par cet arrêt, la Cour de justice de l'Union européenne relève qu'une interprétation selon laquelle la condition de double incrimination exigerait qu'il existe une correspondance parfaite entre les éléments constitutifs de l'infraction telle que qualifiée dans le droit de l'Etat membre d'émission et ceux de l'infraction prévue dans le droit de l'Etat membre d'exécution, ainsi qu'en ce qui concerne l'intérêt juridique protégé dans les droits de ces deux Etats membres, porterait atteinte à l'effectivité de la procédure de remise, en limitant considérablement les situations dans lesquelles ladite condition pourrait être satisfaite. Ce dossier témoigne à lui seul des nombreux niveaux de contrôles existants opérés à tous les stades de la procédure, permettant par les recours tant internes que supra-nationaux de s'assurer du respect des droits garantis et du respect de la procédure diligentée conformément à la décision-cadre et à sa transposition en droit interne. A la suite de l'arrêt rendu par la CJUE, la Cour de cassation a statué, le 29 novembre 2022, sur la remise de M. Vecchi aux autorités italiennes. La chambre criminelle fait sienne l'analyse faite par la CJUE dans son arrêt du 14 juillet 2022 en considérant que l'infraction de « dévastation et pillage » et ses infractions sous-jacentes, telles que prévues par le droit italien, forment un ensemble indissociable. Dès lors, l'existence d'une infraction similaire dans la législation française suffit à remplir le critère de double incrimination, peu important que les éléments constitutifs de l'infraction ne soient pas exactement identiques en droit italien et en droit français. Par conséquent, la Cour de cassation estime que la chambre de l'instruction ne pouvait refuser la remise de M. Vecchi sur ce fondement, et cela d'autant plus que le caractère éventuellement disproportionné de la peine prononcée dans l'Etat membre d'émission, invoqué par la chambre de l'instruction, ne figure pas parmi les motifs de non-exécution obligatoire ou facultative d'un mandat d'arrêt européen, prévus aux articles 3,4 et 4 bis de la décision cadre 2002/584/JAI. Ainsi, la chambre criminelle casse, dans sa totalité, la décision du 4 novembre 2020 rendue par la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Angers et ordonne un renvoi devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon.

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