Mme Julie Laernoes interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'exécution du mandat d'arrêt européen (MAE) émis à l'encontre de Vincenzo Vecchi par la justice italienne. Lors des manifestations du contre-sommet du G8 à Gênes en 2001, la police avait procédé à d'importantes opérations de répression. Du côté des manifestants, on décompte 350 arrestations, 600 blessés et un mort, tué par un projectile de police. Suite à ces évènements, 10 militants, les « 10 de Gênes », avaient été condamnés à de lourdes peines, allant jusqu'à quinze ans d'emprisonnement. Vincenzo Vecchi a lui été condamné à une peine de douze ans et demi. La justice italienne s'était basée sur une loi datant du code Rocco de 1930, issu du gouvernement Mussolini, qui condamne les « saccages et pillages » et dont l'unique but est de museler toute expression et manifestation politiques. Pour échapper à cette peine disproportionnée et fasciste, Vecchi s'était réfugié en France, où il vit toujours avec sa famille et participe activement à la vie municipale de sa commune. Seize ans plus tard, le chef de la police italienne admettait que certains manifestants avaient été victimes d'« actes de torture ». Malgré ces éléments et le refus d'application du MAE par deux cours d'appel, la Cour de justice de l'Union européenne, sur saisine de la Cour de cassation, a statué que la France ne pouvait s'opposer à l'exécution de ce MAE. Elle lui demande s'il compte agir pour que l'État français ait un droit de regard sur les MAE afin de s'assurer du respect de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la non-application de lois fascistes dans l'arsenal juridique européen.
Il convient à titre liminaire de rappeler que la procédure relative à l'exécution du mandat d'arrêt européen, prévue aux articles 695-11 et suivants du code de procédure pénale et transposant la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil de l'Union européenne du 13 juin 2002, est une procédure entièrement judiciarisée. Or, l'article 1er de la loi du 25 juillet 2013 prohibe toute instruction du ministre de la justice aux parquets dans le cadre de dossiers individuels. En outre, la procédure du mandat d'arrêt européen a pour objectif principal la facilitation et l'accélération de la remise de personnes suspectées ou condamnées entre Etats membres de l'Union européenne, au titre du principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales, qui repose sur la confiance mutuelle entre Etats membres. Ce double objectif d'efficacité et de célérité n'implique pour autant pas l'absence de contrôle par les autorités judiciaires françaises du respect des droits et garanties qui résultent tant du droit pénal national que, notamment, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce contrôle porte notamment sur le principe de la double incrimination des faits reprochés, encadré par l'article 695-23 du code de procédure pénale. Il dispose que l'exécution d'un mandat d'arrêt européen peut être refusée si le fait faisant l'objet dudit mandat ne constitue pas une infraction au regard de la loi française. Par dérogation au premier alinéa, un mandat d'arrêt européen est exécuté sans contrôle de la double incrimination lorsque les faits visés sont, aux termes de la loi de l'Etat membre d'émission, punis d'une peine d'emprisonnement d'au moins trois ans et inclus dans la liste des 32 catégories d'infractions établie à l'article 2 de la décision-cadre 2002/584/JAI, et listées à l'article 694-32 du code de procédure pénale. Si l'Etat d'exécution n'a priori pas de droit de regard sur le contexte dans lequel s'inscrit la création de l'incrimination de l'infraction, le contrôle réalisé dans le cadre de l'exécution du MAE permet néanmoins tout à fait de s'assurer, tant de la double incrimination en droit français, que du respect du droit au procès équitable, des droits garantis notamment par la Charte des droits fondamentaux, comme l'y invite le Considérant (12) de la décision-cadre susvisée : « La présente décision-cadre respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l'article 6 du traité sur l'Union européenne et reflétés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (1), notamment son chapitre VI. Rien dans la présente décision-cadre ne peut être interprété comme une interdiction de refuser la remise d'une personne qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen s'il y a des raisons de croire, sur la base d'éléments objectifs, que ledit mandat a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle, ou qu'il peut être porté atteinte à la situation de cette personne pour l'une de ces raisons ». Ainsi, quand une autorité judiciaire d'exécution dispose d'éléments attestant d'un risque réel de traitement inhumain ou dégradant des personnes dans l'État requérant, elle est tenue d'apprécier l'existence de ce risque lorsqu'elle doit décider de la remise d'une personne vers cet État. Elle doit à ce titre se fonder sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés. Ces éléments peuvent résulter, notamment, de décisions judiciaires internationales, telles que des arrêts de la Cour EDH, de décisions judiciaires de l'État tiers requérant ainsi que de décisions, de rapports et d'autres documents établis par les organes du Conseil de l'Europe ou relevant du système des Nations unies. La procédure prévoit en outre à l'article 695-31 alinéa 4, que la décision de la chambre de l'instruction peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation, ce qui a en l'espèce été le cas. Ainsi, sur renvoi de la Cour cassation, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Angers a, par arrêt du 4 novembre 2020, refusé la remise de Vincenzo VECCHI aux autorités italiennes. Elle a considéré que pour deux des sept faits qualifiés « d'endommagements » retenus par les juridictions italiennes au titre du délit de dévastation et pillage, la condition de la double incrimination n'était pas constituée. Par arrêt du 26 janvier 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation, saisie sur pourvoi, a renvoyé à la Cour de justice de l'Union européenne trois questions préjudicielles portant, d'une part, sur la portée et les conséquences du contrôle de la double incrimination, et d'autre part, sur l'incidence du principe de proportionnalité des délits et des peines, prévu par l'article 49 paragraphe 3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 14 juillet 2022, a indiqué premièrement qu'une correspondance parfaite n'était pas requise entre les éléments constitutifs de l'infraction concernée dans l'Etat membre d'émission et dans l'Etat membre d'exécution « lorsque de tels faits font également l'objet d'une infraction pénale au regard du droit de l'État membre d'exécution pour laquelle l'atteinte à cet intérêt juridique protégé n'est pas un élément constitutif ». Deuxièmement, et par voie de conséquence, la Cour a considéré qu'il n'était pas possible de refuser d'exécuter un mandat d'arrêt européen émis pour l'exécution d'une peine privative de liberté, lorsque cette peine a été infligée dans l'Etat membre d'émission pour la commission d'une infraction unique composée de plusieurs faits dont seule une partie constitue une infraction pénale dans l'Etat membre d'exécution. A la suite de l'arrêt rendu par la CJUE, la Cour de cassation a statué, le 29 novembre 2022, sur la remise de M. Vecchi aux autorités italiennes. La chambre criminelle fait sienne l'analyse faite par la CJUE dans son arrêt du 14 juillet 2022 en considérant que l'infraction de « dévastation et pillage » et ses infractions sous-jacentes, telles que prévues par le droit italien, forment un ensemble indissociable. Dès lors, l'existence d'une infraction similaire dans la législation française suffit à remplir le critère de double incrimination, peu important que les éléments constitutifs de l'infraction ne soient pas exactement identiques en droit italien et en droit français. Par conséquent, la Cour de cassation estime que la chambre de l'instruction ne pouvait refuser la remise de M. Vecchi sur ce fondement, et cela d'autant plus que le caractère éventuellement disproportionné de la peine prononcée dans l'Etat membre d'émission, invoqué par la chambre de l'instruction, ne figure pas parmi les motifs de non-exécution obligatoire ou facultative d'un mandat d'arrêt européen, prévus aux articles 3,4 et 4 bis de la décision cadre 2002/584/JAI. Ainsi, la chambre criminelle casse, dans sa totalité, la décision du 4 novembre 2020 rendue par la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Angers et ordonne un renvoi devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon.
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