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Arnaud Le Gall
Question N° 16582 au Ministère des ministère de l’Europe et des affaires étrangères (retirée)


Question soumise le 26 mars 2024

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M. Arnaud Le Gall alerte M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur le risque d'anéantissement des Shompen, peuple tribal des îles Nicobar qui demeure, à ce jour, majoritairement non-contacté. En effet, le gouvernement indien de M. Modi a annoncé vouloir aménager cet archipel et notamment Grande-Nicobar sur laquelle résident près de 300 chasseurs-cueilleurs shompen dont près des deux-tiers vit sans contact avec le monde extérieur. Les Nations unies reconnaissent par ailleurs le caractère unique du très riche écosystème local qui abrite 650 types de végétaux et 1 800 espèces animales. Le projet porté par le Premier ministre indien va radicalement transformer l'île. Il consiste en la construction d'un port de transbordement, d'une ville, d'un aéroport international, d'une centrale électrique, d'une base de défense ainsi que d'un parc d'activités industrielles. M. Modi souhaite également développer un tourisme de masse dans ces zones naturelles préservées. Enfin, près de 650 000 personnes seront déplacées d'Inde continentale sur l'île pour mener ces travaux et s'y établir - soit un accroissement démographique de 8 000 % et un investissement d'environ 9 milliards de dollars. Depuis 2014, ce n'est pas la première fois que le gouvernement tente d'investir de façon autoritaire ce territoire qu'il administre directement, au péril des populations autochtones et de l'environnement. M. Modi entend faire de cette zone une « Hong Kong indienne » et un pivot sécuritaire au large du golfe du Bengale, dans l'Océan indien. Ces aménagements gigantesques menacent la survie-même des populations locales non-contactées. Leur mise en relation avec des maladies contre lesquelles ils ne sont pas immunisés leur sera fatale, sans compter les risques encourus de sombrer dans la dépression sévère, l'alcoolisme ou la prostitution, à l'instar par exemple de ce qui a été observé lors de l'arrivée des colons au XVe siècle en Amérique latine. De fait, certaines ONG emploient le terme de « colons » pour qualifier les Indiens qui seront envoyés sur les îles. Sur le fond, ce projet pharaonique est hérité de l'ancien monde. Il repose sur la bétonisation et la mise en exploitation d'écosystèmes rares cruciaux à la survie de l'espèce humaine. En établissant une base militaire dans l'Océan indien, il est aussi guidé par la volonté de l'Inde, depuis 1947, d'être le gendarme de la région. Cette attitude a historiquement suscité la crainte de ses voisins directs et par conséquent leur rapprochement avec la Chine. En Inde, d'anciens fonctionnaires, des militants, des avocats et de simples citoyens ont adressé une lettre ouverte à la commission en charge des tribus répertoriées (« Scheduled Tribes ») pour alerter sur la situation. Au niveau international, près de 40 scientifiques de 13 pays différents ont adressé un courrier à la Présidente, Droupadi Murmu, pour l'alerter des risques en cours pour les Shompen et une pétition est actuellement ouverte avec plus de 10 000 signataires à ce jour. Dès lors que, dans la déclaration commune publiée fin janvier 2024 à l'issue de la visite d'État d'Emmanuel Macron en Inde, Paris et New Delhi ont « réaffirmé leur volonté de surmonter ensemble les défis interdépendants que sont le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution », M. le député souhaiterait savoir si le gouvernement français va officiellement émettre une critique sur ce projet pharaonique. Tout d'abord, par essence, il contrevient aux droits humains en portant le risque de destruction d'une population. La Convention de Rome, dont la France est signataire, oblige à se saisir de cette question. Ensuite, il va à rebours des engagements écologiques affichés par le Président français - et réaffirmés dans la déclaration commune. Enfin, la France n'a aucun intérêt stratégique à reprendre à son compte une stratégie dite « Indopacifique » conçue par les États-Unis d'Amérique comme un endiguement de la Chine. Présente dans cette région du monde, la France doit y adopter une politique de non-alignement conforme à ses intérêts. En ultime ressort, il ne s'agit pas de s'ingérer dans les affaires internes d'un pays, mais bien de rappeler l'existence d'un intérêt général humain supérieur supposant notamment de protéger les biens communs de l'humanité. La préservation de l'écosystème de Grand-Nicobar ainsi que de sa population tribale relève bien de cette catégorie. Historiquement, la doctrine et la pratique par l'Union indienne d'une politique étrangère dite « non-alignée » en fait un partenaire de premier plan pour un pays qui, à l'instar de la France, doit également jouer la carte du non-alignement entre des alliances plus ou moins militarisées en plein reconfiguration dans le présent contexte de fragmentation de la mondialisation. Ceci est d'autant plus vrai dans la zone dite « Indopacifique » en proie à des contentieux régionaux au long cours, auxquels se rajoutent des tensions internationales d'une nouvelle nature découlant des rivalités de puissance sino-étatsuniennes. Toutefois, les dérives autoritaires, identitaires et ici, écocides, de l'actuel Premier ministre ne sauraient être absoutes en silence. Par conséquent, en tant « qu'amie », puisque c'est ainsi qu'Emmanuel Macron qualifie l'actuel dirigeant d'extrême-droite hindouiste, la France s'honorerait à faire part de son inquiétude contre ce projet dénoncé par des spécialistes et des citoyens, en Inde, comme à l'international.

Retirée le 11 juin 2024 (fin de mandat)

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