M. Hadrien Clouet attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur l'essor des dérives sectaires en ligne. Les récentes crises sanitaires et écologiques plongent plusieurs des concitoyennes et concitoyens dans une peur grandissante de l'avenir et accroissent le sentiment de dépossession de soi. Dans ce contexte, de nombreux groupements ou individus exploitent ces craintes. Ils assoient ainsi leur emprise mentale et, parfois, physique. Si le vocabulaire actuel des dérives sectaires tend à éliminer le lexique religieux, c'est pour y substituer des expressions pseudo-scientifiques fondées sur des dogmes ou des spiritualités - tout en bâtissant un écosystème numérique partagé avec des intégristes religieux fascistes, à l'image de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X. Ce phénomène n'est bien entendu pas nouveau. Il a fait l'objet de rapports parlementaires et de lois, il est traité en commissions et relève d'un travail incessant et quotidien de la Miviludes ou des associations d'aides aux victimes de ces dérives (UNADFI, GEMPPI et tant d'autres). Cependant, les outils des dérives sectaires sont en train de muter au rythme de la numérisation, compliquant l'application de l'article 223-15-2 du code pénal. Désormais, le gourou, en étant doté d'une caméra et d'une connexion internet, dispose d'une audience conséquente, de plusieurs milliers voire de centaines de milliers « d'adeptes » devenus des abonnés. L'absence de groupe physique et de lieu de réunion complique l'identification des dérives par les familles de victimes ou les associations. Le basculement vers une e-médecine, hébergée par des plateformes comme Doctolib ou Medoucine où regorgent « naturopathes », « exorcistes », « mediums » ou « thérapistes quantiques », alimente ce phénomène. La lutte contre les pratiques sectaires se retrouve déléguée à des opérateurs privés et donc tributaire des croyances personnelles et des moyens attribués par leurs actionnaires et dirigeants. Les abus de faiblesse sont alors plus difficilement détectables : les ressources financières proviennent avant tout de la monétisation de vidéos, de la vente de programmes divers et variés ou de matériel en tout genre (extracteur de jus, huiles essentielles « maison » ...) ne demandant pas d'investissement conséquent de la part de l'adepte. Les conseils « bien être » dispensés par ces individus frôlent souvent l'exercice illégal de la médecine et placent les adeptes dans un parcours de soin dangereux. Ceux-ci sont régulièrement affaiblis, rendus malades, blessés ou en danger de mort. Le résultat sur les victimes et la société tout entière est délétère : endoctrinement favorisé par les « tunnels » des algorithmes de plateforme vidéo, arrêt éventuels de traitements, perte de confiance dans les institutions médicales et scientifiques, isolement au sein des structures familiales. Les « adeptes-abonnés » forment une communauté soudée, sans aucun lien physique avec le gourou, qu'ils sont pourtant prêts à défendre avec acharnement dans des « raids numériques » visant toute personne critiquant leur dirigeant. Face à l'importance de ce phénomène, qui engendre une augmentation sensible des saisines de la Miviludes en la matière, M. le député interroge M. le ministre sur les moyens prévus pour lutter contre ces nouvelles formes de dérives sectaires sur internet, tant de manière préventive que répressive. La Miviludes disposera d'une rallonge budgétaire permettant d'assurer une lutte permanente sur internet, en lien avec les autres ministères concernés et à combien s'élèvera-t-elle le cas échéant ? Le Gouvernement envisage-t-il la mise en place d'un nouvel arsenal législatif pour lutter contre les « cyber-gourous » ? Comment compte-t-il agir pour cesser le remboursement par les mutuelles ou le financement par le compte CPF de « coaching de vie », « naturopathie », « réflexologie » ou autres pratiques dites « alternatives » ? Facilitera-t-il les possibilités de démonétisation contrainte de vidéos aux propos engageant une dérive sectaire ? Enfin, si les termes relatifs aux médecins et à la médecine sont encadrés, il lui demande s'il est prévu d'encadrer ou d'interdire les termes relatifs à la « thérapie » lorsque ceux-ci ne sont pas du ressort de la médecine.
Dans un contexte de sortie de crise sanitaire qui demeure marqué par de fortes instabilités sociales et économiques, la MIVILUDES fait face à un accroissement de son activité (4020 saisines en 2021) et à une mutation du phénomène sectaire. Alors que ce dernier a longtemps été le fruit de l'action prédatrice de groupes structurés et identifiés, les nouvelles technologies ont permis à une nébuleuse de charlatans de développer leurs propres dogmes, communautés et commerces de remèdes miracles en tout genre. La Mission interministérielle maintient une vigilance maximale sur le sujet, conformément aux attributions qui lui sont dévolues par le décret n° 2002-1392 du 28 novembre 2002. Pour ce faire, l'intégration de la MIVILUDES au sein du SG-CIPDR, et plus globalement du ministère de l'Intérieur et des Outre-mer, a marqué un important renouvellement de sa coopération avec des services de l'Etat impliqués au premier plan dans la lutte contre les dérives sectaires. La MIVILUDES ne disposant pas de pouvoirs d'enquête, il est important qu'elle puisse coupler sa riche expertise acquise au cours des vingt dernières années à des informations fiables sur la réalité du terrain. Elle les obtient alors indirectement par les services de police (SCRT et CAIMADES) et de gendarmerie (GNVLDS, SDAO, PJGN, SCRC). De surcroît, la Mission interministérielle a été dotée de moyens sensiblement accrus, ce qui a ainsi permis le lancement en 2021 d'un appel à projets d'un million d'euros pour financer des initiatives nationales et locales. Par ce dispositif, la MIVILUDES entend endiguer ces nouvelles formes de dérives sectaires. Renouvelé en 2022, il permettra de mobiliser de nombreux acteurs associatifs et universitaires pour maximiser l'impact de la Mission interministérielle et faciliter la répression contre les « cyber-gourous ». A cet égard, l'abus de faiblesse prévu par l'article 223-15-2 du code pénal n'est pas la seule infraction qui peut être retenue contre les agissements en ligne de ces individus. Pratiques commerciales trompeuses, exercice illégal de la médecine, diffamation ou infractions fiscales sont autant d'incriminations qui peuvent trouver à s'appliquer. Similairement, le code de procédure pénale prévoit déjà des techniques d'enquête adaptées à internet, en encadrant les investigations sous pseudonymes aux articles 230-46 et suivants. La mobilisation contre les dérives sectaires doit impliquer tous les partenaires possibles, y compris ceux du secteur privé. En ce sens, la MIVILUDES est disposée à échanger avec toutes les plateformes numériques qui peuvent être amenées, malgré elles, à mettre en avant des individus responsables de dérives sectaires. C'est dans cette optique qu'ont eu lieu plusieurs réunions avec le site Doctolib et que des propositions d'encadrement ont pu être discutées. A ce jour, la MIVILUDES n'a pas encore eu d'échanges similaires avec les plateformes hébergeant des vidéos véhiculant une dynamique sectaire. Pour autant, la Mission interministérielle se tient évidemment prête à débattre de ces enjeux avec tous les partenaires concernés, notamment de la question de la démonétisation des vidéos. Une telle mesure ne serait alors concevable que de manière très encadrée et proportionnée, dans un strict respect de la liberté de conscience et d'expression. Par ailleurs, le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer entend l'enjeu relatif au remboursement par les mutuelles et au financement par le CPF des pratiques dites « alternatives ». Toutefois, il revient au ministère de la Santé et de la Prévention, seul compétent en la matière, d'envisager la possibilité d'un arrêt de tels remboursements et financements. La MIVILUDES est particulièrement investie dans la lutte contre les dérives sectaires observées dans le cadre des pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, qui ne cessent de croitre. Le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer conçoit donc l'importance de l'encadrement des termes relatifs à la « thérapie » lorsque ceux-ci ne sont pas du ressort de la médecine. Néanmoins, c'est également au ministère de la Santé et de la Prévention qu'il revient d'envisager cette question, celle-ci ne faisant pas partie des attributions dévolues à la MIVILUDES. Enfin, des assises nationales dédiées aux dérives sectaires ont été organisées les 9 et 10 mars 2023, sous le patronage de la secrétaire d'Etat chargée de la Citoyenneté, afin de renforcer encore la lutte contre les dérives sectaires et l'accompagnement des victimes.
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