Mme Amélia Lakrafi interroge M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur le contenu et les contours de la future loi de programmation dédiée aux différents champs de compétence de son ministère. Dans la perspective de cette réforme, elle souhaite d'ores et déjà attirer son attention sur la nécessité d'engager une refonte ambitieuse de la politique française de délivrance des visas et des modalités d'instruction des demandes, en particulier pour ce qui concerne les populations africaines, l'Afrique étant tout à la fois le continent sur lequel il y a le plus grand nombre de pays soumis à visa pour l'entrée en France et là où le taux de refus demeure le plus important. Malgré quelques avancées organisationnelles enregistrées au cours de ces dernières années, notamment grâce à l'externalisation du recueil des demandes, mises en place pour faire face à l'explosion du nombre de dossiers et l'accroissement des mobilités, des difficultés très fortes, qui nuisent à l'image de la France, restent à déplorer. C'est un constat qu'elle a pu dresser directement sur le terrain, à chacun de ces déplacements dans les pays de sa circonscription et plus singulièrement bien sûr ceux d'Afrique. Ces difficultés sont d'ordre divers. Tout d'abord, les délais de prise de rendez-vous pour le dépôt de la demande peuvent atteindre jusqu'à plusieurs mois dans les périodes les plus tendues, ce qui n'est pas compatible avec les besoins des requérants, qu'il s'agisse de particuliers, de talents, d'étudiants, d'entrepreneurs ou de salariés devant voyager pour des raisons professionnelles. Cette situation, qui s'est faite ressentir de manière particulièrement aiguë au printemps et à l'été 2022, expose de surcroît les postes consulaires à une très grosse pression en matière de charge de travail et d'expression du mécontentement des usagers. Par ailleurs, la même procédure est imposée à tous les demandeurs de visa, sans distinction des spécificités des demandes. Ainsi, les requêtes de personnes ayant eu déjà plusieurs délivrances de visa et dont le séjour en France n'a jamais présenté de problème suivent le même circuit que celles des primo-requérants. Il en va ainsi de même pour les demandes de visa de conjoints de Français, qui présentent pourtant des gages sérieux, comme dans le cas de couples en concubinage depuis plusieurs années, avec enfants. Cet excès procédural contribue directement et inutilement, selon Mme la députée, à la saturation du système dans son ensemble. De plus, le taux de refus atteint des proportions colossales dans certains pays, tout particulièrement en Afrique, tel qu'elle le soulignait précédemment, et ce sans que les justifications opposées (qui demeurent très floues et vagues) ne permettent de rectifier le tir et d'améliorer son dossier pour une future demande. Cela a deux conséquences dommageables : un sentiment de discrimination grandissant qui altère l'image de la France auprès des populations et des pays concernés et le non-respect des objectifs d'attractivité de la France pourtant portés par le Président de la République. Sans méconnaître les enjeux de maîtrise de flux migratoires et de prévention du risque sécuritaire qui sous-tendent cette politique de visas, Mme la députée plaide en faveur d'une approche totalement renouvelée et plus positive dans ce domaine et souscrit pleinement au rapport des députés Sira Sylla et M'Jid El Guerrab de 2021 qui préconisait que les visas deviennent « un véritable instrument au service de l'attractivité de la France ». Cette perceptive doit à son sens inclure l'amélioration du taux de délivrance et du vécu du demandeur. Elle souhaite ainsi savoir s'il entend bien traduire cet objectif que le Président de la République a qualifié de « révolution de la mobilité » dans sa future réforme et signale sa disponibilité pour travailler sur ces questions.
Entre 2012 et 2019, nos postes consulaires ont connu une progression constante et forte de la demande de visas, passée de 2 613 015 demandes en 2012 à 4 302 537 demandes en 2019, soit une augmentation de 64%. Si la crise sanitaire mondiale liée à la COVID a eu un impact considérable, avec une baisse très marquée de la demande de visas (985 183 demandes en 2021, soit -135% par rapport à 2019), elle a créé des défis nouveaux avec de fortes disparités au niveau mondial et un important effet de rattrapage en 2022 : avec 1 524 077 demandes cumulées sur 8 mois, l'activité en 2022 est ainsi en hausse de 273% par rapport à la même période en 2021. Ces évolutions contrastées peuvent générer des phénomènes de délai, de façon localisée et temporaire. En prenant l'exemple de l'ensemble des consulats présents dans des pays d'Afrique, la moyenne des délais de rendez-vous s'établit à 14,7 jours pour les visas de court séjour comme pour les visas de long séjour, ce qui ne présente pas de différence marquée par rapport aux délais observés en 2017 (respectivement 16,2 jours et 10,3 jours pour les visas de court et de long séjour). A certaines périodes de l'année toutefois, ces délais peuvent s'allonger, notamment du fait de la forte saisonnalité des demandes de visas pour tourisme ou études en France. Nous sommes également confrontés au rôle néfaste des officines qui perturbent la prise normale de rendez-vous. Le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer et le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères attachent une importance particulière à la qualité de l'accueil et de l'information des demandeurs de visa, et veillent à tirer le meilleur parti des moyens humains affectés au traitement de ces demandes. C'est ainsi qu'a été mis en œuvre, depuis 2007, un programme d'externalisation de la constitution des dossiers de visas, dans les pays où la demande de visas est la plus forte. Le dispositif et ses résultats ont été salués par la Cour des Comptes dans son rapport annuel de 2016. Dans ce cadre, de nombreuses mesures ont été mises en œuvre pour apporter davantage de flexibilité tout en maintenant le niveau des contrôles : délivrance de visas à entrées multiples (article 24.2 du code communautaire des visas) ; conservation des empreintes digitales pendant une durée de 59 mois afin de pouvoir les réutiliser ou de se faire représenter par un tiers, lors d'une nouvelle demande ; solution permettant aux étudiants de numériser leurs pièces justificatives lors de leur demande de visa en ligne sur le site France-Visas (2021) ; possibilité de valider les titres de séjour par les détenteurs de visas de long séjour valant titre de séjour sur le portail de l'ANEF ; mise en place du prépaiement pour éviter les rendez-vous manqués et libérer au maximum les créneaux de rendez-vous préemptés, dans certains pays, par des officines privées. S'agissant du taux de refus, il convient tout d'abord de souligner que l'augmentation très importante des demandes de visas entre 2012 et 2019 s'est accompagnée d'une progression forte du nombre de visas délivrés, passés de 2 311 260 en 2012 à 3 545 829 en 2019, soit une hausse de 53%. Cette augmentation en volume doit être rappelée pour bien comprendre l'évolution du taux de refus global, passé de 9,7% en 2012 à 20,9 % en 2020. A la forte croissance de la demande de visas, se sont ajoutés des phénomènes préoccupants comme le développement de la fraude documentaire ou le manque de coopération en matière de réadmission, qui pèse nécessairement sur notre évaluation du risque migratoire. Cette évolution n'est d'ailleurs pas la même partout, comme le montrent plusieurs pays africains où une baisse importante du taux de refus a été observée au cours des cinq dernières années (notamment au Burundi, au Cameroun, en République centrafricaine, aux Comores et en Côte d'Ivoire). L'amélioration du processus de délivrance des visas a récemment fait l'objet d'un rapport confié à M. Paul Hermelin. En lien avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, le ministère de l'Intérieur et des Outre-Mer travaille à la mise en oeuvre de ses recommandations.
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