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Nicolas Thierry
Question N° 15339 au Ministère du ministère de la justice


Question soumise le 20 février 2024

M. Nicolas Thierry interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la prescription des agressions et des crimes sexuels commis sur les enfants. Le rapport de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles (CIIVISE), rendu en novembre 2023, indique qu'en France 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, soit un enfant toutes les trois minutes. Le Conseil de l'Europe fait état d'un enfant sur cinq concerné par ces violences, ce qui représente un taux alarmant d'agressions et de crimes. Il est crucial de rappeler que 50 % de ces victimes font une tentative de suicide. L'amnésie traumatique est une réaction psychologique face à un choc et un état de stress intense. Le cerveau fige alors les souvenirs traumatisants comme mécanisme de survie, les rendant inaccessibles pendant des périodes allant parfois jusqu'à des décennies. Selon la CIIVISE, un tiers des victimes traversent cette amnésie traumatique. Certains adultes parviennent à retrouver ces souvenirs parfois après 60 ans, ce qui souligne la persistance et la gravité de ce phénomène. La prescription des crimes sexuels représente alors un obstacle majeur à l'accès à la justice et favorise l'impunité des agresseurs et des criminels. En août 2018, la loi a évolué et la période de prescription a été étendue de 20 à 30 ans pour les crimes sexuels sur mineurs, mais cela reste insuffisant face à la réalité de l'amnésie traumatique. M. le député souligne également l'exemple récent du témoignage et de la plainte de Judith Godrèche contre Benoît Jacquot. Aujourd'hui, ce récit résonne fortement pour de nombreuses survivantes et survivants d'agressions sexuelles et d'inceste pendant leur enfance, ainsi que pour une grande majorité de l'opinion publique. Il permet de mettre en lumière de manière plus générale le temps parfois nécessaire pour que certaines victimes réalisent et comprennent leur histoire. C'est pourquoi il souhaite savoir si le Gouvernement envisage de rendre imprescriptibles les agressions et les crimes sexuels sur les enfants, conformément à la recommandation de la CIIVISE.

Réponse émise le 21 mai 2024

La lutte contre les infractions sexuelles commises au préjudice des mineurs est une priorité du Gouvernement. Depuis 2017, l'action du ministère de la justice a consisté à renforcer la lutte contre les violences sexuelles commises au préjudice de personnes majeures ou mineures. Cette priorité s'est traduite notamment par les lois du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. Ces lois ont conduit à des évolutions significatives de notre arsenal législatif en allongeant le délai de prescription de vingt à trente ans pour les crimes sexuels commis sur des mineurs. Les victimes bénéficient désormais d'un délai plus important pour dénoncer les faits qu'elles ont subis lorsqu'elles étaient mineures. La répression des viols et autres abus sexuels est ainsi renforcée. La prescription, qui ne commence par ailleurs à courir qu'à compter de la majorité des victimes d'infractions sexuelles, peut ainsi être reportée jusqu'aux 48 ans de la plupart d'entre elles. La loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes, délits sexuels et de l'inceste a également introduit le mécanisme de la « prescription prolongée » pour les infractions de viols, d'agressions et d'atteintes sexuelles imposées par un même auteur sur plusieurs victimes mineures. Le délai de prescription d'une première infraction est ainsi prolongé jusqu'à la date de prescription d'une infraction ultérieure commise par un même auteur à l'encontre d'un autre mineur. Dès lors, si une personne commet un nouveau viol sur un autre mineur, la prescription du premier crime est prolongée jusqu'à la date de prescription du second, de sorte que les deux crimes se prescrivent à la même date. En outre, le régime de la connexité a été amélioré. Les viols, agressions sexuelles ou atteintes sexuelles commis par le même auteur à l'encontre de plusieurs victimes mineures étant considérés comme connexes, un acte interruptif de prescription concernant l'un de ces faits emportera la même conséquence à l'égard des autres. La prescription des infractions sexuelles commises sur des mineurs est ainsi prolongée. La mobilisation du ministère de la Justice pour renforcer la lutte contre les infractions sexuelles s'est également traduite par la diffusion de plusieurs circulaires et dépêches. A cet égard, dans le prolongement du mouvement de libération de la parole des victimes, le garde des Sceaux a, par une dépêche du 26 février 2021, invité les procureurs généraux et procureurs de la République à ouvrir systématiquement une enquête préliminaire en cas de révélation de faits anciens de nature sexuelle, même susceptibles d'être prescrits, dont les finalités sont multiples. De telles enquêtes visent notamment à permettre la réalisation d'investigations afin de découvrir, l'existence d'autres victimes pour lesquelles les faits ne seraient pas prescrits, voire pour lesquelles seule l'enquête serait de nature à révéler les faits dont elles continueraient à souffrir. Par ailleurs, le Gouvernement œuvre à favoriser le recueil de la parole des enfants victimes. La circulaire du 28 mars 2023 relative à la politique pénale en matière de lutte contre les violences faites aux mineurs invite les procureurs généraux et les procureurs de la République à porter une attention particulière au recueil de la parole du mineur grâce au déploiement des unités d'accueil pédiatriques sur l'ensemble du territoire national avec 145 UAPED déployés ou en cours de construction. Ces unités offres un cadre sécurisé pour recueillir la parole des victimes mineures au sein de locaux adaptés disposant de ressources soignantes spécialisées. Ces avancées traduisent la volonté du ministère de la justice de protéger les victimes et de garantir un processus judiciaire complet mais non déceptif. L'allongement des durées de prescriptions ne doit pas conduire à une ineffectivité de la sanction pénale imputable à l'inévitable dépérissement des preuves.

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