M. Hadrien Clouet appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur la prolifération des « dark kitchens » ou « restaurants virtuels » dans le pays. Il s'agit de cuisines fantômes, exclusivement destinées à la livraison et sans accueil en salle. Depuis le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, plus de 1 500 établissements de ce type sont apparus. Le plus récent est situé à Toulouse, dans le quartier des Chalets, où un hangar de 400 m² accueille 12 compartiments de cuisines. Ces usines alimentaires ubérisées génèrent une série de problèmes. D'abord, n'ayant besoin ni de salle de service, ni d'employés, elles engagent une concurrence déloyale vis-à-vis des restaurants traditionnels. À terme, elles provoquent la fermeture de nombreux établissements de restauration en salle, menaçant l'économie locale et le lien social. Dans l'immédiat, elles multiplient les nuisances sonores et olfactives pour les riverains, ainsi que les émissions carbonées. Cela ne profite même pas aux coursiers, qui sont des salariés déguisés sans couverture sociale, bénéficiaires d'une rémunération variable d'un jour à l'autre et victimes régulières d'accidents de circulation. En revanche, les « dark kitchens » favorisent des plateformes anglo-saxonnes qui s'affranchissent de l'impôt et développent des algorithmes de recommandation privés discrétionnaires, qui se nourrissent de la trace numérique des utilisateurs, constituant un usage permanent et non consenti des données personnelles. Aussi M. le député demande-t-il à M. le ministre comment il va donner suite aux vœux émis à l'unanimité par de nombreuses collectivités, à l'instar du conseil de Toulouse Métropole le 23 juin 2022 et du conseil départemental de la Haute-Garonne le 28 juin 2022, visant à réguler étroitement le secteur. Le ministre est-il favorable à : éliminer les « dark kitchens » hors de certaines zones rigoureusement définies ? Engager une coopération avec les fédérations syndicales de l'hôtellerie-restauration, du commerce et de l'industrie agro-alimentaire pour encadrer le fonctionnement des « dark kitchens » ? Contrôler systématiquement la conformité des nouvelles installations aux règles d'urbanisme et à la législation en matière d'hygiène et de salubrité ? Classer les « dark kitchens » comme de « l'industrie » plutôt que de l'« artisanat et commerce de détail » au titre du code de l'urbanisme (art. R151-28), en basant la distinction sur la taille de l'activité, l'accueil réservé aux consommateurs ou le pourcentage de chiffre d'affaires effectué en consommation sur place ? Appliquer en conséquence un taux de TVA normal plutôt que réduit ? Réformer la fiscalité des entreprises pour astreindre à l'impôt les géants du numérique et des plateformes ? Il lui demande ses intentions à ce sujet.
Les « dark kitchens » désignent les cuisines qui préparent des plats et livrent les clients à domicile grâce à des plateformes en ligne. Ainsi, une multitude d'enseignes, proposant leurs produits uniquement en livraison, a émergé depuis cinq ans, et en particulier depuis 2020. Le Gouvernement est bien conscient que la crise sanitaire a opéré une accélération notable de l'activité des « dark kitchens ». Si ces entreprises n'ont pas de réglementation propre, elles sont pour autant soumises à des règles strictes, comme tout exploitant d'un établissement produisant, manipulant ou entreposant des denrées d'origine animale destinées à la consommation humaine. Ainsi, une « dark kitchen » doit déclarer son établissement auprès de la direction départementale de protection des populations (DDPP). En matière d'hygiène, ces structures répondent aux mêmes obligations issues de la réglementation communautaire (Paquet Hygiène) que les restaurants. Par ailleurs, pour vendre de l'alcool en ligne, les « dark kitchens » doivent justifier d'une licence spécifique en fonction du groupe d'alcool auquel les boissons alcoolisées à emporter appartiennent (petite licence à emporter ou licence à emporter). En matière fiscale, les mêmes règles s'appliquent que celles relatives à la restauration traditionnelle. Compte tenu du principe de liberté des prix, chaque restaurant ou commerçant est libre de fixer ses prix de vente, sous réserve qu'ils soient conformes aux différentes réglementations en vigueur. La concurrence actuelle entres acteurs du secteur ne semble pas déloyale au sens de l'art. L. 121-1 du code de la consommation. Le Gouvernement maintiendra sa vigilance pour que les pratiques des « dark kitchens » restent conformes à la législation en vigueur. Actuellement, du point de vue de droit de l'urbanisme, les « dark kitchens » apparaissent dans la sous-destination « artisanat et commerce de détail », différente de celle de la restauration. Les définitions des destinations et sous-destinations sont toutefois en cours de révision afin de les rendre plus lisibles dans les documents d'urbanisme, compte tenu des évolutions des usages et des formes de structures concernées. L'objectif sera de permettre une meilleure lisibilité et une plus grande efficience des contrôles. Le Gouvernement est conscient des désagréments causés aux riverains par ces activités : nuisances sonores et stationnement abusif des livreurs sur les trottoirs. En cas de nuisances sonores, les exploitants des « dark kitchens » sont d'ailleurs susceptibles d'engager leur responsabilité pénale et encourent des sanctions administratives. En particulier, les maires détiennent des pouvoirs de police générale leur permettant, par des mesures réglementaires et individuelles appropriées, de préserver la tranquillité publique. Dans certains cas, les voisins peuvent également porter plainte sur le fondement des troubles anormaux de voisinage. Concernant le stationnement abusif sur la voirie, la réglementation des livraisons et des enlèvements de marchandises est applicable à tous les véhicules effectuant du transport de marchandises pour leur compte propre ou pour le compte d'autrui, donc également aux véhicules de livraison utilisés par les « dark kitchens ». Par ailleurs, le développement rapide de l'emploi des plateformes numériques a remis en question la relation économique entre travailleurs indépendants et donneurs d'ordres. La loi d'orientation des mobilités (LOM) a donc introduit des dispositions spécifiques aux secteurs de la livraison de marchandises en véhicule à deux roues, dites plateformes « de mobilité », en autorisant ces plateformes à mettre en place des chartes de responsabilité sociale comportant des garanties et instaurant des règles visant à clarifier les droits des travailleurs indépendants vis-à-vis de ces plateformes. Ainsi, comme vous le voyez, Monsieur le Député, le Gouvernement a pleinement conscience de ce sujet et recommande aux maires et aux usagers affectés de se saisir des moyens légaux mis à leur disposition.
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