M. Jérémie Iordanoff appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur le décret n° 2023-1402 du 29 décembre 2023 relatif à la modification du classement comme forêt de protection et au régime spécial prévu à l'article L. 141-4 du code forestier. Depuis la loi du 28 avril 1922, le régime des forêts de protection, renforcé en 1976, permet de protéger les massifs forestiers pour leur valeur écologique, leur importance dans la lutte contre l'érosion, les avalanches ou les inondations. Jusqu'à une date récente, le classement comme forêt de protection était prononcé par décret en Conseil d'État - c'est-à-dire après arbitrage entre les différents ministères et consultation du Conseil d'État. Ce classement rendait par ailleurs impossible la réalisation de certains travaux, sauf rares exceptions. Ce degré élevé de protection est aujourd'hui rompu depuis la publication du décret du 29 décembre 2023, lequel affaiblit considérablement le rôle que jouent les forêts de protection pour la biodiversité. En effet, deux modifications majeures sont introduites dans le code forestier : d'une part, la possibilité d'opérer un déclassement simplifié par la voie d'un arrêté du seul ministre de l'agriculture, dont on sait à quel point ses missions l'éloignent des enjeux de protection de l'environnement ; d'autre part, l'admission de nombreuses activités auparavant prohibées et soumises désormais à de simples autorisations préfectorales alors qu'elles sont dépourvues de lien avec la finalité d'une forêt de protection (extension d'immeubles existants, implantation de produits chimiques, etc.). Dans un avis du 24 mai 2023, le Conseil national de la protection de la nature, lieu d'expertise scientifique, a exprimé sa vive inquiétude au sujet de ce décret. Il n'a malheureusement pas été entendu. À l'heure où l'effondrement de la biodiversité est scientifiquement constaté, il lui demande s'il va réexaminer l'opportunité de ce décret.
Le classement en forêt de protection est l'outil juridique le plus contraignant pour la protection des forêts, pris par décret en Conseil d'État. Il est mis en œuvre depuis un siècle. En effet, la loi du 28 avril 1922 permet de classer comme forêt de protection pour cause d'utilité publique les forêts dont la conservation est reconnue nécessaire au maintien des terres sur les montagnes et sur les pentes, à la défense contre les avalanches, les érosions et les envahissements des eaux et des sables (ainsi, historiquement, ce dispositif vise la prévention contre les risques naturels). La loi relative à la protection de la nature du 10 juillet 1976 a élargi cette possibilité aux bois et forêts situés à la périphérie des grandes agglomérations, ainsi que dans les zones où leur maintien s'impose, soit pour des raisons écologiques, soit pour le bien-être de la population. Ces deux textes ont été codifiés dans les articles L. 141-1 et suivants du code forestier. Tout défrichement et tout changement d'affectation du sol sont notamment interdits. Le législateur a ainsi voulu marquer l'importance qu'il attache à la protection des bois et forêts lorsqu'ils sont nécessaires à la conservation physique, et accessoirement écologique, du milieu forestier ou lorsqu'ils ont à remplir une fonction sociale en offrant au public un espace de loisir et de détente. L'article L. 141-4 du même code renvoie toutefois à un régime spécial, qui détermine par décret en Conseil d'État, l'encadrement des travaux autorisés dans ces forêts. Les articles R. 141-1 à R. 141-42 du même code précisent, outre les modalités de classement des massifs en forêt de protection, le régime spécial qui y est applicable. Le décret publié le 31 décembre 2023 répond à une demande expresse du Conseil d'État qui, au regard des dossiers qui lui étaient présentés, souhaitait que soit rendue possible l'autorisation de certains travaux d'ampleur limitée ne compromettant pas la conservation des boisements, et que les déclassements de faible importance ne passent plus par un examen en Conseil d'État. Le projet de texte a fait l'objet d'une concertation entre le ministère chargé des forêts qui en est porteur, les parties prenantes (dont les associations de protection de la nature) et le ministère chargé de l'environnement, puis a été soumis à consultation du public. À la suite des observations reçues, le projet amendé a été soumis au Conseil d'État qui a donné un avis favorable unanime dans sa séance du 18 décembre 2023. Les fondements du statut de forêt de protection ne sont nullement remis en cause par les modifications introduites par ce décret. Le classement comme forêt de protection continue, en vertu de l'article L. 141-2 du code forestier, d'interdire tout changement d'affectation ou tout mode d'occupation du sol de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements. L'article R. 141-9 du code forestier complété donne désormais au ministre chargé des forêts, et non plus au Conseil d'État, la possibilité de procéder à des déclassements limités, dans l'objectif principal de corriger des erreurs manifestes à savoir la présence de parcelles non boisées lors du classement initial de la forêt, mais aussi afin de pouvoir réaliser un projet d'intérêt général, tel que des travaux de sécurité routière au niveau de routes traversant les grands massifs classés. Les déclassements minimes pouvant être désormais arrêtés par le ministre chargé des forêts sont limités : la surface de retrait cumulée depuis le dernier décret de classement ne devra ni dépasser 2 % de la superficie classée, ni 100 hectares (ha) au total. À l'issue de la consultation sur le projet de décret, le seuil de surface ainsi déclassable a été réduit de moitié (de 200 à 100 ha) et il a été précisé que cette surface maximale reposait sur la surface totale cumulée. En outre, la procédure préalable à la décision reste inchangée, avec toutes les garanties de transparence et garde-fous : enquête publique, consultation des communes et de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. Par ailleurs, le décret a complété le champ d'application de l'article R. 141-14 du code forestier (cantonné dans sa rédaction actuelle aux seules fonctions économiques et écologiques de la forêt), notamment pour ouvrir la possibilité d'y réaliser des travaux de prévention des risques naturels et d'y mener des travaux « légers » d'accueil du public nécessaires à un accueil de qualité dans ces forêts, souvent très fréquentées. Les travaux déclarés au préfet seront ainsi pleinement en lien avec l'ensemble des fonctions à valoriser dans le cadre de la gestion forestière multifonctionnelle. En effet, l'accès à la nature est fondamental pour les citoyens et constitue un enjeu important de la politique publique relative aux forêts. C'est d'ailleurs sur le motif du bien-être de la population qu'ont été accordés par le Conseil d'État les trois derniers classements en forêt de protection, pour les massifs de Haye en 2018, Saint-Germain-en-Laye en 2019 et Bondy en 2022. Enfin, les règles édictées aux articles R. 141-14 et suivants du code forestier telles que modifiées par le décret, limitent et encadrent strictement les types de travaux pouvant être permis, qui ne contreviennent pas au principe de non régression environnementale. En conséquence, il n'est pas dans les intentions du Gouvernement de faire encore évoluer cette réglementation dès lors que le décret n° 2023-1402 du 29 décembre 2023 relatif à la modification du classement comme forêt de protection constitue une simplification du dispositif qui à terme devrait permettre d'étendre le classement de massifs forestiers en forêt de protection, et donc une protection des forêts péri-urbaines face à l'urbanisme. Un tel classement très protecteur doit pouvoir s'accompagner d'une autorisation pour les collectivités d'y mener des travaux « légers » d'entretien des réseaux existants et le cas échéant d'envisager des extensions très limitées des infrastructures existantes.
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