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M. François Ruffin interroge M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur la protection des médecins du travail dans l'exercice de leur métier. Le 28 novembre 2023, Jean-Louis Zylberberg, médecin du travail, était convoqué devant le Conseil de l'Ordre des médecins. Son tort ? Avoir écouté la souffrance de salariés à bout, physiquement et psychiquement. Et avoir voulu les protéger, les déclarant inaptes à leur poste dans une PME de serrurerie dont il assure le suivi. Ces décisions d'inaptitudes, le Docteur Zylberberg ne les a pas prises de gaîté de cœur. Pour le médecin du travail, la déclaration d'inaptitude est le dernier recours. Quand il n'y a pas d'autres solutions pour protéger la santé du travailleur que de demander qu'il quitte son poste. C'est une décision lourde qui, en théorie, oblige l'employeur à trouver un autre poste pour le salarié, là où sa santé ne sera plus en danger. Mais, en pratique, les décisions d'inaptitudes signifient très largement le licenciement du salarié, l'employeur expliquant qu'il n'a pas d'autre travail à proposer. L'employeur en question n'a pas contesté les décisions d'inaptitude du Docteur Zylberberg au moment où il les a prises - la loi lui donnait pourtant la possibilité d'un recours devant les prud'hommes. Mais aujourd'hui, cet employeur s'en prend au médecin lui-même, qu'il traîne devant le Conseil de l'Ordre pour qu'il soit sanctionné. Cette affaire est d'autant plus grave qu'elle n'est pas isolée. Depuis le décret du 25 mars 2007 qui a élargi les possibilités de porter plainte devant le Conseil de l'Ordre des médecins, les employeurs se sont engouffrés dans la brèche : de plus en plus de médecins doivent faire face à des sanctions disciplinaires pour avoir simplement fait leur travail : tenter de protéger la santé des salariés. Ce fut le cas du Docteur Dominique Huez, sanctionné en 2017 pour avoir établi un certificat médical attestant un lien entre l'état de santé psychique d'un salarié d'un sous-traitant de la centrale nucléaire de Chinon et ses conditions de travail. Ce fut le cas aussi de Jean Rodriguez, psychiatre spécialiste de la souffrance psychique au travail, suspendu de son poste à Marseille à la suite d'une plainte d'une enseigne du groupe Mulliez. Dans le Loir-et-Cher, Bernadette Berneron a été sanctionnée après que la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) a attaqué un certificat où cette médecin s'inquiétait de la « maltraitance managériale » dont l'une de ses patientes se plaignait. Et en Seine-Saint-Denis, la médecin du travail Karine Djemil a écopé de six mois d'interdiction d'exercer pour avoir établi un lien entre la dépression grave de deux de ses patientes et le harcèlement sexuel et moral qu'elles subissaient au travail. Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d'autres. Une centaine de praticiens seraient visés par de telles plaintes chaque année. Dans un récent rapport, M. le député a montré l'ampleur du « mal-travail » : malaise et mal-être au travail, sentiment de mal faire son travail, largement plus élevé en France que chez ses voisins, avec des maladies physiques et psychiques à la clé, causé par un management nocif, hiérarchique, vertical et qui, d'après un ancien ministre du travail, coûterait plus de 100 milliards d'euros. À la place d'affronter cette question, d'engager une réflexion, que fait le Gouvernement ? La chasse aux arrêts-maladie, aux « fraudeurs » côté salariés et côté médecins, qui en « abuseraient ». C'est la même logique qui sous-tend ces attaques contre les médecins du travail : faire taire ceux qui alertent, casser le thermomètre plutôt que de soigner le « mal travail ». Le Dr Jean-Louis Zylberberg doit répondre de certificats d'inaptitude qui n'ont pas plu à un employeur. Mais le phénomène des inaptitudes est caractéristique de ce déni. Dans son rapport, M. le député établissait que les inaptitudes ne sont même pas chiffrées, même pas comptées par le ministère du travail ! Pourtant, le rapport les évalue à 100 000 chaque année, 100 000 salariés qui sortent du travail, blessés ou broyés, au physique ou au psychique. Un iceberg encore largement invisible. Et que l'on voudrait continuer de ne pas voir en réduisant au silence ceux qui s'en inquiètent. D'où ces deux questions : que prévoit M. le ministre pour protéger les médecins du travail dans l'exercice de leur métier et protéger ainsi la santé des travailleurs ? Quand est-ce que M. le ministre se saisira de la question des inaptitudes créées par le mal-travail ? Il est temps de chiffrer ces inaptitudes, d'en identifier les causes, les secteurs et entreprises qui les génèrent, pour enfin s'attaquer à ce plan de licenciement gigantesque et pourtant silencieux. Il souhaite connaître sa position sur ce sujet.
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