Mme Martine Etienne alerte M. le ministre de la santé et de la prévention au sujet de la diminution des effectifs de la médecine du travail. Le Gouvernement a choisi de passer en force sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (PLFSS), en déclenchant l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, après une journée de débats seulement. Ainsi, de nombreux amendements n'ont même pas pu être discutés en hémicycle. Considérant que les associations (comme la FNATH - fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés), les victimes, la représentation nationale et l'ensemble de la population mérite d'obtenir des réponses étayées, Mme la députée déposera donc l'ensemble de ses amendements sous forme de question écrite. L'article 26 du PLFSS, imposé sans vote ni débat au Parlement, propose que les médecins du travail puissent déléguer aux infirmiers qualifiés en santé au travail la réalisation de certains actes pour le renouvellement périodique de l'examen médical d'aptitude des salariés agricoles. Cet article est, en réalité, une manière de pallier la pénurie de médecins du travail, mais sans y injecter les financements nécessaires et sans recruter suffisamment de professionnels. Pourtant la drastique diminution des effectifs de la médecine du travail aura eu des conséquences énormes sur la santé au travail et sur l'effectivité du renouvellement périodique de l'examen médical d'aptitude des salariés. En effet, selon l'Ordre des médecins, entre 2010 et 2021, les effectifs de la médecine du travail ont diminué de 20 %. En 2018, 4 700 médecins du travail exerceraient sur l'ensemble du territoire alors qu'en 2010, ils étaient 5 500. Les trois quarts ont plus de 55 ans, la situation va donc s'aggraver dans les années qui viennent. Certains départements sont en large pénurie et peinent à assurer les rendez-vous périodiques d'examen médical des salariés, ou à mettre en place une véritable politique de prévention et de santé au travail. De nombreuses entreprises peinent à obtenir ces rendez-vous obligatoires pour leurs salariés, tant les effectifs ont été réduits. Dans son observatoire de février 2023, la Mutualité française notait qu'une majorité de salariés du secteur privé (61 %) n'avait pas bénéficié d'un rendez-vous avec un service de médecine du travail au cours de l'année. La délégation des actes par les médecins du travail, mesure proposée par cet article, ne suffira pas à redresser la médecine du travail. Les infirmiers qualifiés en santé au travail sont en nombre largement insuffisant : ils étaient 1 874 en 2018. Les professionnels de santé au travail sont à cran et sont contraints à espacer de plus en plus les visites périodiques qu'ils imposent, jusqu'au maximum de 5 années. Finalement, les maladies professionnelles se développent plus vite et les salariés souffrent de la situation en silence. Ainsi, elle l'interroge pour savoir quand il va prendre conscience des conséquences liées à la diminution des effectifs de la médecine au travail et quand il va engager un grand plan de recrutement de médecins du travail.
La médecine du travail est effectivement confrontée à une dégradation structurelle des effectifs de médecins du travail, liée notamment à une population vieillissante et à un manque d'attractivité de la profession. La médecine du travail est ainsi une des spécialités les moins choisies par les étudiants en médecine à l'issue des épreuves classantes nationales préalables à l'entrée en 3ème cycle. Pour faire face à la pénurie de médecins, la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail a créé un certain nombre de leviers pour permettre aux Services de prévention et de santé au travail (SPST) de réaliser leurs missions. Un des principaux leviers a consisté à étendre les possibilités de délégations de visites vers les infirmiers de santé au travail pour permettre aux médecins de se consacrer aux visites les plus complexes et à la prévention en entreprise. En application du décret n° 2022-679 du 26 avril 2022, l'ensemble des visites du suivi individuel de l'état de santé des travailleurs peut être délégué aux infirmiers, à l'exception de l'examen médical d'aptitude et de son renouvellement ainsi que des visites post-exposition et post-professionnelles. La délégation de certains actes pour le renouvellement de l'examen médical d'aptitude, inscrit à l'article 26 du projet de loi de finances de la sécurité sociale pour l'année 2024, participe de cette logique, en étendant un peu plus le champ des délégations dans le secteur agricole. Il est toutefois à noter que la baisse du nombre de médecins du travail a été compensée par une hausse continue du nombre d'infirmiers en santé au travail. Le nombre d'infirmiers exerçant en SPST interentreprises est ainsi passé de 1 778 à 2 509 équivalent temps plein entre 2018 et 2022. La tendance devrait d'ailleurs se poursuivre dans les prochaines années. Pour accompagner cette évolution, la loi du 2 août 2021 renforce les obligations de formation des infirmiers. Ces derniers doivent désormais obligatoirement être formés en santé au travail. Le décret n° 2022-1664 du 27 décembre 2022 a instauré un minimum de 240 heures de formation théorique spécifique et un stage de pratique professionnelle de 105 heures. Ce texte précise en outre le contenu de la formation théorique délivrée aux infirmiers afin de garantir l'acquisition d'un socle de connaissances en adéquation avec les évolutions de leurs missions. La possibilité de recourir à des « médecins praticiens correspondants », pour les visites les plus simples et dans le cadre de protocoles de collaboration conclus avec les SPST, est un autre outil introduit par la loi pour répondre à la problématique de la pénurie de médecins. Cette mesure, qui sera mise en œuvre en 2024, ouvrira de nouvelles possibilités de recrutement dans les territoires concernés par la pénurie de médecins du travail. Il est important que toutes ces dispositions, qui offrent de véritables leviers, fassent l'objet d'une large appropriation par les SPST. Au-delà de ces outils, des réflexions sont en cours pour construire un plan d'action intégrant des mesures concrètes visant à pallier le déficit de médecins du travail. Une première piste consiste à favoriser le recrutement de nouveaux médecins, par la facilitation des dispositifs de reconversion vers la médecine du travail ou du recrutement de médecins diplômés hors Union européenne autorisés. Une deuxième piste porte sur le renforcement de l'attractivité de la spécialité médecine du travail auprès des étudiants, en renforçant notamment la place de la santé au travail au sein des études de médecine ou en organisant des actions de communication auprès des étudiants, dans le but d'augmenter le nombre de places pourvues en médecine du travail à l'issue du deuxième cycle universitaire. Enfin, une des pistes envisagées consiste à réfléchir au périmètre et aux modalités d'intervention du médecin du travail, afin d'optimiser l'utilisation des ressources médicales. Certains leviers en matière de recrutement et d'attractivité doivent faire l'objet d'une collaboration renforcée entre le ministère du travail, du plein-emploi et de l'insertion et le ministère de la santé et de la prévention. Le concours d'autres ministères, en premier lieu le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, sera également sollicité pour la mise en œuvre de certaines mesures, notamment celles relatives à l'enseignement de la médecine du travail et à l'attractivité de la profession.
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