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Nicolas Dragon
Question N° 12471 au Ministère de l’agriculture


Question soumise le 31 octobre 2023

M. Nicolas Dragon alerte M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur le saccage de l'agriculture française orchestré par l'Union européenne, à travers son principal organe exécutif qu'est la Commission européenne, qui profite de la guerre en Ukraine pour mettre en péril et affaiblir encore davantage l'indépendance de la France en matière agricole. En effet, depuis le début du conflit russo-ukrainien, on observe une véritable envolée des importations à bas coût en provenance d'Ukraine sur le sol européen. Pour prendre l'exemple éloquent des importations de volailles, lors du premier semestre de l'année 2023, leur nombre a bondi de près de 74 % en à peine un an sur le marché français. Selon l'Association nationale interprofessionnelle de la volaille de chair (ANVOL), ce n'est pas moins de 15 000 à 25 000 tonnes de volailles ukrainiennes qui pénètrent chaque mois sur le sol européen. Ce « déferlement de poulets ukrainiens », pour reprendre l'expression de M. Jean-Michel Schaeffer, président de l'ANVOL, entraîne de sérieuses perturbations du secteur de la volaille et plus généralement de la filière agricole française. Or cette arrivée massive de produits importés d'Ukraine ne relève évidemment pas du hasard. En mai 2022, la Commission européenne a mis en place diverses mesures de libéralisation vis-à-vis des relations commerciales entre l'Ukraine et l'Union européenne. En clair, plus aucun frais de douanes et plus aucun quota pour les produits que l'Ukraine exporte. De même, la Commission européenne a décidé de supprimer toute restriction des importations de céréales vers les pays membres de l'Union européenne. Encore plus préoccupant, l'Ukraine n'étant pas membre de l'Union européenne, celle-ci n'est pas tenue de respecter les règles communautaires auxquelles sont soumis les États membres, que ce soit en matière de bien-être animal ou d'utilisation d'antibiotiques. Cela permet donc à l'Ukraine de vendre ses produits deux à trois fois moins cher que les producteurs français. Enfin, compte tenu de sa proximité géographique, à la différence d'autres pays exportateurs de productions agricoles, l'Ukraine peut submerger le marché français de produits frais, logiquement très prisés par les consommateurs. Ainsi, une inquiétude légitime grandit de plus en plus chez les agriculteurs français, qui se voient être confrontés à une concurrence déloyale dont ils ne savent vraiment pas comment s'en sortir. Si bien évidemment, il n'est pas question de retirer le soutien au peuple ukrainien ni encore moins de minimiser la situation dramatique que rencontre l'Ukraine dans cette guerre dont elle est la victime, il semble toutefois nécessaire de mettre en garde et d'apporter une forme de prudence quant à la mise en péril du peuple français. Les agriculteurs sont ceux qui nourrissent les Français. Il est du devoir de chacun d'apporter, en plus du respect évident que chaque homme mérite, toute l'attention légitime que ceux-ci requièrent. Il en va de l' indépendance nationale en matière agricole et donc de la souveraineté alimentaire du pays. Par conséquent, il l'interroge sur ce qu'il compte mettre en œuvre pour protéger les agriculteurs français face à cette menace que représente la concurrence déloyale en provenance d'Ukraine, savamment organisée par une Union européenne qui tente par tous les moyens d'affaiblir les nations et ébranler leur souveraineté, notamment en matière alimentaire et donc agricole.

Réponse émise le 16 janvier 2024

En soutien à l'économie ukrainienne face à la guerre d'agression russe, l'Union européenne (UE) a libéralisé, avec le soutien du Gouvernement français, ses échanges avec l'Ukraine depuis le 4 juin 2022 pour une durée initiale d'un an. Le 6 juin 2023, le règlement (UE) 2023/1077 a prolongé la libéralisation d'une année supplémentaire soit jusqu'au 5 juin 2024. Il est à noter que la Commission européenne a réduit la durée de reconduction des mesures de libéralisation commerciale par rapport à ce qu'elle envisageait initialement, notamment à la demande de la France. L'ouverture des échanges avec l'Ukraine a entraîné des augmentations significatives des importations de plusieurs produits agricoles ukrainiens dans l'UE, dont les céréales et la viande de volaille. Concernant les céréales (principalement maïs et blé), si l'augmentation des importations en provenance d'Ukraine a été significative pendant le deuxième semestre de 2022 (+ 216 % entre juillet et décembre 2022, soit 10,6 millions de tonnes importées) puis sur les 10 premiers mois de 2023, les importations de blé étaient néanmoins inférieures, en octobre 2023, à celles du pic atteint en octobre 2022. Cette augmentation des importations résulte pour une large part de la mise en place des couloirs de solidarité qui visent à exporter les grains ukrainiens vers les pays qui en ont besoin hors UE. Par ailleurs, les augmentations d'importation de maïs en provenance d'Ukraine sont principalement liées aux conditions climatiques (sécheresse en France, Roumanie, Hongrie notamment) et à la mauvaise récolte de 2022, l'UE étant de manière générale déficitaire en maïs. La Commission européenne considère que le marché européen des céréales reste stable, mais le Gouvernement demeure particulièrement vigilant et a demandé à la Commission européenne de renforcer le suivi des importations ukrainiennes.  Concernant la viande de volaille, la part des importations ukrainiennes dans les importations européennes est en augmentation, passant de 13 % en 2021 à 29 % entre septembre 2022 et octobre 2023 (2e fournisseur de l'UE, dépassant le Royaume-Uni et la Thaïlande mais restant derrière le Brésil). Comme pour les céréales, le Gouvernement a également demandé à la Commission européenne de renforcer le suivi des importations de viande de volaille ukrainiennes.  La hausse des importations de viande de volaille ukrainienne dans l'UE du fait de la libéralisation tarifaire est indéniable. Elle doit toutefois être relativisée au regard du niveau de production, d'exportations et d'importations européennes et du niveau des prix européens qui ont fortement augmenté depuis le début de l'année 2022 par rapport à 2021 et 2020. Si on constate une tendance baissière depuis mai 2023, les prix observés en octobre 2023 sont stables par rapport à octobre 2022. La hausse des importations de viande de volaille participe d'une tendance générale d'augmentation de l'ensemble des importations européennes, dans laquelle les importations ukrainiennes semblent, à ce stade, davantage avoir remplacé des importations en provenance d'autres pays (Royaume-Uni principalement) que s'être substituées à la production domestique européenne. La filière française de viande de volaille est en déficit structurel de production pour couvrir la consommation intérieure. Entre 2018 et 2022, la France a exporté en moyenne 457 000 tonnes équivalent carcasse (téc) de viande de volaille par an (55 % à destination de l'UE) et importé en moyenne 699 000 téc de viande de volaille par an (93 % originaires de l'UE). Il convient également de rappeler le contexte particulier de production en forte baisse en France et dans d'autres pays de l'UE en 2022 et 2023, la filière ayant été frappée de plein fouet par les épisodes d'influenza aviaire hautement pathogène. Face à cette situation, l'État a accompagné la filière grâce au volet agricole du plan de relance et les dispositifs d'indemnisation massifs relatifs aux crises influenza aviaire. Concernant les conditions d'importation de viande de volaille d'Ukraine, les produits agricoles ukrainiens qui rentrent sur le territoire de l'UE doivent respecter, au même titre que l'ensemble des produits agricoles importés dans l'UE, les normes de commercialisation européennes qui préservent la santé et la sécurité des consommateurs européens. Toutefois, la meilleure application des normes de production européennes aux produits importés constitue une priorité du Gouvernement, a fortiori dans la perspective de l'élargissement de l'UE à l'Ukraine. Le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est particulièrement vigilant à ce que l'Ukraine rapproche sa législation de celle de l'UE, notamment concernant la production de viande de volaille. S'agissant en particulier de l'utilisation des antibiotiques en élevage, des étapes importantes ont été franchies depuis la présidence française de l'UE. Sur les mesures miroirs, le règlement (UE) 2019/6 du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires est entré en application le 28 janvier 2022. L'article 118 de ce texte prévoit que l'interdiction de l'utilisation d'antimicrobiens favorisant la croissance ou le rendement des animaux et d'antimicrobiens réservés au traitement de certaines infections chez l'homme s'applique aux produits importés, en interdisant l'importation depuis les pays tiers d'animaux et de produits animaux ayant reçu de tels antimicrobiens. Toutefois, pour que cet article entre en application de manière effective, des actes secondaires doivent encore être adoptés par la Commission européenne. Un premier acte délégué a été publié en mai 2023. De plus, un premier acte d'exécution a été notifié à l'organisation mondiale du commerce et le Gouvernement continue à insister auprès de la Commission européenne pour obtenir la publication du deuxième acte d'exécution dans les plus brefs délais. Dans cette attente, le Gouvernement a renouvelé, le 2 mars 2023, l'arrêté interministériel portant suspension d'introduction, d'importation et de mise sur le marché en France de viandes et produits à base de viande issus d'animaux provenant de pays tiers à l'UE et ayant reçu des médicaments antimicrobiens pour favoriser la croissance ou augmenter le rendement. Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire reste très attentif à la situation des filières agricoles et alimentaires françaises et continue à demander à la Commission européenne de rester vigilante à travers son suivi rapproché des flux commerciaux en provenance d'Ukraine pour ces filières.

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