M. Bastien Lachaud interroge M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur le traitement différencié et discriminatoire réservé aux personnes réfugiées et sans-abri dans l'accès à l'hébergement d'urgence. La nécessité d'accueillir de très nombreuses personnes réfugiées de nationalité ukrainienne, suite à la guerre d'agression menée par la Russie et la violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine, a conduit les pouvoirs publics français à déployer d'importantes capacités d'hébergement d'urgence pour l'accueil des réfugiés. Ainsi, au 18 août 2022, près de 87 804 places d'hébergement destinées aux réfugiés de nationalité ukrainienne sont comptabilisées, selon les chiffres rendus publics par le ministère de l'intérieur. Cependant, un grand nombre de ces places d'hébergement destinées aux réfugiés de nationalité ukrainienne demeurent vacantes - le ministère de l'intérieur évoque ainsi un taux moyen d'occupation de 55 %, soit 39 708 places disponibles. Simultanément, des milliers de personnes de nationalités différentes demeurent sans solution d'hébergement, contraintes de dormir à la rue ou au sein de campements de fortune. Ces personnes se voient refuser l'accès aux places d'accueil destinées aux réfugiés de nationalité ukrainienne. Ainsi par exemple, entre le 14 juin et le 20 juillet 2022, sur les 1 179 demandes faites à l'association Utopia 56, qui vient en aide aux personnes exilées et aux personnes à la rue, 66 % sont restées sans solution d'hébergement. Au même moment, le centre d'hébergement alors situé Porte de Versailles à Paris et destiné à l'accueil des réfugiés de nationalité ukrainienne comptabilisait entre 450 et 500 places libres chaque soir. Des milliers de personnes en situation d'extrême vulnérabilité se donc trouvent privées d'accueil et mises en danger, alors même que des capacités d'hébergement déjà financées et existantes demeurent sous-utilisées au motif que les demandeurs ne seraient pas de la « bonne » nationalité. Cette situation de traitement différencié, que l'on peut donc qualifier de discriminatoire, a suscité l'émotion légitime de nombre de concitoyens, d'acteurs associatifs et d'élus. Ce constat a conduit les associations Utopia 56 et Médecins du monde à saisir le juge des référés liberté du tribunal administratif de Paris. Après un premier rejet de cette requête, les associations ont fait appel auprès du Conseil d'État, appel rejeté à son tour. La justice estime notamment que le dispositif destiné aux personnes de nationalité ukrainienne et bénéficiant de la protection temporaire présente un caractère spécifique et qu'il ne doit pas être confondu avec l'accueil des autres publics en situation d'errance. Le ministère de l'intérieur, quant à lui, aurait indiqué, dans le cas spécifique du centre d'accueil qui était situé Porte de Versailles à Paris jusqu'à sa fermeture le 28 août dernier, que la convention liant l'État au prestataire privé responsable du centre, prévoyait de réserver exclusivement celui-ci aux personnes ukrainiennes bénéficiaires de la protection temporaire. M. le député considère ces réponses comme tout à fait insatisfaisantes, au vu de la situation discriminatoire qui existe de fait entre les personnes de nationalité ukrainienne et les autres, situation qui place des milliers de personnes sans-abri en danger et engendre des atteintes graves et manifestement illégales à plusieurs libertés fondamentales : droit à l'hébergement, à l'intérêt supérieur de l'enfant, à l'asile. M. le député souhaite donc savoir ce que M. le ministre compte faire pour remédier à cette situation et assurer l'accueil digne de l'ensemble des personnes demandeuses d'une place d'hébergement, indépendamment leur nationalité. À cet effet, il souhaite savoir quelles dispositions il compte prendre pour ouvrir les centres d'hébergement d'urgence déjà existants et vides à l'ensemble des personnes en situation de très grande précarité, quelle que soit leur nationalité ou pays d'origine et, au-delà, pour financer la création de places d'hébergement à la hauteur des besoins.
Plus de 100 000 personnes déplacées d'Ukraine sont arrivées en France depuis la fin du mois de février 2022. Pour répondre à cette crise sans précédent, l'Union européenne a activé, le 4 mars 2022, la directive 2001/55/CE sur la protection temporaire, statut décliné sur le territoire national par une instruction interministérielle du 10 mars 2022, qui détermine le champ d'application de la protection temporaire en France, sa durée, les droits attachés à son bénéfice et son lien avec la protection internationale. En vertu de cette directive, les Etats membres doivent accorder un statut spécifique aux populations déplacées d'Ukraine qui les différencie en particulier des demandeurs d'asile. Ainsi, les bénéficiaires de la protection temporaire (BPT) ont vocation à bénéficier d'un éventail de droits notamment au séjour ou au travail qui sont attachés à leur statut particulier et qui ont été rappelés par l'instruction interministérielle INTV2208085J du 10 mars 2022. Les modalités d'hébergement de ces personnes ont été définies par l'instruction interministérielle LOGI2209326C du 22 mars 2022. Ce dispositif d'accueil d'urgence a en partie reposé sur l'élan de solidarité de nombreux acteurs (collectivités, particuliers), en compléments des dispositifs d'accueil et d'accompagnement sous le pilotage direct de l'État. L'objectif premier du dispositif ainsi déployé en urgence était de répondre à des besoins massifs, immédiats et imprévus, tout en anticipant de potentielles arrivées en grand nombre, ce qui a pu expliquer la vacance ponctuelle d'une partie des places de certaines structures, l'Etat veillant à ce que ce phénomène reste aussi limité que possible. Le parc d'hébergement collectif dédié aux personnes déplacées d'Ukraine est actuellement occupé à près de 80 %. La création d'un dispositif d'accueil dédié a également permis de ne pas perturber le fonctionnement du parc d'hébergement de droit commun (pour les demandeurs d'asile comme l'hébergement d'urgence généraliste), précisément en vue de prévenir tout effet d'éviction des personnes qui en relèvent. C'est ainsi que, dans ce contexte d'arrivées massives inédit depuis la Seconde guerre mondiale, l'accès au dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile a été préservé et même renforcé, grâce à la création de nouvelles places au bénéfice des réfugiés vulnérables en 2022. Le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer poursuit un effort continu de renforcement du dispositif d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile, que la guerre en Ukraine n'a pas remis en cause. Ce parc a ainsi doublé depuis 2015, portant le nombre de places du dispositif national d'accueil (DNA) à 113 832 places autorisées en loi de finances en 2022. En 2023, ce sont 4 900 nouvelles places d'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés qui sont prévues à la création dans le cadre de la loi de finances pour 2023, portant ce parc à 118 732 places fin 2023. En outre, les services de l'Etat sont mobilisés au quotidien pour faciliter, d'une part, l'accès à l'hébergement des demandeurs d'asile et, d'autre part, pour subvenir aux besoins de mise à l'abri d'urgence de personnes sans solution d'hébergement. Depuis le 4 janvier 2021, un mécanisme dit d'orientation régionale a été déployé, permettant l'orientation précoce des demandeurs d'asile depuis les guichets uniques franciliens, qui accueillent la moitié des demandeurs d'asile à l'échelle nationale, vers une solution d'hébergement dans d'autres régions. En 2021, 16 000 demandeurs d'asile ont été orientés depuis l'Île-de-France, et 12 000 l'ont été entre janvier et août 2022. En parallèle, les services de la préfecture d'Ile-de-France, en lien avec les associations chargées de maraudes et avec les services de l'OFII, procèdent chaque semaine à la mise à l'abri des personnes sans solution d'hébergement dans des dispositifs d'accueil temporaires, où ils bénéficient d'un accompagnement et d'une orientation vers des solutions d'hébergement ou de logement adaptées à leur situation. En complément, des opérations de plus grande ampleur ont lieu visant à prendre en charge un nombre important de personnes regroupées en campements ou en squats. Enfin, 156 000 personnes en situation de précarité bénéficient chaque nuit d'une prise en charge au titre de l'hébergement d'urgence généraliste relevant du ministère chargé du Logement. Saisi en référé par des associations, le tribunal administratif de Paris, dans sa décision, confirmée en appel par le Conseil d'Etat, a par ailleurs rejeté en juillet 2022 la requête relative à l'ouverture de ces centres dédiés aux bénéficiaires de la protection temporaire à l'ensemble des personnes sans abri, en s'appuyant sur le caractère exceptionnel et spécifique du dispositif d'hébergement mis en place dans ce cadre.
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