M. Aurélien Saintoul interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur le projet de fusion des opérateurs de télécommunications spatiales Eutelsat et OneWeb. Ces derniers ont annoncé leur intention de fusionner en 2023 afin de créer un géant de l'espace en combinant les capacités géostationnaires d'Eutelsat et la « constellation » de satellites que OneWeb opère en orbite basse terrestre. Pourtant, l'opération soulève de graves questions. L'État contrôle Eutelsat à hauteur de 27 %. OneWeb, qui avait fait faillite, a été rachetée en 2020 par l'État britannique. Le groupe indien Bharti Global en est désormais l'actionnaire majoritaire. Après fusion, la France devra également composer avec les desiderata du Royaume-Uni, qui disposera d'un droit de veto sur les opérations. De plus, cette holding fera face, entre autres, à la concurrence d'une autre constellation projetée sous l'égide de l'Union européenne. Il souhaite donc savoir pourquoi l'État français n'a pas racheté OneWeb en 2020, lorsque cela était possible, et quelle est la stratégie du Gouvernement en matière de politique spatiale, s'il y en a une.
Le projet de constellation de satellites déployé par la société OneWeb a pour objectif de fournir partout dans le monde, y compris dans les zones les plus reculées, un accès bon marché à internet, grâce à une constellation placée en orbite terrestre basse et un réseau de stations terrestres mondiales. Pour cela, 650 satellites devaient être lancés d'ici la fin de l'année 2021. Or alors que l'entreprise avait commencé à déployer les premiers satellites de sa constellation mais n'avait pas réussi à finaliser le financement pour le déploiement complet, OneWeb s'est volontairement déclarée en faillite en se plaçant le 27 mars 2020 sous le chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites (Bankruptcy Code) pour apurer sa dette, tout en gelant les créances de la société pendant quelques mois. En effet, son principal soutien, le groupe japonais Softbank, très durement éprouvé par la chute brutale des places boursières dans le contexte de l'expansion de la pandémie à l'Europe et aux États-Unis, avait été poussé par ses actionnaires activistes à revendre au plus vite une partie de ses actifs. Les investisseurs intéressés par la reprise de OneWeb avaient jusqu'au 26 juin 2020 pour déposer leurs offres. Certains opérateurs spatiaux français, dont Eutelsat, ont tenté de mobiliser une offre européenne à Bruxelles, mais cela n'a pu être réalisé. C'est finalement le Royaume-Uni qui s'est porté acquéreur aux côtés de l'indien Bharti. Depuis, le développement très rapide de projets concurrents et l'utilisation de la connectivité par satellite durant la crise en Ukraine ont accéléré la prise de conscience du besoin d'une offre européenne. Le 27 avril 2021, Eutelsat a conclu un accord avec OneWeb portant sur une prise de participation à hauteur d'environ 24 %, et est ainsi devenu l'un des principaux actionnaires de la société aux côtés du Gouvernement britannique et de BhartiGlobal. Le 8 septembre 2021, Eutelsat a finalisé son investissement initial dans OneWeb d'un montant de 550 Ms$ annoncé en avril complété par l'exercice d'une option d'achat, le 5 octobre 2021, pour un montant total de 165 Ms$ sur une partie du dernier financement apporté par Bharti à OneWeb, amenant la participation d'Eutelsat à 25,12 % dans OneWeb. Le 28 février 2022, Hanwha Systems UK Ltd a acquis pour 300 Ms$ une part de 6 % dans le capital de OneWeb, diluant la part d'Eutelsat dans OneWeb à 22,91 %. Eutelsat est un acteur important et stratégique de la filière satellitaire française, s'approvisionnant auprès de l'industrie européenne, pour la quasi-totalité de ses satellites (Thales Alenia Space ou Airbus Defense and Space) et la moitié de ses lancements sur Arianespace. Le Gouvernement entend rester vigilant quant à la gouvernance et au contrôle des décisions stratégiques de l'entreprise, ainsi qu'à la préservation des intérêts de la filière spatiale française et européenne. L'État français est le premier actionnaire d'Eutelsat, avec 23,38 % des parts détenues par Bpifrance, et a quasiment toujours été présent au capital d'Eutelsat depuis sa création en 1977, initialement au travers de France Telecom (FT) qui était l'un des principaux fondateurs du projet européen de l'Organisation Intergouvernementale (OIG) à Satellites Eutelsat. De nouveaux actionnaires sont entrés récemment au capital d'Eutelsat : le Fonds stratégique de Participations (FSP) (7,6 %) représenté depuis fin 2016 au conseil d'administration d'Eutelsat, Lazard Asset Management Pacific Co. de droit australien (5,26 %), CMA-CGM (5,54%) et le fonds souverain chinois China Investment Corporation CIC (5 %), qui ne possède pas de représentation actuellement. L'opération de rapprochement entre Eutelsat et OneWeb fait actuellement l'objet d'une demande d'autorisation, conformément à l'article L. 151-3 du code monétaire et financier et est en cours d'instruction. Cette opération devrait a priori remplir les conditions requises pour être éligible à la procédure de contrôle des investissements étranger en France. Dans ce cadre, l'État s'assurera de la protection des activités essentielles à la garantie des intérêts du pays La France poursuit une stratégie de long terme en matière de connectivité par satellite. L'action « Développement des réseaux à très haut débit » pour les territoires peu denses du volet Développement de l'économie numérique du PIA 1 a servi à financer le programme THD-SAT et Konnect VHTS. Le programme THD-SAT a représenté un succès majeur de l'industrie des télécommunications par satellite avec plus d'une dizaine de programmes emportant des équipements THD-SAT. Dans le cadre de France Relance, la France a également soutenu le secteur des télécommunications au travers des différents dispositifs du volet « Innovation France » avec par exemple les appels à projets « Communication optique », « Terminaux pour les communications par satellites » et « Satellites de télécommunications flexibles ». Ces actions ont ainsi permis l'annonce par Eutelsat en 2018 d'un partenariat avec Orange et Thales Alenia Space pour un satellite de dernière génération, Konnect VHTS, construit par Thales Alenia Space, qui permettra d'apporter le très haut débit partout en France et en Europe lors de son entrée en service prévue en 2023. Ce satellite lancé le 7 septembre 2022 permettra ainsi d'atteindre les objectifs fixés par le Président de la République d'une connectivité à très haut débit pour tous les Français en 2022, sachant que les seules technologies terrestres n'auraient pas permis d'atteindre cet objectif eu égard aux spécificités géographiques de notre territoire. Le rapprochement entre Eutelsat et OneWeb arrive à un moment opportun. En effet, alors que la définition de la constellation européenne se précise, OneWeb lancera son programme de constellation en bande Ku de deuxième génération pour offrir encore plus de débit et une plus grande flexibilité grâce à des technologies innovantes. OneWeb continuera de s'appuyer sur l'ensemble de la chaîne de valeur spatiale pour assurer son développement technologique, offrant ainsi d'importantes opportunités commerciales à l'industrie européenne, y compris les petites et moyennes entreprises (PME) et les start-up, favorisant ainsi la compétitivité de l'Europe et de la France dans l'espace. La deuxième génération de OneWeb représente une opportunité majeure pour la constellation européenne en termes de synergies, du développement à l'exploitation. Grâce à ces synergies, les paramètres techniques et financiers de la constellation de l'UE pourraient être optimisés au profit à la fois des utilisateurs de l'UE et des contribuables. Par ailleurs, la Première ministre a récemment annoncé lors du 73ème Congrès international d'astronautique, que la France s'apprête à investir plus de 9 Mds€ dans le secteur spatial au cours des trois prochaines années. Ces investissements s'inscrivent dans le cadre de la stratégie spatiale définie par le Président de la République en février dernier. Réunis à Toulouse, les ministres européens chargés de l'Espace avaient alors donné leur accord politique au lancement d'une constellation européenne de satellites de connectivité sécurisée. Cette dernière doit garantir l'indépendance de l'Union en matière de connectivité et éviter de lier le sort de ses flottes autonomes de trains, voitures, drones, à des constellations étrangères. Cette enveloppe de 9 Mds€ comprend les crédits déjà actés du volet spatial du plan d'investissement France 2030 (1,5 Md€), ceux de la trajectoire de la loi de programmation pour la recherche votée jusqu'en 2030, les moyens « massifs » pour le Centre national d'études spatiales (CNES), ainsi que ceux de la loi de programmation militaire 2019-2025 (5 Mds€).
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