M. Fabien Di Filippo appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur les importations massives sur le marché européen de volailles venues d'Ukraine. En effet, l'Union européenne a suspendu, en mai 2022, les droits de douane sur la volaille ukrainienne pour soutenir l'économie du pays. Les importations se sont depuis envolées en Europe et les éleveurs européens et français dénoncent un véritable « déferlement » de poulets ukrainiens sur le marché et une « concurrence déloyale » à bas coûts, alors que cet accord commercial a été renouvelé en juin 2023 pour un an supplémentaire. Au premier semestre 2023, les importations de volailles ukrainiennes sur le marché français ont bondi de 75 % en un an. Sur le papier, elles n'ont représenté que 8,1 millions d'euros sur cette période, soit moins de 1 % des importations totales de volailles en France, mais selon le directeur de l'ANVOL (interprofession de la volaille de chair), ces chiffres « ne reflètent pas la réalité ». D'après la fédération, le poulet ukrainien passe souvent par des usines européennes, comme en Belgique, en Pologne ou encore aux Pays-Bas ; or ces entreprises ne sont pas obligées d'indiquer l'origine de leurs viandes. Ce sont donc en réalité «15 à 25 000 tonnes de volailles ukrainiennes » qui pénètrent chaque mois sur le continent européen en moyenne, une envolée que confirme la Commission européenne elle-même. Par ailleurs, selon la Commission européenne, les importations de volailles ukrainiennes en volume représentaient sur les cinq premiers mois de l'année 27 % des importations totales de l'Union européenne, après le Brésil (36 %) et avant la Thaïlande (19 %), contre 13 % en 2021. Cependant, alors qu'un poulet sur deux consommé en France était importé en 2022, c'est le poulet ukrainien qui crispe en particulier les éleveurs français, car l'Ukraine n'est pas soumise à des quotas, contrairement au Brésil et à la Thaïlande. Le poulet frais ukrainien, généralement élevé dans d'immenses fermes aux coûts de production moins élevés qu'en Europe, pourrait également venir concurrencer les produits locaux, comme les produits Label Rouge, dans les supermarchés. Une telle compétition serait totalement injuste au moment où la Commission incite les éleveurs français à réduire la taille des exploitations et aller vers des circuits courts. Selon l'Anvol, une exploitation standard en France compte deux poulaillers, d'une surface totale de 2 300 m2 pour 40 000 volailles, alors qu'en Ukraine, les élevages peuvent contenir jusqu'à 2 millions de volailles sur un seul site. Enfin, l'interprofession de la volaille souligne que la suspension des droits de douane, qui déstabilise la production européenne, profite avant tout « à un seul et même groupe industriel actif en Ukraine, MHP, coté en bourse à Londres et dont le siège est basé à Chypre ». Le groupe, premier producteur de volailles en Ukraine, tire 61 % de son chiffre d'affaires des exportations. En réponse à l'importation bondissante de poulets ukrainiens en France, il est essentiel de prendre des mesures pour protéger les éleveurs français face à une concurrence déloyale et non maîtrisée. L'interprofession de la volaille française a notamment demandé à M. le ministre d'activer une clause de sauvegarde pour empêcher la poursuite des importations de viande de poulet, « à droit nul et sans limite de volume », dans le cadre de l'accord commercial entre l'UE et l'Ukraine. Il lui demande quelles suites il entend réserver à cette proposition et quelles mesures il entend mettre en place pour soutenir en priorité la filière avicole française.
En soutien à l'économie ukrainienne face à la guerre d'agression russe, l'Union européenne (UE) a libéralisé, avec le soutien du Gouvernement français, depuis le 4 juin 2022, ses échanges avec l'Ukraine pour une durée initiale d'un an. Le 6 juin 2023, le règlement (UE) 2023/1077 a prolongé la libéralisation d'une année supplémentaire soit jusqu'au 5 juin 2024. L'ouverture des échanges avec l'Ukraine a entraîné des augmentations des importations de plusieurs produits agricoles ukrainiens dans l'UE. La part des importations ukrainiennes dans les importations européennes totales de viande de volaille est en augmentation, passant de 13 % en 2021 à 28 % entre janvier et avril 2023 (deuxième fournisseur de l'UE, dépassant le Royaume-Uni et la Thaïlande mais restant derrière le Brésil). Face à cette augmentation, le Gouvernement est particulièrement vigilant et a demandé à la Commission européenne de renforcer le suivi de l'impact sur le marché européen des importations ukrainiennes. La décision d'activer une clause de sauvegarde prévue soit par le règlement (UE) 2015/478 relatif au régime commun applicable aux importations, soit par le règlement (UE) 2023/1077 susmentionné relève de la Commission européenne. Selon le règlement (UE) 2015/478, elle peut activer la clause de sauvegarde si elle considère qu'un produit est importé « dans l'Union en quantités tellement accrues […] qu'un dommage grave est causé ou risque d'être causé aux producteurs de l'Union ». En outre selon le règlement (UE) 2023/1077, la Commission prend en considération « l'incidence des importations concernées sur la situation du marché de l'Union » en tenant compte notamment du taux et du volume de la hausse des importations en provenance d'Ukraine en termes absolus ou relatifs. Concernant les importations de viande de volaille ukrainienne dans l'UE, la Commission a considéré en juillet et en octobre 2023 dans le cadre du suivi régulier des effets des mesures de libéralisation en faveur de l'Ukraine prévu par le règlement (UE) 2023/1077, que la situation sur le marché européen de la viande de volaille ne le justifiait pas. Selon ces mêmes règlements, un État membre peut également solliciter l'activation d'une clause de sauvegarde s'il dispose d'éléments de preuve suffisants concernant des importations qui ont des effets préjudiciables sur le marché de l'UE. À l'heure actuelle, le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ne dispose pas d'éléments de preuves suffisants. Si la hausse des importations de viande de volaille ukrainienne dans l'UE du fait de la libéralisation tarifaire est indéniable, cette hausse doit toutefois être relativisée au regard du niveau de production, d'exportations et d'importations européennes et de la tendance à la hausse du prix du poulet. La hausse des importations participe d'une tendance générale d'augmentation de l'ensemble des importations européennes, dans laquelle les importations ukrainiennes semblent davantage avoir remplacé des importations en provenance d'autres pays (Royaume-Uni principalement). Il est néanmoins probable qu'une partie des importations françaises en provenance de Pologne et, surtout, des Pays-Bas soient la conséquence directe ou indirecte des importations ukrainiennes (c'est-à-dire issues de poulets d'origine ukrainienne et/ou conséquence d'une réorientation d'une partie de la production domestique remplacée par des importations ukrainiennes). Ainsi, sur les sept premiers mois de 2023, les importations françaises de viande de volailles ont progressé en volume [+ 4,1 % soit 18,2 kilos tonnes équivalent carcasse (ktec)] avec une hausse des volumes importés en provenance de l'UE, particulièrement depuis la Pologne (+ 11,2 % soit 15,2 ktec), les Pays-Bas (+ 13 % soit + 10,3 ktec) et la Belgique (+ 6,6 soit + 7,7 ktec). Cependant, en juin et juillet 2023, les importations totales de viandes et préparations de poulet en France ont enregistré des baisses successives (respectivement - 2,4 % et - 4,8 %), une première depuis 2021. Ces chiffres s'inscrivent dans une tendance lourde d'augmentation des importations de viande de volaille en France depuis une vingtaine d'années. La filière française de viande de volaille est en déficit structurel de production pour couvrir la consommation intérieure, notamment certains segments de marché. Entre 2018 et 2022, la France a exporté en moyenne 457 000 tec de viande de volaille par an (55 % à destination de l'UE) et importé en moyenne 699 000 tec de viande de volaille par an (93 % originaires de l'UE). Face à cette situation, la reconquête de la souveraineté alimentaire est une priorité de l'action du Gouvernement. C'est pourquoi les ministres chargés de l'économie et de l'agriculture ont annoncé le 6 octobre 2023, à l'occasion du sommet de l'élevage de Cournon, un plan de reconquête de la souveraineté sur l'élevage, décliné en quatre axes : - objectiver et promouvoir les apports de l'élevage ; - améliorer le revenu des éleveurs, y compris en renforçant la compétitivité des filières d'élevage ; - accroître l'attractivité du métier d'éleveur ; - replacer l'élevage au cœur de la transition écologique.
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