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Ségolène Amiot
Question N° 10154 au Ministère de l’économie


Question soumise le 18 juillet 2023

Mme Ségolène Amiot alerte M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur l'inégalité face à l'impôt causé par le mécanisme de solidarité fiscale entre époux et partenaire de Pacs même après séparation. Le système fiscal français, tel qu'issu de l'après-guerre, est conçu sur un modèle de solidarité familiale entre conjoints pour correspondre aux besoins des couples mono-actifs, c'est-à-dire, par exemple : une femme au foyer et un homme actif, un modèle bien désuet aujourd'hui. Malgré certains ajustements pour s'adapter à la nouvelle diversité des structures familiales, certains mécanismes de base de la fiscalité n'ont pas évolué et restent très favorables aux couples et au sein du couple au conjoint le plus aisé, c'est-à-dire à l'homme. La solidarité fiscale entre époux et partenaire de Pacs même après séparation est un de ces mécanismes inégaux et, le plus souvent, défavorable aux femmes. L'article 1691 bis du code général des impôts (CGI) indique que « Les époux et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité sont tenus solidairement au paiement de l'impôt sur le revenu lorsqu'ils font l'objet d'une imposition commune (...) ». Chacun des époux peut alors être tenu responsable par l'administration de la dette fiscale contractée par son partenaire. Le problème est que cette solidarité fiscale se poursuit même après le divorce du couple. En effet, en l'absence de paiement, l'administration fiscale peut réclamer la totalité de l'impôt indifféremment à l'un ou l'autre membre du couple séparé, sans aucune préparation préalable de la dette fiscale du foyer quelle que soit son origine et quel que soit le contrat de mariage. Les femmes sont les principales victimes de cette injustice fiscale. Elles peuvent alors se voir confisquer la totalité de leur patrimoine, même acquis avant le mariage ou hérité de ses parents, pour payer les errements fiscaux de leur ex-conjoint. Anne Berlioz raconte dans son témoignage « Bercy m'a tué » les horreurs mentales et matérielles auxquelles sont confrontées ces femmes, abandonnées par l'administration fiscale, par le ministre de l'économie et des finances, par l'État, les poussant parfois au suicide. En 2008, une tentative de correction de ce mécanisme injuste et misogyne est mise en place. Est alors intégré dans le code général des impôts un dispositif de « Décharge en responsabilité solidaire » qui autorise une répartition des dettes fiscales de la période commune du mariage entre les ex-partenaires. Cependant, ce mécanisme ne fonctionne pas et la situation de très nombreuses femmes reste inchangée. En l'état, le collectif des femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale indique que 75 % des demandes de décharge n'aboutissent pas. En effet, la condition imposant la « présence d'une disproportion marquée entre la dette fiscale et la situation financière et patrimoniale du demandeur » rend cette décharge quasiment inaccessible. En plus d'être bien trop vague, l'entière appréciation de la notion de « disproportion marquée » est laissée à l'administration fiscale, qui a une interprétation extensive de la loi et qui la refuse quasi systématiquement aux personnes actives ou disposant d'un patrimoine aussi réduit soit-il. Une femme active ou ayant le malheur de posséder un bien ou quelques économies est alors obligée par cette administration de tout sacrifier pour son ex-mari, n'ayant qu'une place de « dommage collatéral ». Il n'est plus possible qu'en France, pays ayant comme valeur « liberté, égalité, fraternité », certaines règles de l'administration, ici fiscale, soient encore injustes envers les femmes. C'est ainsi que, préoccupée par le respect d'une égalité parfaite entre les hommes et les femmes telle que présentée dans la loi et les valeurs françaises, elle lui demande ce qu'il compte mettre en place pour faire disparaître cette injustice fiscale et de permettre que la décharge de responsabilité solidaire devienne un droit accessible à toutes et à tous.

Réponse émise le 14 novembre 2023

Les couples mariés ou pacsés, tenus à des obligations réciproques en droit civil, font l'objet d'une imposition commune. Cette règle constitue l'un des fondements du droit fiscal français, notamment depuis la décision du Conseil constitutionnel 2012-662 DC qui juge que, pour l'imposition des revenus des personnes physiques, ne pas tenir compte de l'existence du foyer fiscal revient à méconnaître l'exigence de prise en compte des facultés contributives et le principe d'égalité devant les charges publiques. Le système du quotient, conjugal comme familial, permet de diviser le revenu global du foyer en fonction de sa composition pour l'imposer au barème progressif dans des tranches plus basses que celles qui lui auraient été appliquées en l'absence d'un tel mécanisme. Le quotient conduit aussi à ce que des foyers fiscaux ayant le même niveau de revenus et une composition familiale identique soient redevables du même impôt, indépendamment de la répartition des revenus entre les membres du foyer, conformément à ce qu'impose le Conseil constitutionnel. Les couples mariés ou pacsés étant soumis à l'impôt sur le revenu de manière conjointe, la solidarité de paiement en est le corollaire et constitue l'une des garanties de l'effectivité du recouvrement de la contribution commune aux charges publiques. Ainsi, les revenus tirés d'une activité, fût-elle occulte, constituent des revenus communs dont chacun des deux époux ou partenaires profitent nécessairement ne serait-ce qu'au travers du train de vie du couple, ou par la préservation de leurs patrimoines propres ou commun. Dès lors, aucun motif d'intérêt général ne justifie de ne pas poursuivre le recouvrement des impositions correspondantes envers chacun des codébiteurs. Le divorce ou la séparation ne saurait mettre fin de manière systématique à la solidarité fiscale au titre de la période d'imposition commune, sauf à créer une rupture d'égalité devant les charges publiques entre les contribuables ayant une dette fiscale et poursuivant leur vie commune d'une part, et ceux supportant la même dette fiscale mais séparés ou divorcés d'autre part. Comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel, en instituant la décharge de solidarité pour le paiement de l'impôt sur le revenu, de la taxe d'habitation et de l'impôt de solidarité sur la fortune (devenu l'impôt sur la fortune immobilière), le législateur a entendu concilier la garantie du recouvrement des créances fiscales, à laquelle contribue la solidarité de paiement entre époux ou partenaires de Pacs, avec la prise en compte des difficultés financières et des conséquences patrimoniales pouvant naître, pour l'un ou l'autre des conjoints divorcés ou séparés, de cette solidarité de paiement pour la période antérieure au divorce ou à la séparation (Cons. Const. 28-6-2013, n° 2013 330 QPC, Mme B.). Ainsi, la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007, portant loi de finances pour 2008, a institué, sous certaines conditions, un véritable droit à décharge de responsabilité solidaire (DRS) au profit de l'ex-conjoint ou de l'ex-partenaire lié par un Pacs tenu au paiement de l'impôt sur le revenu, de la taxe d'habitation et de l'impôt de solidarité sur la fortune (devenu l'impôt sur la fortune immobilière). Ce texte, codifié sous l'article 1691 bis du code général des impôts (CGI), prévoit des conditions spécifiques de recevabilité : la nécessité d'une rupture de la vie commune, la constatation d'un comportement fiscal exempt de toute critique et l'existence d'une « disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur ». L'instruction commentant les modalités d'appréciation des critères prévus par ce dispositif a été publiée le 20 avril 2009 (BOI n° 5 B-13-09) et complétée par diverses notes de service. La condition de disproportion marquée vise à prendre en compte les difficultés financières et patrimoniales du demandeur. L'examen de l'existence d'une telle disproportion s'effectue d'abord au regard de la situation patrimoniale en excluant la résidence principale quelle qu'en soit la valeur. Cette exclusion qui est prévue par la doctrine administrative, élargit l'accès au dispositif de DRS aux propriétaires de leur résidence principale afin de sauvegarder le toit des personnes divorcées et délaissées. La disproportion est considérée comme marquée si la situation financière du demandeur à la date de la demande ne permet pas d'envisager un plan de règlement de la dette fiscale, nette de la valeur du patrimoine, dans un délai fixé à 3 ans par l'article 139 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022. L'appréciation qui est faite, au cas par cas, par l'administration sur la disproportion marquée est toujours susceptible d'être soumise par les demandeurs au contrôle du juge de l'impôt garant d'une bonne application du dispositif par l'administration fiscale. Lorsque les conditions fixées par l'article 1691 bis-II du CGI sont remplies, le demandeur bénéficie d'une décharge de son obligation de paiement au titre de la fraction de cotisation d'impôt correspondant aux revenus de son conjoint et à la moitié des revenus communs. En outre, la décharge des intérêts de retard et des pénalités d'assiette est prononcée en totalité s'ils sont consécutifs à la rectification de bénéfices ou de revenus propres au conjoint. Enfin, l'article 1691 bis-III du CGI prévoit la possibilité pour le redevable qui a été déchargé partiellement de son obligation de paiement en vertu des dispositions de l'article 1691 bis-II du CGI, de déposer, simultanément ou postérieurement à la demande de décharge, une demande tendant à obtenir la remise gracieuse de la quote-part maintenue à sa charge lorsqu'il se trouve en situation de gêne ou d'indigence. L'esprit de la loi en matière de DRS et la volonté du législateur étaient d'instaurer une procédure encadrée pour les personnes divorcées et délaissées justifiant être dans l'incapacité de faire face au règlement de l'impôt commun. En l'état, le dispositif qui est ouvert à tous les ex-conjoints ou ex-partenaires de Pacs sans considération relative à leur genre ou sexe, répond à ces objectifs et paraît équilibré. Ainsi, l'ex-conjoint ou partenaire de Pacs qui se retrouve seul, dépourvu de patrimoine ou propriétaire de sa résidence principale et dont les moyens financiers ne lui permettent pas de faire face au paiement de la dette fiscale du couple, constitue le profil type des personnes admises à bénéficier de la DRS. Une ouverture plus large du droit à DRS, qui ne prendrait pas en compte les facultés contributives du demandeur, serait contraire à l'objectif du Gouvernement de lutte contre la fraude en permettant facilement à des contribuables de connivence de simuler une situation de séparation, afin d'échapper par ce biais au recouvrement de leurs dettes qui, en ce qui concerne les DRS sont quasi exclusivement issues d'un contrôle fiscal. En l'état le dispositif de DRS, récemment assoupli de façon substantielle paraît équilibré et il n'est pas envisagé de le modifier de nouveau, d'autant que sa mise en œuvre conduit l'administration fiscale à faire un examen au cas par cas particulièrement attentif des situations individuelles de chaque demandeur de décharge, et que les décisions prises par les services locaux peuvent faire l'objet d'un recours hiérarchique auprès des services centraux de la direction générales des finances publiques (DGFIP), ou être soumises au contrôle du juge de l'impôt.

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