M. François Ruffin interroge M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, sur les négociations d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Australie. « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond, à d'autres, est une folie ». Ainsi s'exprimait le Président de la République, Emmanuel Macron, au cœur de la crise covid, en mars 2020 : la mondialisation à tout prix était une folie, qu'il fallait réguler. Depuis, le déficit commercial du pays a atteint 164 milliards d'euros pour cette année : un record historique ! Les importations de viande en France ont augmenté de janvier à novembre 2022, dépassant même le niveau d'avant la pandémie, à plus de 353 000 T de viandes. C'est + 23 % par rapport à 2021 ; + 38 % par rapport à 2020. La France importe actuellement 28 % de sa viande : 43 % du poulet, 53 % du mouton, 19 % de notre viande bovine. Et après avoir conclu, notamment, un accord avec le Mexique, le Chili, la Nouvelle-Zélande, la Commission européenne négocie actuellement avec l'Australie ! Une étude commandée par le ministère de l'agriculture portant précisément sur les accords de libre-échange UE/Nouvelle-Zélande et UE/Australie montrait pourtant dès novembre 2020 qu'une levée des restrictions douanières « ferait peser des risques significatifs sur les filières françaises et européennes, sans présenter de réelles opportunités ». Cet avertissement n'a manifestement pas été pris en compte. Sur le projet d'accord de libre-échange avec l'Australie, seules quelques bribes d'informations ont fuité : il serait question de 24 000 T pour la viande bovine et de 20 000 T pour la viande ovine. Des volumes qui pourraient bien augmenter, l'exécutif australien ayant déjà fait part de sa « déception » : il souhaiterait que l'Union européenne lui cède les droits de s'approprier l'AOC de dizaines de fromages et charcuteries européens comme le « roquefort » ou le « gouda ». Pourtant, en septembre 2022, le Président de la République le rappelait : il faut « acheter » et « consommer » français car la défense de la « souveraineté agricole et alimentaire » est « la mère des batailles ». En juin 2023, le ministre de l'agriculture, Marc Fesneau, a appelé les autres États membres de l'UE à une prise de conscience européenne : « Il ne faudrait pas avoir le même retard sur l'agriculture que celui que nous avons découvert à l'automne dernier sur l'énergie. La Commission doit penser l'agriculture comme un élément clef de la souveraineté. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, l'agriculture joue souvent la variable d'ajustement ». Il est peu probable que Marc Fesneau ait été entendu, même au sein de son propre camp, puisque pas plus tard que le 27 juin 2023, M. le ministre délégué s'est félicité de la signature d'un nouvel accord de libre-échange, avec la Nouvelle-Zélande cette fois, soi-disant « le premier à intégrer la nouvelle approche de l'UE en matière de commerce et de développement durable ». Cette nouvelle approche « plus durable », en quoi consiste-t-elle ? Il s'agit d'importer des dizaines de milliers de tonnes de viande produites à 12 000 kilomètres de la France, au mépris de toute logique écologique et de toute prise en compte du bien-être animal. De valider le recours massif de l'agriculture néo-zélandaise à des produits éminemment toxiques pour l'environnement comme l'atrazine ou le Diflubenzuron. D'appuyer le développement des tourteaux de palme, une monoculture qui cause, on le sait, la déforestation dans les forêts d'Asie du Sud-Est. Aucune des très rares clauses miroirs adoptées afin que les normes sanitaires, environnementales et de bien-être animal de l'Union s'appliquent aux produits importés sur son marché ne seront appliquées pour les nouveaux contingents d'importation de viandes bovines, ovines et de produits laitiers octroyés à la Nouvelle-Zélande. En sera-t-il de même pour l'accord de libre-échange que la Commission européenne négocie actuellement avec l'Australie dans l'opacité la plus totale ? Quels sont les contenus des négociations ? À l'heure de penser un modèle local et soutenable pour l'agriculture française, le Gouvernement va-t-il brader de nouveau la souveraineté alimentaire du pays et mettre les agriculteurs français en concurrence avec l'autre bout du monde ? Il souhaite connaître sa position sur le sujet.
La Commission européenne, mandatée par les Etats membres, a débuté les négociations commerciales avec l'Australie en juillet 2018. Ces discussions, ralenties à la suite de l'annonce du partenariat AUKUS en septembre 2021, ont repris en 2022. Elles ont depuis progressé et devraient pouvoir aboutir sur un texte satisfaisant pour les deux négociateurs. L'Australie souhaite avancer sur ce calendrier, car l'objectif de diversification de ses sources d'approvisionnement est prioritaire dans un contexte de tensions sur ses chaînes de valeur. La France soutient également ces négociations avec l'Australie, qui est un partenaire politique et économique important dans le cadre de nos stratégies française et européenne dans l'Indopacifique. L'excédent commercial structurel français est évalué à hauteur de 1 à 1,2 milliard d'euros, ce qui constitue l'un de nos premiers excédents commerciaux, principalement dans le domaine agricole ainsi que des vins et des spiritueux. L'Australie est par ailleurs la 8e destination des investissements directs français, soit 13,6 milliards d'euros de stock d'investissements. La France évaluera le contenu de cet accord une fois que le texte lui sera présenté. Elle considère toutefois qu'il devrait permettre de renforcer les exportations françaises, en supprimant les droits de douane pesant sur nos exportations (représentant 5 % sur les vins et spiritueux, 1,22 $/kg sur les fromages, entre 1 et 5 % sur les produits agroalimentaires transformés) en fluidifiant le processus de reconnaissance des standards SPS européens ou encore en levant des obstacles techniques au commerce, notamment sur les vins. La France travaille par ailleurs étroitement avec la Commission européenne en vue d'obtenir des garanties sur les indications géographiques. La France continuera à se mobiliser auprès des services de la Commission pour défendre leur protection et s'assurer de mettre fin à certaines utilisations génériques sur le territoire australien. Cet accord est également de nature à ouvrir des perspectives notables pour de nouvelles coopérations stratégiques sur les matières critiques, l'Australie étant le premier exportateur de lithium mais aussi un exportateur important de nickel et de terres rares. Les gains de compétitivité devraient se situer entre 5 et 10 % pour nos exportateurs. Enfin, il pourrait ouvrir de nouvelles opportunités en matière de marchés publics pour les opérateurs et entreprises européennes, lesquelles s'élèvent à plus d'une dizaine de milliards par an en Australie. Au regard de l'état des négociations, cet accord devrait enfin être conforme à la nouvelle approche de l'UE en matière de développement durable, qui avait été portée à l'occasion de la présidence française du Conseil de l'UE. Cela représente une concession importante de l'Australie, premier émetteur de CO2 par habitant de l'OCDE et pays n'ayant pris que récemment un engagement de neutralité carbone. La France a rappelé tout au long des négociations la nécessité que cet accord intègre le respect de l'Accord de Paris en tant qu'élément essentiel et un mécanisme de règlement des différends prévoyant la possibilité de mesures de rétorsions tarifaires en cas de violation persistante des principaux engagements en matière de développement durable.
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