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Karine Lebon
Question N° 10028 au Ministère du travail


Question soumise le 11 juillet 2023

Mme Karine Lebon appelle l'attention de M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur la nécessaire prise en compte des trajets domicile-travail dans le calcul du temps de travail effectif par l'employeur. À l'heure actuelle, les dispositions du code du travail ne permettent aucunement aux salariés d'opposer ce temps de trajet afin de s'acquitter de davantage de cotisations et donc d'ouvrir certains droits supplémentaires. En effet, son article L. 3121-4 dispose que « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif ». La jurisprudence vient d'établir un premier lien entre trajet professionnel et temps de travail puisque la Cour de cassation, dans son arrêt du 23 novembre 2022, a estimé que le temps de trajet des salariés itinérants pouvait désormais être qualifié de temps de travail effectif, suivant ainsi une décision de la Cour de justice de l'Union européenne. Dans l'arrêt Tyco rendu en 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a en effet jugé au visa de l'article 2 de la directive n° 2003/88 du 4 novembre 2003 que, lorsque « les travailleurs n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du « temps de travail », au sens de cette directive, le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites des premiers et derniers clients désignés par l'employeur » (CJUE, 10 sept. 2015, nº C-266/14, Tyco). Cette reconnaissance pour les itinérants devrait s'appliquer aux autres catégories de salariés, les Français passant en moyenne près d'une heure par jour dans les transports pour aller travailler. Une étude d'Euro Car Parts de 2018 a étudié les pratiques des Français en la matière et a calculé que la moyenne du temps passé chaque semaine dans les transports, tous modes confondus, est de trois heures trente. C'est-à-dire 160 heures chaque année ou 6,6 jours et 326 jours (7 820 heures) sur toute une vie de travail. Le développement du télétravail a, pour certains, réduit drastiquement ce temps non pris en compte par l'employeur, mais le nombre de travailleurs pouvant en bénéficier reste anecdotique. Le temps de travail effectif étant légalement considéré comme le « temps pendant lequel un salarié ou un agent public est à la disposition de l'employeur ou de l'administration et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles », il faut aujourd'hui s'interroger sur les outils technologiques mis à disposition des salariés qui en ont besoin et qui peuvent rendre la déconnexion difficile. Sur le trajet entre le domicile et le travail, les salariés répondent à leurs courriers électroniques, aux messages professionnels, passent des appels dans le cadre de leur emploi : il est ainsi difficile de supposer qu'ils vaquent librement à leurs occupations personnelles. Si la prise en charge par l'employeur des déplacements entre le domicile et le lieu de travail, permise notamment par la loi d'orientation des mobilités de 2019, est une première étape permettant de soulager partiellement le pouvoir d'achat des salariés, il est urgent de reconnaître ce trajet comme du temps de travail effectif. Les dispositifs dont peuvent bénéficier les salariés, comme le remboursement de leur abonnement de transport en commun ou le forfait mobilité durable, ne peuvent alléger l'épreuve du temps passé dans les transports. Alors que les Français devront travailler deux ans de plus pour ouvrir leurs droits à la retraite, il n'a jamais été question pour le Gouvernement de comptabiliser ces 326 jours passés sur la route entre le domicile et le travail dans le calcul des droits en termes ni de pénibilité ni de nombre de trimestres cotisés. C'est pourquoi elle lui demande à quelle échéance une réflexion approfondie sera menée pour considérer le temps de trajet domicile-travail comme temps de travail effectif, ainsi que les dispositifs que son ministère a déjà imaginés pour que ce temps puisse un jour être pris en compte dans le calcul des droits à la retraite.

Réponse émise le 5 septembre 2023

En matière de prise en compte du temps de travail effectif, la législation en vigueur (article L. 3121-4 du code du travail) prévoit que : « Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il doit faire l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif ou, à défaut, par décision unilatérale de l'employeur prise après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire. ». Sous l'influence du droit européen, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence pour les salariés itinérants qui sont des salariés qui se trouvent dans des situations particulières car ils n'ont pas de lieu de travail fixe. L'arrêt Tyco de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 10 septembre 2015 (C-266/14) ne concernait que les salariés itinérants. La Cour a jugé que « L'article 2, point 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, dans lesquelles les travailleurs n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du « temps de travail », au sens de cette disposition, le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur. ». La Cour de cassation a pris en compte l'évolution de jurisprudence communautaire, notamment par son arrêt du 23 novembre 2022 (arrêt n° 1328 FP-B+R), qui modifie sa jurisprudence pour les salariés itinérants « Eu égard à l'obligation d'interprétation des articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du code du travail à la lumière de la directive 2003/88/CE, il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu'elle est fixée par l'article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d'application de l'article L. 3121-4 du même code. ». Ce qui reste déterminant pour le juge est le degré de dépendance, l'absence de liberté de choix, la contrainte imposée par l'employeur dans l'organisation du temps de déplacement. Si ces éléments ne sont pas réunis, le temps de déplacement ne peut pas être considéré comme du travail effectif au sens de la directive. Dans l'arrêt du 25 janvier 2023 (décision n° 10025F) qui concernait un salarié qui n'était pas un salarié itinérant, la Cour de cassation a jugé que « s'il appartient au juge, en cas de temps de trajet anormal entre le domicile du salarié et son lieu de travail, de fixer le montant de la contrepartie due, il ne peut pour ce faire assimiler le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail à un temps de travail effectif ; qu'en condamnant la société X à payer les heures supplémentaires demandées par Monsieur C au titre de ses temps de trajet, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-4 du code du travail. ». Par ailleurs, il convient de rappeler que l'étude en question repose sur un sondage réalisé auprès des Français sur leurs transports domicile-travail ; il est indiqué que la voiture est encore le moyen le plus utilisé : 79 % des interrogés s'en servent pour se rendre au travail ; cette donnée tend à relativiser l'affirmation que les outils technologiques tendent à transformer le temps de trajet en temps de travail en permettant aux salariés de répondre aux courriers électroniques, aux messages professionnels ou de passer des appels professionnels. Au regard de ces différents éléments, une modification législative ne paraît pas justifiée.

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