. – Je précise qu'en tant que professeur en ingénierie du bâtiment, j'ai créé cette nouvelle filière en 1992 à l'université de La Rochelle : elle n'existait pas auparavant dans la géographie universitaire française. Je n'ai pas la prétention de représenter aujourd'hui l'ensemble du monde de la recherche, mais je souhaiterais simplement vous apporter quelques éléments relatifs au cadre de réflexion, aux forces vives en présence et à l'organisation.
Le travail d'un chercheur est aussi de répondre aux questions posées par la société. Dans notre domaine, nous sommes confrontés à des enjeux sociétaux, environnementaux et énergétiques majeurs, ainsi que vient de le rappeler Hervé Charrue. Dans ce cadre, les questions posées à la recherche visent à éradiquer la précarité énergétique, limiter l'impact environnemental des bâtiments au niveau local – îlots de chaleur urbains par exemple – et global avec le problème de l'évolution climatique, réduire de façon drastique la consommation énergétique des bâtiments sans concession ni à la santé, ni au confort des usagers, enfin assurer la durabilité et la résilience des solutions techniques face aux aléas et à l'évolution du climat.
Quels sont, en France, les moyens mobilisables ? Dans notre domaine, la communauté scientifique est assez riche – j'ai recensé quelques 500 auteurs de publications sur ces thématiques – mais aussi très dispersée. On trouve des centres de recherche chez les industriels, le CSTB, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), les centres techniques, la recherche académique (CNRS et universités, dont trois unités mixtes affichant un axe de recherche sur le bâtiment et des chercheurs isolés, l'école des Mines, le CEA, etc.), les plateformes issues du Grenelle (dont Tipee, que j'ai l'honneur de présider, Nobatek/Inef4, Efficacity ou le centre « Construction durable et écomatériaux » dit Codem), toutes chargées d'effectuer, sur l'ensemble du territoire, de la recherche partenariale ou en propre, mais aussi de diffuser les bonnes pratiques vers les acteurs, et les laboratoires des énergéticiens (Engie Lab, EDF R&D, etc.), qui assurent une présence dans ce domaine et se sont parfois substitués à la recherche publique pour financer certains travaux durant des périodes de vaches maigres.
Il convient de noter que les financements de la recherche dans ce domaine sont en totale inadéquation avec les enjeux, sachant que l'on fait peser sur le bâtiment des défis sociétaux majeurs.
L'investissement public et privé, qualifié d'insuffisant dans tous les rapports publiés au cours des dernières décennies, représente en moyenne 1 pour 1000 de la valeur ajoutée de la filière. Pour certaines autres filières comme l'informatique, les ordres de grandeur sont bien différents.
Plus inquiétante encore est la décroissance constante des crédits publics alloués au secteur, qui représentent aujourd'hui moins de 1 % des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Ainsi, on ne trouve plus, dans le schéma ANR 2023, les mots « bâtiment » ou « ville ». L'ANR agissant au taux de pression, ce sont surtout les grosses communautés qui sont représentées. Il existait auparavant des programmes fléchés, intitulés « Bâtiments et villes durables », puis « Villes et bâtiments durables », or tout ceci a cessé. Les appels à projets fléchés ont disparu. Historiquement, Prébat a pendant un temps coordonné tout cela. Ceci a été repris par la suite dans le cadre du Programme d'investissements d'avenir (PIA), avec des projets se rapprochant davantage de la mise en œuvre que de la recherche, mais auxquels ont participé des équipes de recherche. Je pense par exemple au programme « Bâtiment et îlots à énergie positive et bilan carbone minimal » coordonné par l'Ademe, qui a permis des projets structurants dans le domaine de la réhabilitation, dont plusieurs étaient fléchés.
On observe, comme je l'indiquais précédemment, une production scientifique assez riche : 500 publiants recensés certes mais ils sont parfois difficiles à identifier dans la mesure où le bâtiment est davantage un domaine d'application que de recherche, même si les aspects systémiques peuvent nécessiter de la recherche spécifique. Les publiants se retrouvent ainsi dans les domaines des matériaux, de l'énergie, du numérique. L'innovation n'est en outre pas forcément technologique, mais peut aussi être méthodologique, notamment en matière de réhabilitation. Plusieurs travaux doctoraux ont ainsi été publiés en France sur des méthodologies d'optimisation des opérations de réhabilitation, qui sont aujourd'hui disponibles et pour partie transférées comme outils pour le secteur aval. Des travaux ont également été menés sur des aspects de sciences humaines, un peu délaissés durant un temps et qui ont repris de l'importance autour de l'acceptabilité des solutions et du comportement des usagers vis-à-vis des opérations de réhabilitation. Un autre domaine majeur, central, est celui de la santé et du confort.
En résumé, les budgets alloués à la recherche sont fortement décroissants et en totale inadéquation avec les enjeux pesant sur le bâtiment. Trop peu de projets sont financés par des moyens publics, ceux de l'ANR notamment, et la communauté est difficile à mobiliser. Faute de programmes structurés et face à des taux de retour très faibles, les chercheurs se sentent découragés. On observe toutefois depuis quelques années une évolution positive, pour laquelle je félicite le CSTB. Nous avons en effet signé voici dix ans environ une première convention avec le CNRS notamment, qui s'est enrichie de conventions multiples avec des équipes de recherche sur tout le territoire. Ceci produit indéniablement des effets bénéfiques.
En conclusion, je souhaiterais insister sur le fait qu'il ne faut pas conditionner le lancement d'un effort de rénovation important à l'atteinte de nouveaux résultats de la recherche. En effet, les acquis de plusieurs décennies permettent d'aborder sereinement le problème de la réhabilitation des bâtiments, avec des outils efficaces et des technologies éprouvées. Nous disposons d'ores et déjà d'éléments tangibles pour travailler. Pour autant, la recherche doit bien évidemment poursuivre son effort, afin d'apporter une contribution à la fois technologique et méthodologique au secteur.
Il me semble enfin opportun de resituer la question dans un cadre plus large, c'est-à-dire à l'échelle européenne. De très nombreux travaux ont été menés au niveau européen dans le domaine de la rénovation, qui permettent d'alimenter la réflexion et de favoriser la diffusion des bonnes pratiques. L'un des objets de la recherche est en effet de produire des résultats et d'en assurer, souvent avec l'aide des industriels, le transfert sous forme de bonnes pratiques. Ainsi, le groupe de travail Renovate Europe, qui capitalise l'ensemble des résultats sur la rénovation énergétique est intéressant car il propose des déclinaisons par pays. Voici quelques années, j'avais travaillé avec des économistes danois qui avaient essayé d'évaluer les bénéfices financiers pour l'ensemble des États membres d'une rénovation globale en Europe. Le premier de ces bénéfices, notamment pour la France, résidait dans l'amélioration des qualités sanitaires et la réduction des coûts de santé publique. Ainsi, aborder uniquement la rénovation sous l'angle de l'énergie n'est certainement pas la bonne méthode. On n'a jamais construit de bâtiment pour économiser de l'énergie. Depuis que l'humain cherche des abris, il recherche avant tout la sécurité, la santé et le confort. Les questions d'énergie ou d'impact environnemental sont des contraintes de conception, non des objectifs.