. – Je souhaiterais tout d'abord effectuer un bref rappel permettant de positionner l'enjeu de la rénovation énergétique. La France compte plus de 35 millions de logements, avec un taux de renouvellement et de rénovation très faible, soit environ 1 % de constructions neuves et 1 % d'équivalent pour la rénovation. Face à cela, les ambitions et les enjeux sont maintenant bien connus : on pense bien évidemment au changement climatique, qui a eu cette année des retentissements plus importants qu'auparavant, à la problématique énergétique et environnementale qui en découle, aux enjeux sur le CO2 et les ressources, notamment au niveau des matières premières, à l'impact de l'évolution démographique et du vieillissement de la population (avec une nécessaire adaptation des logements), aux problématiques de santé (à l'image du Covid qui persiste) qui impliquent de trouver dans les bâtiments, où nous passons plus de 80 % de notre temps, des solutions pour éviter ces épidémies, et surtout à une mutation des usages, sachant qu'avec l'arrivée du numérique le bâtiment a un rôle très important dans l'économie française.
Le sujet de la rénovation est majeur et les acteurs du domaine ont une vision assez réaliste du secteur du bâtiment : il s'agit d'un système résilient, mais généralement mal adapté aux enjeux qui se présentent à nous : changement climatique, précarité énergétique, réduction des consommations d'énergie, etc. Rénover suppose d'être en capacité d'amener à la fois le driver énergétique auquel on fait référence, mais aussi de prendre en compte tous les autres enjeux, principalement sanitaires et de confort, pour lesquels il existe une appétence et qui renvoient à une problématique au sens économique du terme.
Concernant l'état des lieux en matière de rénovation énergétique, je pense que l'on peut simplifier la question en la recentrant sur les quatre leviers existants.
Il faut tout d'abord une meilleure connaissance du parc, actuellement insatisfaisante. Je souhaite à ce propos signaler une réalisation assez récente, mise en œuvre dans le cadre des certificats d'économies d'énergie par le CSTB et ses partenaires, sous la forme d'une base de données nationale des bâtiments permettant de récupérer, grâce au croisement de différentes bases, pour chaque bâtiment de logements et bientôt pour le tertiaire, des données non seulement cadastrales, mais aussi de constitution, voire d'enveloppe ou de consommation. Cet outil de référence a vocation à être enrichi. Il pourra, dans de nombreux cas, servir de base au diagnostic en termes de priorité à donner à la rénovation. Ces sujets sont extrêmement importants.
Ensuite, on voit fleurir de nombreux acteurs qui se prévalent d'établir des diagnostics, notamment des DPE. Ceci pose question. La presse s'est, en effet, fait l'écho de situations montrant que les performances de ces diagnostiqueurs n'étaient pas forcément à la hauteur de ce qui est attendu. Sans doute y a-t-il quelque chose à faire dans ce domaine.
Au-delà du diagnostic, il faut savoir que des solutions techniques existent depuis longtemps déjà pour rénover les bâtiments et ont fait l'objet de recherches nombreuses, qui se poursuivent et montrent que l'on dispose de capacités à répondre aux différents enjeux de la réduction de la consommation d'énergie et de l'amélioration du confort. Elles sont toutefois, du fait de leur non massification, associées à des problématiques économiques.
Un autre sujet est donc celui de l'économie. Il s'agit d'un enjeu national, autour notamment de la question de la précarité. Il est évident que les personnes qui se trouvent en situation de précarité et vivent dans des « passoires thermiques » ont généralement des difficultés à effectuer une rénovation complète de leur logement, malgré les aides proposées. La question est la suivante : disposons-nous d'un modèle permettant d'assurer une rénovation en masse, sans mettre en porte à faux la capacité de chacun à s'offrir par ailleurs des éléments de confort et de mobilité ? En effet, grever son budget pour effectuer des travaux de rénovation de bâtiment peut conduire à devoir réduire d'autres postes de dépenses, y compris de la vie courante. Ces sujets doivent être traités.
Le dernier point, qui constitue sans doute le nœud gordien de la rénovation, est celui de la capacité de production. Les politiques successives ont en effet envisagé d'effectuer des rénovations en nombre, en surplus des productions dont le nombre oscille actuellement entre 350 000 et 450 000 logements neufs ou rénovations lourdes : ainsi, rénover 500 000 logements supplémentaires suppose de mobiliser des capacités qui font aujourd'hui défaut. Nous avons déjà eu à ce propos des échanges avec les différents partenaires. La problématique centrale est celle de la massification des solutions : faut-il considérer que chaque bâtiment est un modèle unique, nécessitant une réponse spécifique ou au contraire qu'il est possible d'apporter des solutions de masse, permettant de déployer des solutions techniques avec des coûts de production relativement bas et ainsi de résoudre l'équation économique ? Il convient en outre de ne pas omettre d'examiner des questions adjacentes, comme le fait que des solutions trop uniformes peuvent avoir des impacts sur la qualité de vie, notamment urbaine : effectuer par exemple une rénovation par l'extérieur – comme ce fut le cas à Grenoble – peut créer une certaine uniformité architecturale susceptible de poser problème.
Un autre sujet, à côté de la question de la rénovation des bâtiments individuels pour lesquels chacun peut prendre ses dispositions, est celui des copropriétés, pour lesquelles l'engagement de rénovations reste un sujet majeur, qui fait débat. Nous avons souvent vécu des situations de rénovation, notamment acoustique, accompagnées par l'Ademe, qu'il s'avérait impossible, pour des raisons budgétaires, de coupler avec une rénovation thermique.
La problématique des solutions constitue pour moi un vrai sujet. Nous sommes aujourd'hui en capacité d'apporter des réponses assez globales, permettant une performance moyenne de haut niveau, sans pour autant être la meilleure performance possible pour le bâtiment. Il faut en effet tenir compte de la relation coût/bénéfice. Ceci passe par une logique d'approche industrielle, sachant qu'une rénovation par l'extérieur sur une barre de bâtiments avec une copropriété permet de ne pas intervenir dans les logements, tandis qu'une solution de rénovation par l'intérieur implique une intervention en site occupé qui crée des problèmes en termes d'acceptabilité et de qualité de la relation entre usagers et corps professionnels.
Le sujet de la formation est tout aussi important, notamment pour articuler les phases de travaux. En effet, si les solutions industrielles existent au niveau des équipements et des matériaux, un problème non encore résolu est celui des interfaçages entre les différentes solutions. Souvent, les industriels vendent une solution sans disposer d'un interfaçage permettant d'assurer la continuité de l'installation du produit dans la performance globale du bâtiment. Prenons l'exemple d'une fenêtre : elle peut être parfaitement qualifiée et certifiée en laboratoire, mais l'industriel qui la vend ne prévoit pas en général de donner à l'installateur le système d'assujettissement qui va garantir l'étanchéité à l'air, la thermique et l'acoustique. Ces questions d'interfaçage nécessitent la prise en compte par les industriels d'une intégrabilité robuste de la part des professionnels : ceci suppose des formations de haut niveau, mais aussi des solutions – excusez ce terme quelque peu désobligeant – dites « idiot-proof », c'est-à-dire garantissant au système un niveau de performance minimal, quelle que soit la personne chargée de le mettre en œuvre.
Sont venus s'ajouter à ces sujets les enjeux de ressources et de carbone liés au changement climatique et à l'environnement, qui impliquent de tenir compte des taux de déchets rencontrés dans le secteur du bâtiment et de la quantité d'énergie grise stockée, donc des économies de carbone que ceci représente potentiellement, sans pour autant différer la capacité d'intervention sur les sujets de rénovation actuels. La problématique majeure à laquelle nous sommes confrontés est en effet celle du passage à l'acte. Nous sommes toujours dans une zone de transition, qui a concerné l'énergie, puis le carbone. Or si l'on attend de traiter la question du carbone dans une situation de rénovation énergétique, on ne passera pas à l'acte rapidement et il faudra encore attendre pour que le secteur du bâtiment réponde aux enjeux qui sont les siens, à savoir réduire sa consommation d'énergie et ses impacts carbone.
Pour moi, la rénovation des bâtiments reste un sujet majeur, qui mobilise les résultats des recherches antérieures, lesquelles ont porté leurs fruits en termes de solutions technologiques et doivent se poursuivre pour l'intégrabilité, en changeant d'échelle dans la mesure où les approches multicritères se multiplient, l'impact sanitaire d'une crise comme celle de la Covid pouvant par exemple conduire, dans une logique de prévention, à une modification des systèmes de ventilation. Néanmoins, il faut commencer à passer vers des sujets énergétiques et de rénovation prenant en compte les problématiques actuelles de confort, de santé et d'adaptation du bâtiment, ce qui suppose le développement de solutions au niveau des acteurs et une main-d'œuvre adaptée, formée et plus nombreuse. Or l'attractivité du secteur n'est pas au rendez-vous, avec des salaires trop bas et une valeur ajoutée reportée vers les industriels, même si le niveau moyen en termes d'ingénierie s'est fortement étoffé, avec des formations d'enseignement supérieur autour de l'énergie, l'environnement et la santé. La mise en œuvre et la régulation des solutions restent toutefois, à l'échelle nationale, un vrai problème de formation initiale et continue.
Le sujet fondamental de la capacité à produire avait déjà été pointé avant 2010. Je pense que l'intégration du numérique, du building formation model, est un moyen d'attirer des acteurs sur une logique permettant le passage à des solutions plus industrialisées, même si ceci est sans doute moins adapté aux TPE-PME, qui vont certainement mettre plus de temps à prendre leur envol sur ces sujets. Il s'agit d'un élément majeur, permettant in fine le contrôle de la performance tel que cela a été rappelé dans le cadre des recommandations formulées par l'OPECST en 2009. Ce sujet de la mesure de la performance après réalisation draine nombre d'autres aspects, dont le fait que l'on observe encore beaucoup de non qualité en livraison, avec des impacts sur la performance énergétique, économique et environnementale, et avec parfois la génération de grandes quantités de déchets.
Cette expérience vécue par toute personne ayant effectué des travaux chez elle ou dans un bâtiment public ou autre implique de nombreux questionnements, dont beaucoup sont encore devant nous. Je pense que les acteurs présents autour de la table ont la capacité à apporter des solutions. Subsistera toutefois la dimension économique. Je rappelle que la question de savoir s'il fallait doter le secteur du bâtiment d'un régime spécifique par rapport aux règles budgétaires européennes avait été abordée voici fort longtemps, autour de l'idée que tous les pays conduisant une politique de rénovation énergétique pour maîtriser le changement climatique devaient pouvoir déroger au critère des 3 % de déficit budgétaire. Pour l'instant, ceci n'a pas été fait. Je pense qu'il y a véritablement des perspectives dans ce domaine. Mais si des solutions techniques se développent au sens industriel du terme, avec par exemple des maisons industrialisées en off-site comme le font déjà certains industriels coréens, anglais ou états-uniens, on court le risque, comme l'a déjà pointé la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), de voir ce marché investi par des acteurs étrangers. Je pense pour ma part que le bâtiment est un secteur qui peut générer un emploi durable, pour peu qu'il soit attractif : il faut revisiter cet ensemble, en activant les leviers que sont la force de production, les outils et solutions industriels, les outils issus de la recherche pour la qualification et les modèles économiques développés.
Voici, brièvement exposée, la position qu'il nous faudrait avoir. J'ajoute qu'en matière de recherche – mon collègue Francis Allard y reviendra très certainement – le secteur du bâtiment consent un effort proche de la paupérisation, inférieur à 3 pour 1000 de la valeur ajoutée. Ce sujet est éminemment social : faut-il réinvestir dans ce secteur ? Quel sera le rôle du bâtiment dans l'équation incluant la mixité énergétique, le transport ? Faudra-t-il faire de la recherche énergétique in situ dans des sites privés ou dans l'espace public ? Quelle mixité ceci va-t-il produire ?