Nous ne savons pas si le Parlement sera autorisé pendant très longtemps par le Gouvernement à discuter le contenu de ce projet de loi de finances (PLF) qui intervient dans le contexte d'une inflation persistante et de défis considérables pour le travail et l'emploi. Qu'à cela ne tienne, profitons du moment...
La hausse du budget de la mission Travail et emploi doit être relativisée : dans ce contexte, elle était très attendue pour financer tous les objectifs – vous venez de l'expliquer aussi par la dynamique des exonérations de cotisations –, et elle résulte largement de la disparition du programme Cohésion de la mission Plan de relance.
Les crédits du programme 102 Accès et retour à l'emploi sont toutefois en diminution, a contrario de la dynamique observée l'an passé. Le Gouvernement explique que cette diminution est due à l'amélioration de la situation. Permettez-moi de trouver cette hypothèse très hasardeuse, a fortiori au regard de la réforme de l'assurance chômage en cours d'adoption, qui aura pour effet de rendre les fins de droits plus précoces. À rebours de la tendance observée au cours du précédent quinquennat, le montant des crédits versés à Pôle emploi au titre de la subvention pour charges de service public augmente. Rappelons toutefois qu'il ne s'agit que d'un léger rattrapage qui fait suite au reflux de l'implication de l'État dans le financement de Pôle emploi.
Le Gouvernement entend diminuer le plafond d'emplois de l'opérateur. Comment justifier cette nouvelle baisse, qui sera nécessairement préjudiciable aux conditions de travail des salariés alors que vous annoncez une reconfiguration du service public de l'emploi qui appellerait plutôt un renforcement des moyens ?
La hausse des crédits du programme 103 s'explique très largement par le rapatriement des crédits dédiés à l'activité partielle qui figuraient auparavant dans la mission Plan de relance. Ce programme finance également la validation des acquis de l'expérience (VAE). Je m'étonne que la dotation prévue d'un million d'euros soit constante alors que vous venez d'engager au débotté une réforme visant à donner de l'ampleur à la VAE. Comment comptez-vous la financer en 2023 ?
Concernant les crédits du programme 111 Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations de travail, pouvez-vous apporter quelques précisions sur l'utilisation concrète qui a été faite en 2022 de l'action Renforcement de la prévention en santé au travail ?
Dans le programme 155 Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail, pourquoi les crédits dédiés à la communication bondissent-ils de 3,4 millions d'euros à près de 10 millions, soit une hausse de près de 200 % ? Ne pensez-vous pas que d'autres actions de ce programme auraient mérité une telle augmentation ? Je pense notamment aux crédits destinés à la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), dont les travaux sont précieux dans un monde du travail en mutation profonde. Votre ministère envisage-t-il d'avoir recours à des cabinets de conseil ? Si oui, pour quelles missions et pour quels montants ?
Je braque maintenant le projecteur sur le service public de l'emploi dans un contexte de réforme annoncée. France Travail est un objet encore très flou. Si un préfigurateur a été nommé pour préparer sa mise en place dès 2024, les acteurs que j'ai auditionnés ne disposent d'aucun élément précis sur son périmètre et son contenu. Ils soulignent les efforts déjà entrepris dans le rapprochement des différents acteurs du service public de l'emploi dont France Travail semble être le prolongement. Mais quel est le diagnostic et que peut-on dire de l'ensemble des objectifs poursuivis, sans parler de la forme juridique que prendra France Travail ? Les enjeux sont multiples. Ainsi, quid des jeunes les plus éloignés du travail qui doivent être remobilisés et affrontent des problématiques dites périphériques ? Aucun financement n'est aujourd'hui fléché vers des solutions et les missions locales ont trop peu de leviers.
Autre sujet : il faudrait évaluer les effets des financements publics de l'insertion, entre éparpillement des fonds et financement de majors de l'insertion. Cette réforme interroge d'autant plus que la préfiguration suit le calendrier de la remasterisation de l'assurance chômage par laquelle l'État la dénature et accroît sa mainmise sur la gouvernance. Elle comprend un volet systèmes d'information, ce qui pourrait s'entendre, qui pourrait faire rêver les tenants d'une logique adéquationniste et court-termiste. Comment garantirez-vous aux personnes privées d'emploi le respect de leur parcours et de leurs choix professionnels dans le nouveau service public de l'emploi que vous essayez de dessiner ?
Il est révélateur que la seule mention de France Travail dans le PLF soit liée à une expérimentation de 20 millions d'euros destinée, dans une dizaine de bassins de vie, à l'accompagnement, mais aussi au contrôle accru des bénéficiaires du RSA, qui devront s'engager à un suivi de 15 à 20 heures sans qu'on en sache beaucoup plus à ce stade. Quelle sera l'articulation avec le dispositif « territoires zéro chômeur » et avec les ateliers et chantiers d'insertion qui voient leur plafond en ETP baisser de 6 % alors qu'une augmentation leur avait été annoncée – je n'ai d'ailleurs pas retrouvé dans ce budget, les chiffres que vous avez annoncés pour l'IAE ? Ces ateliers et chantiers d'insertion accueillent pourtant 52 % des bénéficiaires du RSA.
Je m'interroge sur le champ exact de cette expérimentation et sur sa prompte généralisation. Concernera-t-elle tous les allocataires du RSA, y compris ceux qui sont durablement éloignés de l'emploi ? Dans l'affirmative, quelle forme prendra cette nouvelle obligation ?
J'en viens à l'inspection du travail. Eprouvée par une quinzaine d'années de transformations, elle traverse une crise profonde. Cette crise est d'abord une crise de sens. Outre que le ministère a été plusieurs fois critiqué pour son défaut de soutien à ses agents, il a accentué la casse du code du travail qui fonde leur intervention. C'est à se demander si l'affaiblissement de l'inspection du travail ne va pas de pair avec ces réformes alors que le travail lui-même est en crise, trop souvent maltraité et gâché. Nous avons besoin d'une inspection du travail forte pour faire respecter le travail ainsi que celles et ceux qui travaillent.
S'agissant de son organisation territoriale, les unités de contrôle créées par le plan « ministère fort » n'ont pas réellement trouvé leur place, pas plus que les responsables d'unité de contrôle (RUC), que l'administration a peiné à recruter et à former. Le plan de transformation des contrôleurs en inspecteurs du travail pose aussi question. Quelles sont les perspectives offertes aux contrôleurs jusqu'à l'extinction de leur corps d'appartenance ? Par ailleurs, le redécoupage des sections de contrôle a engendré un sentiment d'isolement chez les agents. L'inspection du travail fait aussi les frais de la réforme de l'organisation territoriale de l'État et de la mutualisation des moyens entre les directions interministérielles qu'elle entraîne. Les matériels, tels les équipements de protection individuels, sont insuffisants ou mal entretenus, notamment les véhicules de service. Les ressources documentaires sont souvent indisponibles. Or, relevant d'une mission du ministère de l'intérieur, les crédits de fonctionnement des services déconcentrés de l'État n'augmentent que de 2 %. Si l'effort ne s'accentue pas, il y a peu de chance que ces difficultés se résorbent. Le Gouvernement réfléchit-il à de nouvelles évolutions de l'organisation de l'inspection du travail. Pouvez-vous nous donner des indications sur le contenu du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les RUC, qui n'a pas été rendu public pour des raisons que j'ignore ?
Il est nécessaire que le nombre des priorités hiérarchiques de l'action de l'inspection du travail soit limité et que les personnels soient davantage associés à leur définition. La politique du chiffre qui affecte toute la fonction publique est en outre contreproductive, la direction générale du travail elle-même prône son allégement.
Enfin, l'inspection du travail souffre d'un manque de moyens humains très préoccupant. Entre fin 2017 et mars 2022, le nombre des agents chargés du contrôle des entreprises a diminué de 250 ETP. Les services de renseignement se vident de leurs effectifs et les assistants de contrôle auraient perdu le tiers des leurs en dix ans. Sur le terrain, cela se traduit par un fort nombre de postes vacants au sein des sections de contrôle. Le taux de vacance serait en moyenne de 15 %. Cette situation empêche l'inspection du travail de remplir ses missions en certains endroits du territoire, ce qui crée des ruptures d'égalité. La suppression de sections non pourvues n'y change rien.
Il faut impérativement intensifier les recrutements d'inspecteurs, d'assistants de contrôle et d'agents chargés du renseignement. L'augmentation du nombre des postes offerts au recrutement d'inspecteurs par voie de concours ne servira à rien si le ministère du travail ne parvient pas à rendre la profession plus attractive. Pour ce faire, au moins deux grandes actions doivent être entreprises. D'abord, il faut améliorer la rémunération des personnels : je crois savoir qu'une enveloppe de 2,5 millions d'euros est prévue à cet effet, pouvez-vous le confirmer en précisant le montant moyen des hausses de traitement à venir et leurs modalités de distribution. Ensuite, il faut, dans le prolongement des initiatives déjà lancées, mieux promouvoir ces métiers. Évidemment, il convient aussi de mettre un terme à la dérégulation permanente du droit du travail et d'afficher une volonté politique forte en faveur du respect de celles et ceux qui travaillent et de leur travail.
L'inspection du travail a besoin de retrouver de l'indépendance et de la force ; pouvez-vous nous indiquer le montant des crédits qui lui seront affectés en 2023 et leur évolution ?